Faire rayonner l’Amérique
La politique tarifaire de Trump s’inscrit dans un raisonnement économique cohérent : le réarmement économique. Son objectif premier est de transférer une partie du coût fiscal vers l’étranger afin d’alléger le fardeau pour les Américains. En imposant des tarifs douaniers sur les produits étrangers, Trump contraint les exportateurs à contribuer financièrement à la relance des États-Unis. De plus, il favorise le protectionnisme pour protéger les industries produisant sur le sol américain de la concurrence étrangère. Les accords de libre-échange sont jugés comme néfastes dans la mesure où ils ont mené à des délocalisations d’industries vers des pays à faible coût de production. Selon le US Bureau of Labor Statistics, en 1980, l’Amérique comptait 19 millions d’employés dans l’industrie manufacturière. En 2019, ils étaient un peu moins de 13 millions. Le pari de Donald Trump est que des barrières tarifaires rendraient les produits étrangers beaucoup plus chers à l’intérieur du pays, creusant ainsi un fossé protecteur qui encourage la construction d’usines sur son sol qu’elles soient américaines ou étrangères : « Product American, Buy American, Hire American ».
La logique trumpienne est de réarmer économiquement son pays, c’est-à-dire soutenir ses acteurs économiques par tous les moyens. Il s’agit d’une politique commerciale favorable couplée à une politique fiscale attrayante faite de baisses massives d’impôts (l’impôt sur les sociétés est passé de 35% à 21% et envisage de l’abaisser à 15% lors de son second mandat pour les entreprises qui fabriquent leurs produits en Amérique). Seulement, les recettes issues des droits de douane n’ont pas compensé le trou sur les recettes fiscales lors du précédent mandat, ce qui a généré un déficit commercial : près de 1 000 milliards de dollars en 2019 (+26% par rapport à 2018). Ainsi, ce qu’a gagné Trump sur la résorption du déficit commercial (environ 100 milliards de dollars entre 2016-2019) a été perdu sur le déficit budgétaire (environ -350 milliards sur la même période).
Cette fois-ci Donald Trump a un coup d’avance. Du moins, le président Américain se prémunit des limites de sa propre politique que sont le déficit budgétaire (comme lors de son premier mandat) et l’inflation (les hausses douanières se répercutant sur les prix payés par les Américains). C’est pourquoi le rôle d’Elon Musk est clé : réaliser 1 000 milliards de dollars d’économies, soit un tiers des dépenses publiques américaines pour compenser la politique fiscale pro-business ou dégager des marges de manœuvre pour sabrer l’impôt sur les revenus… voire réaliser les deux en même temps. En effet, même si les Etats-Unis disposent de la capacité de faire financer leur déficit budgétaire par le dollar, un tel déficit est une faiblesse. Si l’objectif de Musk peut paraitre irréaliste, « il ne suffirait que » d’atteindre entre 40% et 50% de cet objectif pour rendre la politique économique de Donald Trump excellente pour les Etats-Unis.
Une politique ultra-dangereuse pour l’Europe
Trump sait où il frappe et qu’il frappe juste, car l’Europe est le ventre mou de l’économie mondiale. Donald Trump cible délibérément l’Europe en raison de ses fragilités économiques flagrantes. L’Europe, avec sa croissance anémique et ses déficits structurels, constitue une cible idéale. Le président américain frappe où ça fait mal en imposant des droits de douane dans les secteurs où les Européens sont forts. En frappant durement des produits phares européens tels que les automobiles ou les produits agricoles, il cherche explicitement à exploiter ces faiblesses, espérant forcer les Européens à accepter des conditions commerciales favorables à Washington.
À l’instabilité économique s’ajoute la désunion politique chronique de l’Europe. Le célèbre constat d’Henry Kissinger, « Si je veux appeler l’Europe, quel numéro dois-je composer ? », reste dramatiquement pertinent. Trump exploite cette fragmentation européenne avec une précision chirurgicale. En menaçant d’imposer 200 % de droits de douane sur les vins et les spiritueux il vise officieusement la France, l’Italie et l’Espagne, et divise sciemment l’Union européenne, ciblant des pays fragiles en espérant ainsi briser toute résistance collective. En d’autres termes, il cherche à diviser pour mieux régner, car Trump sait qu’il n’aura pas de réponse européenne unie face à lui. Au contraire, fidèle à son « art du deal », il espère une réponse pays par pays avec des dirigeants qui iront le supplier à Washington pour négocier.
Face à Trump, la seule réponse viable pour l’Europe est une démonstration de force stratégique. À l’image de la doctrine Reaganienne de « la paix par la force », l’Europe doit envoyer un message clair : les agressions commerciales seront systématiquement sanctionnées par des mesures équivalentes. Imposer des tarifs douaniers européens en riposte constituerait un signal fort démontrant la détermination à défendre les intérêts du continent. Cette fermeté permettrait de négocier d’égal à égal, une stratégie que Trump lui-même respecte et utilise constamment dans ses interactions internationales. Les Européens doivent également envisager des frappes ciblées sur les points faibles et vitaux de l’économie américaine : le pétrole et le gaz américain ou les produits agricoles locaux, pour faire monter l’inflation et ainsi décrédibiliser Trump auprès d’électeurs ayant chassé les Démocrates pour cela…
La politique de Trump sera excellente pour les Américains et néfaste pour les Européens si les Européens ne renouent pas avec la logique de puissance économique. Si le projet européen créé pourtant comme un espace de prospérité se fait balayer par Donald Trump, à quoi sert l’Europe ? C’est une question que l’on se pose bien trop souvent…
Pierre Clairé, Directeur adjoint des Études du Millénaire, think-tank gaulliste spécialisé en politiques publiques. Co-auteur d’une dizaine de rapports sur la politique américaine.
Sean Scull, Analyste du Millénaire, spécialiste de la politique américaine et auteur de « Le populisme, symptôme d’une crise de la démocratie. Comment le néolibéralisme a triomphé en France et en Suède » aux Éditions l’Harmattan.
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Crédit photo : Europe seeks footing as Trump storms back to power, de Steven Hirsch, via FMT, sous licence CC BY 4.0.
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