William Thay et Matthieu Hocque pour la Revue Politique et Parlementaire : « 5 ans après, comment la crise sanitaire a changé notre société »

La crise sanitaire a bouleversé toutes nos certitudes. De notre modèle économique de consommation de masse importée depuis l’autre bout du monde, à notre rapport au vivant, tout a changé. Y compris jusqu’à l’âme de notre société : la démocratie libérale athénienne. 

Les « Gaulois réfractaires » ont accepté des mesures exceptionnelles 

Jamais depuis 1945, un tel niveau de privation de libertés n’a été consenti. Introduit par la loi du 23 mars 2020 et codifié aux articles L.3131-12 du Code de la santé publique[1], l’état d’urgence sanitaire a imposé le confinement ou la mise en place de quarantaines ou d’isolement assorti de sanctions lourdes (jusqu’à six mois de prison pour les personnes récidivant en moins de 30 jours). Une situation paradoxale alors que quelques mois plus tôt, les Gilets Jaunes s’étaient mobilisés pour plus de libertés et de mobilités (moins de taxes et de normes, plus de démocratie). Preuve en est, la réponse à ce mouvement a été le Grand débat national (2 millions de contributions, 10 000 réunions d’initiative locale, etc.)[2].

Malgré cela, les Gaulois réfractaires ont accepté les privations de libertés. 93% des Français ont accepté le confinement prononcé par Emmanuel Macron le 16 mars 2020 selon un sondage réalisé au lendemain de l’allocution présidentielle[3]. Trois facteurs cumulatifs expliquent cela : les confinements, méthode pourtant moyenâgeuse, restent dans l’imaginaire collectif les seuls remèdes efficaces pour lutter contre la propagation d’un virus (1) ; les expériences chinoise puis italienne dans un monde ouvert ont renforcé cette légitimité (2) ; enfin, la peur reste dans toute société le motif ultime justifiant la privation de liberté (3). Même en fin de crise, 50% des Français vivant en zone rurale acceptent l’idée d’un troisième confinement en mars/avril 2021[4].

Une société qui a survécu mais en souffrance 

La crise sanitaire a dévasté nos liens sociaux en accentuant les inégalités. Sur le plan de l’école, les élèves français ont vu s’accroître les inégalités scolaires selon l’origine sociale. En effet, 14% des élèves issus de milieux défavorisés ne sont pas du tout aidés lorsqu’ils ne sont que 7% pour les élèves issus de milieux favorisés, soit le double[5]. Sur le plan du travail, les travailleurs français ont différemment vécu la crise sanitaire selon l’âge (junior ou senior), le lieu d’habitation (urbain ou rural) ou le type de métier (manuel ou de bureau). Si dans les métiers de bureaux, cela a conduit à une autonomisation du salarié vis-à-vis de son employeur par le télétravail et à une forme de recul de l’autorité, les métiers de proximité (services publics, services à la personne, ouvriers, etc.) ont constitué l’armée livrant bataille au virus créant une France « à deux vitesses ». 

La société a survécu à la crise sanitaire, mais souffre. Selon l’OMS, les troubles de santé mentale (anxiété, dépression, etc.) ont augmenté de 25% dans le monde pendant la pandémie[6]. La France n’est pas à l’abris puisqu’en octobre 2020, la prévalence des troubles anxieux a atteint 27% de la population, (+10 points par rapport à 2017), les états dépressifs 10% (+5 points) et les pensées suicidaires 10,5% (+6,7 points)[7]. Trois publics ont été particulièrement fragiles : les jeunes tant les mineurs que les étudiants avec le passage au téléenseignement, les femmes notamment les plus précaires et monoparentales, et enfin les seniors avec la mortalité du virus. A tel point que la consommation de médicaments psychotropes type anxiolytiques augmente de +1,1 million de boîtes entre mars et octobre 2020 par rapport à la même période en 2019[8]

Un nouveau paradigme démocratique ? 

Plus que notre société, la crise sanitaire a accentué la guerre modèles. Sur le plan extérieur, une opposition s’est démarquée entre les modèles autoritaires (Chine), illibéraux (pays est-asiatiques) et démocratiques libéraux. Les deux premiers privilégiant l’efficacité de la gestion de la crise (mesures disproportionnées, etc.), sur la protection des libertés. Les démocraties libérales ont cherché à concilier l’efficacité de la gestion de crise avec la protection des libertés par les campagnes de vaccination de masse. Seulement, les désorganisations, les injonctions contradictoires auprès des populations et le coût humain et sanitaire similaire, n’ont pas démontré une supériorité du modèle libéral. 

Sur le plan intérieur, la crise sanitaire a posé une incertitude sur le « cercle de la raison » face aux populismes. Si le cercle de la raison prend très vite au sérieux la crise, les populistes de droite (Trump, Jonhson, Bolsonaro) rejettent la gravité du virus, par défiance envers les institutions et les élites scientifiques. Cette attitude a été sanctionnée par les électeurs. Trump a perdu face à Biden en novembre 2020 après avoir perdu les électeurs âgés, Bolsonaro a été battu en 2022 par Lula, et Johnson a été contraint à la démission à l’été 2022 après le Partygate. Or, nous observons un retour des populismes (Trump, Meloni, Milei), malgré ces échecs factuels. 

Cette poussée s’explique par le fait que le paradigme autour des attentes des citoyens occidentaux a changé. Ceux-ci privilégient un modèle hybride, difficile à tenir, qui préserve et met en avant les libertés publiques (liberté d’expression, de mobilité, d’entreprendre), mais dans le cadre d’un projet collectif (solidarité à l’égard des métiers de première ligne), ce même projet, qui est préservé et protégé (protection hobbesienne par un État fort). Sans compréhension de comment la crise sanitaire a bouleversé les aspirations des citoyens occidentaux, le cercle de la raison est condamné à être balayé aux prochaines échéances électorales. 

William Thay, Président du think-tank Le Millénaire, spécialisé en politiques publiques, contributeur au rapport « Quel modèle démocratique post-Covid ? »

Matthieu Hocque, Directeur adjoint des Etudes du Millénaire, co-auteur du rapport « Quel modèle démocratique post-Covid ? »


[1] Vie Publique. Qu’est-ce que l’état d’urgence sanitaire ?Vie Publique.

[2] Grand Débat National. Grand Débat National.

[3] BFMTV. Sondage BFMTV : 93% des Français approuvent la mise en place du confinement

limitant les déplacementsBFMTV. (18 mars 2020)

[4] Elabe. Épidémie COVID-19 : Vague 33Elabe.

[5] Crise sanitaire de 2020 et ses suites : que nous apprennent les données de la DEPP ?, Synthèse de la DEPP, n° 5, juin 2022 (mise à jour novembre 2022), DEPP.

[6] La pandémie de COVID-19 entraîne une augmentation de 25 % de la prévalence de l’anxiété et de la dépression dans le mondeOMS. (2 mars 2022).

[7] Sénat. Rapport d’information fait au nom de la commission des finances sur les finances

publiques et la relance post-COVIDSénat. (2021).

[8] Ibid. 

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Crédit photo : Macron rules out naming leftist PM, prolonging political crisis, via FMT, sous licence CC BY 4.0.

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