L’Italie subit une double révolution : l’arrivée d’une femme, Giorgia Meloni, à la tête du gouvernement et le retour au pouvoir d’un parti issu du fascisme, 70 ans après le décès de Mussolini.
Le premier vecteur du succès de Giorgia Meloni repose sur le contexte politique particulier italien. La crise financière de 2008 avec une politique d’orthodoxie budgétaire imposée par les institutions européennes ont encouragé la montée des forces dites populistes comme le Mouvement 5 étoiles (M5S) ou la Ligue du Nord. Le M5S crédité de moins de 5 % des intentions de votes avant les élections de 2013, est devenu la première force politique en 2018 avec près de 33 % des suffrages. La ligue du Nord de Matteo Salvini est passée de supplétif de la coalition de droite avec Berlusconi à force dominante de la droite aux dernières élections de 2018.
L’ascension du parti de Giorgia Meloni s’explique par l’échec du Gouvernement d’Union nationale mené par Mario Draghi. Tous les mouvements politiques du M5S de Luigi Di Maio à la Ligue du Nord de Matteo Salvini ont participé à ce Gouvernement d’Union nationale et sont considérés par une partie des Italiens comme complices de l’échec. Le parti Fratelli d’Itali de Giorgia Meloni a été le seul à ne pas participer à la coalition d’Union nationale et a donc remplacé la Ligue du Nord et le M5S dans la fonction de parti protestataire. En effet, le Mouvement 5 étoiles et Matteo Salvini ont gouverné depuis 2018 sans pouvoir apporter des modifications substantielles aux problèmes rencontrées par l’Italie.
UNE ITALIE DÉCLASSÉE
Depuis la crise financière de 2008, l’Italie a connu 7 présidents du Conseil (équivalent de Premier ministre en France) marquant une instabilité politique croissante. Cette situation qui rappelle la IVe République en France n’a pas permis à l’Italie ni d’entamer un redressement ni d’avoir une politique de long terme permettant de résoudre et répondre aux préoccupations des Italiens.
Les indicateurs économiques italiens sont dans le rouge notamment depuis la crise financière de 2008 et la crise des dettes souveraines. Cette situation s’est aggravée depuis la crise sanitaire qui a mis à mal la composante industrielle du pays en bouleversant la chaîne logistique. L’Italie ne s’est pas remise de ce double choc, comme l’illustre l’évolution de son PIB par habitant. Ainsi le revenu des ménages a baissé depuis 2008, et les Italiens possèdent un revenu par habitant de 10 % inférieur à celui du début des années 2000. Ce n’est pas le cas d’autres pays de l’Union européenne comme la France ou l’Espagne. Le taux d’emploi en Italie reste un des plus bas de l’OCDE, en particulier pour les femmes, et il révèle de fortes disparités entre les différentes régions en matière de niveau de vie notamment entre le Nord et le Sud.
Au-delà des difficultés économiques, l’Italie est confrontée à une vague migratoire au tournant des années 2010 avec la crise migratoire en Europe. À partir des années 2000, le pays doit faire face au vieillissement de sa population et à des pénuries de main-d’œuvre dans certains secteurs comme l’agriculture. En 2005, le pays affiche même un solde naturel négatif et doit de facto compenser avec un recours à l’immigration, principalement d’Europe de l’Est, d’Afrique du Nord et d’une partie de l’Asie. Selon l’ISTAT, en 1980, 321 000 étrangers vivent en Italie (soit 0,57 % de la population totale), contre 1,3 million (2,34 % de la population totale) en 2000 et enfin 5,6 millions en 2018 (près de 9 % de la population totale). En somme, en 20 ans, le nombre d’étrangers en situation régulière résidant en Italie a presque quintuplé.
LES RESSORTS DU SUCCÈS MELONI
Le succès de Giorgia Meloni s’explique également par son équation personnelle puisqu’elle incarne par son histoire personnelle les combats anti-systèmes et contestataires de son parti. Elle possède une origine modeste en ayant grandi dans le quartier populaire de la Garbatella dans le Sud de Rome. Cette origine modeste permet notamment d’ancrer son positionnement contestataire à l’égard d’une classe politique italienne qui a beaucoup déçu et d’apparaître comme plus proche des préoccupations des classes populaires et moyennes. Alors que les Italiens ont pu avoir l’impression de s’être fait trahir par les autres leaders populistes comme ceux du Mouvement 5 étoiles ou par Matteo Salvini, Giorgia Meloni donne par son parcours des gages importants à son électorat. Le message sous-jacent qu’elle adresse aux Italiens est : « je suis comme eux, je suis en rupture totale avec le système et donc ne les trahirai pas. »
Le succès de Giorgia Meloni s’explique par son positionnement antisystème et contestataire tout en n’effrayant pas totalement les élites. Ce positionnement est constitué dans son programme autour de 4 thèmes : anti-immigration, conservatrice sur le plan sociétal mais libérale sur le plan économique tout en étant eurosceptique à l’égard de l’UE sans vouloir une sortie. Elle affiche une fermeté sur le plan migratoire en se montrant favorable à la fermeture de ports italiens aux bateaux déposant des migrants et critique ouvertement « l’islamisation » de l’Italie et de l’Europe. Sur le plan sociétal, elle défend la civilisation européenne et les valeurs traditionnelles italiennes (famille, chrétienne, patriotisme). Elle prône ainsi une société conservatrice.
En revanche, Giorgia Meloni n’effraie pas le patronat car elle souhaite ainsi une baisse importante des impôts pour soutenir la demande et faire une politique de l’offre. Sur l’Union européenne, elle souhaite redonner une place plus importante à l’Italie, l’Europe du Sud pour contester la ligne politique du couple franco-allemand. Cela passe notamment par une autre utilisation de l’argent du plan de relance et une renégociation des règles budgétaires européennes. Pour autant, elle s’est normalisée sur l’Europe en revenant sur sa position sur la sortie de l’euro ainsi qu’en affichant un positionnement atlantiste et contre Poutine.
Giorgia Meloni est le fruit d’une décennie difficile pour les Italiens depuis la crise des dettes souveraines et migratoires qui ont frappé l’Europe et l’Italie. Cette situation est renforcée par une instabilité politique et une incapacité des élites à répondre aux préoccupations des Italiens. De plus, elle a réussi une synthèse en étant antisystème pour marquer son positionnement contestataire tout en n’effrayant pas les élites économiques et européennes par une évolution de son positionnement politique sur l’économie et sur l’Union européenne. Ce cocktail politique a fait conduire pour la première fois une femme à la présidence du conseil.
Pierre Clairé est spécialiste des questions européennes, diplômé du Collège d’Europe et Directeur adjoint des Études du Millénaire, think-tank gaulliste spécialisé en politiques publiques
Emeric Guisset, Secrétaire général adjoint du Millénaire
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Crédit Photo : Giorgia Meloni, via WikimediaCommons sous licence Public Domain
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