Olivier Bodo et Matthieu Hocque pour la RPP : « Emploi des seniors : encore une politique coercitive »

Face à l’hostilité des Français vis-à-vis de la réforme des retraites, le Gouvernement a fait le choix d’aller à leur rencontre cette semaine pour présenter la totalité des enjeux que soulève son projet. D’une part, l’exécutif souhaite enjamber des discussions perdues d’avance avec le front syndical et à l’Assemblée nationale. D’autre part, il souhaite se reconnecter avec son ADN des grands débats nationaux en montrant qu’il est capable d’agir sur tous les enjeux.

Parmi ces enjeux, l’exécutif a présenté son « index seniors » qui vise à distinguer les bons et les mauvais élèves car sans politique de l’emploi des seniors, il est inutile de réformer les retraites. Pourtant, le Gouvernement propose encore une mesure coercitive qui ne répond pas aux réalités du marché du travail des seniors.

À quoi ressemble réellement l’emploi des seniors ? 

De prime abord, le niveau d’emploi des seniors français (50 – 64 ans) semble positif. Leur taux d’emploi a constamment augmenté depuis 2020 pour s’établir à environ 61,8% contre 67,2% pour l’ensemble de la population nationale. Ainsi, les seniors ont bénéficié de la progression générale de l’emploi (+1,1 point) en France depuis 2018. Il s’agit d’atouts pour nos acteurs économiques qui peuvent bénéficier de travailleurs qualifiés, expérimentés et aptes à transmettre leurs savoirs.

Pour autant, cette réalité cache plusieurs fragilités. D’une part, le taux d’emploi n’est pas homogène au sein de toute la population des seniors. Ainsi, parmi les actifs ayant entre 60 et 65 ans, seul un sur trois est en situation d’emploi. Trois facteurs expliquent cela : l’inadéquation des compétences avec le marché du travail, les problèmes de santé ou encore les dispositifs de départ anticipé à la retraite. D’autre part, les seniors restent éloignés de l’emploi beaucoup plus longtemps que les autres catégories d’actifs. Ils rencontrent davantage de difficultés pour retrouver un emploi en CDI. Ce n’est le cas que pour 8% des demandeurs d’emploi de plus de 50 ans, contre 42% des 25-49 ans, selon l’association Solidarités Nouvelles face au Chômage (SNC).

Encore une politique coercitive 

Le Gouvernement va encore mener une politique coercitive. En souhaitant pénaliser les mauvais élèves par un index seniors plus coercitif, il se heurtera au même problème que la contribution Delalande.

Instaurée en 1987 puis supprimée en 2008, les entreprises devaient payer une taxe en cas de licenciement d’un salarié de plus de 50 ans. Cette mesure avait entrainé un effet de seuil pervers. Les entreprises licenciaient avant leur 50ème année les salariés qu’elles avaient la certitude de ne pas conserver et n’embauchaient plus de seniors.

Les seniors seront inégalement lésés par les mesures annoncées. Ils ne disposent pas en effet du même niveau d’employabilité. Notre modèle est verrouillé pour les seniors parce que la formation initiale écrase la formation continue. Le niveau de diplôme détermine les 40 à 43 années de vie professionnelle. De surcroît, les seniors bénéficient trop peu de la formation professionnelle, puisque le taux d’accès à la formation professionnelle des seniors s’élève à 39,6% pour les 55-59 ans et 34,4% pour les 60-64 ans, alors qu’il oscille entre 50% et 60% pour toutes les tranches d’âge de 25 à 49 ans, selon l’association SNC.

Inciter plutôt que contraindre : un double choc de mentalité au profit des seniors

Ce constat, couplé à la nouvelle contrainte imposée par le décalage de l’âge légal de départ à la retraite, nous incite à procéder à un double choc des mentalités au profit de l’emploi des seniors.

Un premier choc de mentalité vise les séniors eux-mêmes vis-à-vis des dispositifs de formation. Il s’avère, en effet, que dans leur grande majorité ils n’y ont pas recours. Pour gagner en efficacité, il convient de rendre plus lisibles, attractifs et accessibles les parcours de formation. Ensuite, il faut les aider à choisir la formation la mieux adaptée à leur profil grâce à la création d’un outil baptisé « bilan d’employabilité ». Enfin, il convient d’en faciliter le financement via une refonte du Compte Personnel de Formation (CPF) pour limiter voire supprimer le reste à charge.

Le second choc de mentalité concerne les entreprises vis-à-vis des seniors. Perçus comme une main d’œuvre qualifiée, expérimentée mais couteuse, les employeurs ont des réticences à les conserver ou à les recruter.

Dès lors, il faut plutôt inciter plutôt que contraindre. Des mesures financières incitatives telles qu’un bonus sur les charges sociales destiné aux entreprises vertueuses en matière d’intégration des seniors doit permettre d’agir sur leur niveau d’emploi. Enfin, il convient d’accompagner les entreprises dans leur processus de révision des dispositifs de fin de carrière de manière à tenir compte des spécificités propres à chaque métier, notamment en matière de pénibilité. En repoussant l’âge de départ sans politique incitative d’emploi des seniors, nous allons pénaliser les seniors en leur imposant une fin de carrière indigne au crochet de la solidarité nationale. Cet état de fait soulève une double injustice.

D’un côté, pour les seniors qui subiront la paupérisation avant même d’être à la retraite. De l’autre, pour le contribuable qui devra prendre à charge de nouvelles personnes par le chômage ou le RSA, induisant des dépenses sociales supplémentaires, alors qu’avec 813 milliards d’euros, soit 35% du PIB, la France figure déjà parmi les champions du monde en matière de dépenses sociales.

Olivier Bodo, Vice-Président du Millénaire – Think-tank gaulliste spécialisé en politiques publiques

Matthieu Hocque, Secrétaire général adjoint du Millénaire

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Crédit Photo : Ingénieur sénior, par Andrea Piacquadio sous Licence Libre, via Pexels

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