Couple Franco-Allemand : le divorce ?

Les formulations de couple franco-allemand et de divorce sont intéressantes en soi car elles supposent une relation particulière entre les deux qui serait donc brisée. Or, il n’y a qu’en France où le terme «couple franco-allemand» est utilisé, outre-Rhin on préfère parler d’un simple partenariat ou du «moteur franco-allemand». Le 21 novembre dernier, les ministres des affaires étrangères des deux pays se sont rencontrés et alors qu’elles devaient afficher publiquement leur entente et montrer à la face du monde que les différends entre les deux nations étaient derrière elles, mais au contraire les deux femmes ont démontré qu’il existe bien un décalage entre la France et l’Allemagne. Catherine Colonna, ministre des affaires étrangères française ainsi déclaré qu’ « il y a un couple franco-allemand, un moteur franco-allemand, des relations franco-allemandes, quel que soit le nom qu’on lui donne », son homologue allemand Annalena Baerbock a ajouté que « l’Allemagne et la France d’adopter un rythme commun quand cela est nécessaire  ». Malgré les gesticulations françaises pour maintenir «le couple » en vie, force est de constater que le décalage existe toujours entre les deux. Ainsi plus que réfléchir sur l’avenir du « couple franco-allemand » qui n’en est pas vraiment un aux yeux des Allemands, il faut se questionner sur la nécessité française de repenser ses relations avec l’Allemagne et de réaliser que nos voisins privilégient leurs intérêts. 

Il est évident que les relations entre les deux pays se sont considérablement refroidies ces derniers temps. Pour autant il faut se demander s’il faut être fataliste ou voir ce décrochage comme une opportunité pour les Français de mettre en avant leurs intérêts. Les désaccords récents entre la France et l’Allemagne s’articulent autour de trois sujets :

  • la crise énergétique en raison des mix-énergétiques diamétralement opposés et de la position allemande sur le sujet eu égard à sa dépendance énergétique vis-à-vis du monde, et notamment de la Russie ;
  • la politique de défense en raison des divergences sur  le projet de l’Europe de la défense formulé par Emmanuel Macron et sur les choix militaro-industriels, notamment avec le choix allemand de lancer un bouclier anti-missile européen sans la France ;
  • la question de l’intégration européenne en raison des intérêts divergents sur les élargissements progressifs de l’Union européenne depuis 2004, et notamment aujourd’hui sur la politique à l’égard des Balkans, l’Allemagne y étant extrêmement favorable, la France beaucoup moins.

Le Chancelier allemand Olaf Scholz a ainsi été le premier chef de gouvernement à se rendre en Chine depuis la reconduction de Xi Jinping comme Secrétaire Général du PCC sans qu’Emmanuel Macron ne soit convié. Cette envie allemande de promouvoir des relations fortes entre l’Allemagne et la Chine s’accompagne d’un rejet à peine masqué de la France. En février 2019, le président français avait reçu Xi Jinping à l’Élysée, mais avait invité Angela Merkel pour montrer que les deux pays étaient le moteur de l’Europe. Cette divergence de fond existe depuis de nombreuses années, mais force est de constater que ces derniers mois les Allemands ne cherchent même plus à sauver les apparences. 

Les destinées de la France et de l’Allemagne sont intimement liées depuis de nombreux siècles. Même si l’État allemand n’existait pas encore formellement à cette époque, on peut tracer la naissance de cette relation spéciale à l’Empire carolingien de Charlemagne qui s’étendait sur toute l’Europe occidentale. Ainsi les deux ont des racines communes qu’il est nécessaire de connaître et ils se sont construits par opposition l’un avec l’autre. La normalisation des relations entre les deux États date évidemment de la fin de la Seconde Guerre Mondiale, avec une volonté allemande de gagner la paix et de se rapprocher de ses voisins. Même si les relations entre le deux ne furent jamais parfaites et que l’adjectif « inégal » est celui qui qualifie le mieux les relations franco-allemandes entre 1945 et le début des années 1990, il faut reconnaître que les deux ont véritablement été moteurs dans la construction de la CEE puis de l’UE. 

C’est le Traité de Maastricht et la réunification allemande qui marquent des tournants dans cette relation. En effet, c’est à partir de ce moment-là que les Allemands réalisent qu’ils ont intérêt à se projeter vers l’Est et à embrasser « l’Ostpolitik » de Willy Brandt. À partir de cette décennie, les Allemands se sont progressivement détournés de la France au profit d’autres pays qui pouvaient mieux servir les intérêts allemands et les aider à assurer leur hégémonie économique sur l’Europe. C’est durant cette période que les masques sont tombés et que les Allemands se sont révélés comme plus intéressés par la réussite de leur pays que par celui de l’Europe ou du « couple franco-allemand ». Les Français quant à eux se sont maintenus dans une forme d’illusion, pensant que pour les Allemands la relation avec la France restait vitale, comme elle pouvait l’être sous Konrad Adenauer. À leur décharge, les Allemands n’ont jamais montré clairement que le « couple » était mort, préférant multiplier les actes de communication pour montrer qu’il restait d’actualité et ainsi contenter les Français. Angela Merkel a parfaitement maintenu l’illusion, en se montrant relativement proche des différents présidents français qu’elle a côtoyé tout en construisant par ailleurs des relations privilégiées avec la Russie ou la Chine afin d’avantager l’Allemagne. 

Mais cette illusion a pris fin avec l’actuel gouvernement allemand, montrant au grand jour les divergences entre les deux pays. L’arrivée d’Olaf Scholz laissait pourtant entrevoir de bonnes relations franco-allemandes par sa relation privilégiée avec Emmanuel Macron. Ils sont apparus complices lors des visites de Scholz à Paris, lors de la visite du 9 mai à Berlin du président Macron où à Kiev le 16 juin avec Mario Draghi pour soutenir Volodymir Zelinsky. Mais tout cela a changé lorsque les problèmes se sont accumulés, ainsi le pragmatisme a repris le dessus et Olaf Scholz, à la différence de ses prédécesseurs n’a pas pris la peine de camoufler ce revirement. 

Les relations franco-allemandes sont au plus bas actuellement et il est difficile d’imaginer la situation s’améliorer si bien qu’il semble illusoire de chercher à maintenir en vie le « couple » alors qu’un de ses membres rejette cette union qui ne lui convient pas et ne sert pas ses intérêts… 

Pierre Clairé, directeur adjoint des études au Millénaire

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Crédit photo : Drapeaux Franco-Allemand sous licence CC BY-SA 2.5, via Wikimedia Commons

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