Matthieu Hocque pour Valeurs Actuelles : « Ouvrir une nouvelle décennie de guerre contre le terrorisme islamiste »

TRIBUNE. De plus en plus de mineurs impliqués, alliance avec l’extrême gauche, passage à l’acte de plus en complexe à anticiper… La menace a évolué depuis 2015. Nos stratégies ne sont plus suffisantes. Matthieu Hocque, directeur adjoint des études du Millénaire, spécialiste des politiques publiques, propose des réponses adaptées au “défi du siècle : vaincre le totalitarisme islamique”.

En réponse à la guerre que nous mènent les islamistes, la France a déclaré la guerre au terrorisme en 2015, après une vague d’attentats sans précédent, dont celui contre Charlie Hebdo. En une décennie, le pays a payé le prix du sang avec plus de 260 victimes, faisant de cette période, la plus meurtrière depuis la guerre d’Algérie. Or, la menace a évolué, tant à l’international qu’en France, sans que la préparation et les réponses n’aient suivi cette mutation. 

De nouvelles menaces islamistes 

Sur le plan international, les puissances terroristes islamistes ont changé. En 2015, les groupes terroristes notamment l’État islamique au Levant (Daesh), AQMI et Boko Haram en Afrique subsaharienne étaient à leur apogée politique, morale, économique et militaire. Daesh s’était substitué aux États faillis syrien et irakien, AQMI menaçait de faire tomber le Mali et Boko Haram menaçait même un pays comme le Nigeria. Or, la coalition internationale a vaincu Daesh en Irak et en Syrie avec la chute de Mossoul et de Raqqa sous Donald Trump, divisant ses effectifs par 4 (10 000 contre 40 000 auparavant selon l’ONU). Toutefois, la perte territoriale de l’État islamique n’a pas éliminé la menace. Le djihadisme mondial est devenu diffus et décentralisé (proxys iraniens au Proche-Orient, Sahel, Caucase, etc.).

Sur le plan national, les menaces islamistes ont évolué en conséquence. En effet, les attentats de 2015 ont été orchestrés par des terroristes étrangers ou des Français issus de l’immigration qui revenaient du djihad en Syrie et en Irak ou qui étaient en lien avec des djihadistes sur place. Ils étaient formés aux techniques de guerre pour revenir semer la mort. Or, la défaite militaire de Daesh a mis fin à ces profils. Les terroristes d’après 2017 sont devenus plus solitaires, plus « low cost » et dotés de moyens rudimentaires tels que des véhicules ou des couteaux rendant la menace beaucoup plus diffuse. C’est ce que Gilles Kepel qualifie de « djihadisme d’atmosphère ». Or, on ne répond pas à ces menaces comme en 2015. 

Dix ans après Charlie Hebdo, nos réponses ne sont plus adaptées

Après 2015, les réponses aux attentats terroristes relèvent de la logique de démantèlement de réseaux grâce à l’état d’urgence. La prolongation de ce dernier après les attentats de Nice en 2016, puis l’inscription dans le droit commun de certains dispositifs (MICAS, périmètres de protection dans lieux publics, fermeture administrative de lieux de cultes, renforcement des frontières aériennes, surveillance des sorties de prison, etc.) ont eu des résultats : 45 attentats terroristes ont été déjoués depuis 2017. En complément, du point de vue judiciaire, l’on s’est focalisé sur les têtes de réseaux : 800 étrangers radicalisés ont été expulsés depuis 2017. 

Seulement, ces réponses ne sont plus adaptées aux nouveaux profils terroristes islamistes. Tout d’abord, ces profils n’appartenant à aucun réseau voire n’étant pas connu des services de police, la saisie d’armes lourdes, les assignations à résidence, ou les moyens de surveillance accrus sont moins efficaces que pour appréhender des réseaux. De plus, ces profils utilisent n’importe quel objet du quotidien (couteaux, véhicules, etc.) pour semer la mort. De fait, la lutte contre le trafic d’armes ne permet plus de remonter aux réseaux terroristes et ceux-ci peuvent passer à l’acte n’importe quand et n’importe où. Enfin, la difficulté essentielle est qu’ils ont leur propre logique de passage à l’acte pouvant reposer sur un événement national, international ou lié à leur situation personnelle comme pour l’assassinat de Dominique Bernard. Or, si l’on peut suivre le parcours de radicalisation d’un individu, le momentum du passage à l’acte est bien plus difficile à déterminer pour les services de renseignement.

Ouvrir une nouvelle décennie de guerre contre le terrorisme islamiste

Il faut décréter une nouvelle guerre contre le terrorisme islamiste. Tant que l’islamisme sera présent sur notre sol, jamais nous n’aurons la certitude de vivre sans la menace d’attentat. Pour cela, il faut débarrasser la France, l’Europe et le monde de l’islamisme. C’est le défi du siècle : vaincre le totalitarisme islamique. Mais procédons par étape. Il y a des urgences pressantes telles que les mineurs radicalisés, alors que la quasi-totalité des attentats islamistes déjoués en 2023 sont le fait de mineurs et que 20% des fichés S pour islamisme sont mineurs. Depuis 2019, plus de 1 500 enfants sont revenus du nord-est syrien, dont 225 mineurs actuellement en France. Parmi eux, 217 ont séjourné en zone irako-syrienne, et 66% ont moins de 10 ans.

Pour cela, nous devons détruire les racines entretenant ce « djihadisme d’atmosphère ». Elles relèvent d’ennemis politiques de l’intérieur. Car, la principale différence avec 2015 est qu’aujourd’hui, les islamistes ont des alliés politiques, jusqu’aux bancs de l’Assemblée nationale. Il aurait été inenvisageable, il y a 10 ans, que des responsables politiques s’affichent ostensiblement avec des islamistes comme Elias Imzalène avec LFI. Cette alliance de circonstance s’appuie sur un puissant levier : la volonté similaire de déconstruire la société occidentale portée par l’extrême gauche sur le plan économique et sociétal et par les islamistes sur le plan civilisationnel. Inéligibilité pour les élus se compromettant, délit d’intelligence avec l’islamisme, déchéances de nationalité, expulsions systématiques, surveillance individualisée renforcée, assassinats ciblés à l’étranger, de nombreuses mesures sont possibles pour y parvenir.

Après la décennie 2015-2025, il faut ouvrir une nouvelle décennie de politiques visant d’abord à éradiquer l’islamisme de notre pays, tout en continuant de porter le combat à l’international à l’heure où la Syrie bascule vers l’islamisme, mais où l’on observe la constitution d’un arc conservateur dans le monde occidental intraitable avec l’islamisme (Etats-Unis, Israël, Italie, et peut-être l’Allemagne cette année).

Matthieu Hocque, Directeur adjoint des Etudes du Millénaire, spécialiste des politiques publiques et auteur de la note « Charlie Hebdo 10 ans après : quel est le bilan de la guerre contre le terrorisme ? » pour Le Millénaire

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Crédit Photo : Weapon, par Sam-fisher via Goodfon sous Licence CC BY-NC 4.0. 

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