Matthieu Hocque et Pierre Clairé pour la RPP : « Vers un risque de Printemps Arabe à l’africaine ? »

La multiplication des coups d’État en Afrique fait inévitablement craindre un effet domino qui emporterait la France et par la même occasion réduirait à néant ses ambitions stratégiques. Le parallèle avec le « Printemps Arabe » est cohérent dans le sens où rarement dans l’histoire nous avions vu tant de renversements de régimes dans des pays si proches. Pour autant la situation n’a pas encore atteint un point de non-retour et la France, souvent pointée du doigt par les putschistes, peut encore se rattraper en Afrique.

Une multiplication des coups d’État en Afrique

La multiplication des coups d’Etat en Afrique présente un risque géopolitique systémique. Après le Mali, la Guinée, le Tchad, le Soudan et le Burkina Faso, le Niger et le Gabon sont les derniers pays en date dont le pouvoir a été renversé. Ces renversements sont particulièrement inquiétants. D’une part, cela ancre une dynamique néfaste pour le continent africain qui représente 70% des coups d’Etat depuis les années 1960. D’autre part,  la proximité géographique entre les pays ayant connu un renversement de régime peut aussi faire craindre le pire dans une région au cœur des enjeux transnationaux pour les autres zones géographiques (Europe, Moyen-Orient, Indopacifique), notamment sur deux points : la lutte contre les djihadistes et les flux d’immigration illégale incontrôlés.

Pour autant, derrière ce torrent de coups d’Etat se cachent des situations bien différentes. Les seuls dénominateurs communs entre le Niger et le Gabon sont la faiblesse des institutions et la mauvaise gouvernance. En revanche, le contexte géopolitique et les motifs sont différents à bien des égards entre le Mali/Burkina Faso, le Niger et le Gabon. En effet, les putsch militaires au Mali ou au Burkina Faso se sont produits à cause d’un territoire sous la pression des attaques islamistes auxquelles l’armée française ne pouvait apporter de solution miracle. Au Niger, le coup d’Etat a été invoqué pour des motifs sécuritaires alors que le pays figurait parmi les plus sûrs de la région. Enfin, au Gabon, les militaires ont été poussés par la forte corruption d’un pays dirigé d’une main de fer par le clan Bongo depuis plus de 55 ans.

Un Printemps Arabe à l’africaine, mais dirigé contre la France ?

La multiplication des coups d’Etat en Afrique peuvent faire penser aux Printemps Arabes de 2011. D’une part, l’armée dans les Etats africains comme des Etats arabes joue un rôle primordial dans la cristallisation des conflits sociaux. Lors des principaux Printemps Arabes de 2011, sauf en Tunisie, les armées ont conduit des coups d’Etat, qui ont pu parfois aboutir en Egypte avec la destitution d’Hosni Moubarak ou qui n’ont pas pu aboutir en Libye ou au Yémen. D’autre part, ces coups de force interviennent dans un contexte où la puissance dominante décline. En effet, à la fin des années 2000, le rôle des Etats-Unis diminue dans les pays arabes à cause de la guerre en Irak qui les prive de leviers d’action pour résoudre les conflits. En miroir, le début des années 2020 marque un retrait progressif de la France en Afrique avec la fin de l’opération Barkhane annoncée par Emmanuel Macron en février 2022.

La présence militaire française en Afrique comme celle des Etats-Unis dans les pays arabes depuis la guerre en Irak fait face à une impasse. En effet, les sociétés civiles ne voient pas les résultats des présences militaires occidentales, tout en ressentant une sensation de pillage. Cela se traduit en Afrique par l’essor d’un sentiment anti-français. Cette haine de la France et de son interventionnisme a amené les militaires à demander et obtenir le retrait des forces françaises au Mali et au Burkina Faso. La junte au pouvoir à Niamey a demandé le départ de l’ambassadeur de France alors qu’une partie de la population manifeste pour le retrait de l’armée française sans que Paris ne cède face aux pressions de ce pouvoir illégitime. Seulement, le sentiment anti-français n’est pas aussi répandu dans la zone que ce que nos concurrents russes ou nos alliés américains voudraient nous faire croire. Même si au Sahel ce phénomène est perceptible, ce n’est pas le cas dans d’autres pays africains comme au Gabon et la France possède encore des soutiens de poids sur le littoral.

Une nécessité pour la France de se repenser

S’il ne faut pas se montrer fataliste face à cette multiplication de putschs, ce phénomène doit inviter la France à revoir son approche à la politique africaine. En effet, si elle n’est pas responsable de ces soulèvements, son attitude frôlant le paternalisme irrite en Afrique. En se montrant réellement attachée à la démocratisation du Continent, en cessant d’appuyer des régimes douteux et en ne limitant pas son action aux grandes villes, la France pourrait se racheter en Afrique. De même, en se concentrant sur la société civile et du tissu économique privé, par le biais d’aides directes aux petites et moyennes entreprises locales, la France pourrait contribuer au développement économique de ces pays. L’aide au développement doit être réorientée vers le secteur privé et conditionné à un partenariat exigeant avec les pays africains, notamment sur la lutte contre l’immigration illégale ou contre le totalitarisme islamique. Cela doit permettre d’éviter d’alimenter les économies de rente générant une corruption endémique au profit d’une élite qui parfois se nourrit de la haine de la France.

L’Afrique a changé depuis la fin de la Guerre Froide. La France doit acter cet état de fait pour en réalisant que son modèle n’est plus attractif pour l’Afrique qui est devenue le lieu d’affrontement des superpuissances américaine et chinoise ainsi que des nations-empires comme la Russie, l’Inde ou la Turquie. Si la France devait quitter le continent, elle perdrait sa qualité de puissance globale et serait cantonnée au rôle de puissance périphérique dont l’aire d’influence se limite à l’Europe. Seule une reconfiguration des relations entre la France et les pays africains sur les enjeux d’avenir « gagnant-gagnant » pourra contribuer à refaire de la France un phare dans le monde.

Pierre Clairé, directeur adjoint des Etudes du Millénaire

Matthieu Hocque, directeur adjoint des Etudes du Millénaire

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Crédit photo : Dolto sous license Common Creative.

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