Jeudi dernier, mon compte Twitter a été suspendu définitivement. Comme celui de William Thay, président du think tank Le Millénaire et de plusieurs membres du think tank.
Ce n’est pas une pratique nouvelle pour ce réseau social dont de nombreux usagers subissent la censure, temporaire ou définitive, avec pratiquement aucun moyen de recours. Alors que j’attends encore la restauration de mon compte suite à une saisine sur la plateforme et un email adressé au directeur général de Twitter France, le constat est simple : seule la pression médiatique est aujourd’hui capable de contrebalancer ces décisions arbitraires de certains acteurs privés sur la parole publique.
Sans que nous ne puissions être certains des raisons qui ont amené le réseau social à nous suspendre sans justification, le blocage de nos comptes s’est fait après que nous ayons exprimé des critiques sur le programme économique de Jean-Luc Mélenchon et sur sa dernière sortie polémique : « La police tue ». Deux pans de l’idéologie mélenchoniste avec lesquels nous sommes en profond désaccord et que nous avons critiqué sur le fond. Vraisemblablement, nous avons été victime de signalement massif de la part de sympathisants de cette ligne politique.
Nous faisons ici face à une décision problématique à plusieurs niveaux. Parce qu’elle intervient sans justification, elle n’autorise pas l’utilisateur à organiser sa défense et à faire appel de manière pertinente puisqu’il ne sait de quoi il est accusé. Parce que la sanction définitive tombe sans avertissement alors qu’aucun de nos tweets n’a jamais été interdit par la plateforme et que nos comptes n’ont jamais fait l’objet d’une suspension temporaire, la décision prend la forme d’un couperet arbitraire décidant qui a droit de parler ou d’exister sur Twitter.
Un « deux poids, deux mesures » inacceptable dans l’espace public
Enfin, parce que, dans ces conditions, elle touche des personnes publiques, voire politique pour mon cas d’élue locale, en plein milieu d’une campagne électorale où un ex-candidat à la présidentielle assume de vouloir s’imposer comme Premier ministre, la sanction est profondément problématique et symptomatique des dérives anti-démocratiques de cette plateforme.
Tout cela n’aurait sans doute pas vraiment d’importance si la plateforme ne pratiquait pas un « deux poids deux mesures », tolérant certains propos virulents (comme l’appel aux meurtres de Français lancé par l’ancien Premier ministre malaisien Mahatir Mohammad) et intraitable sur des propos étayés, factuels, si ceux-ci sont signalés en masse.
Or Twitter n’est pas un simple forum à portée intimiste. Chaque mois, c’est plus de 12 millions d’utilisateurs en France qui se croisent sur cette plateforme dont la fibre est bien plus politique que d’autres réseaux sociaux comme Facebook ou Instagram. Malgré le format réduit, c’est un lieu de communication et de débat où l’interpellation directe des parties est courante, voire même constitue l’essence du concept. S’il faut bien de la modération, celle-ci doit être raisonnée, équitable et surtout transparente. Or aujourd’hui le concept est l’otage de mécanismes opaques de régulation.
Une politique de modération instrumentalisée contre la démocratie
Depuis 2016 et l’élection de Donald Trump, Twitter poursuit une politique de modération qui réduit la visibilité des messages de certains utilisateurs. Ces mécanismes de régulation de la plateforme deviennent en parallèle les instruments de certains collectifs qui les utilisent pour invisibiliser certains acteurs, dans la logique de la cancel culture.
En février dernier, Twitter avait déjà admis avoir supprimé “par erreur” les comptes de chercheurs et d’analystes signalant les déplacements des troupes russes constatés sur le territoire ukrainien au début de l’invasion. Certains suspectent que la suspension de ces comptes ait pu être le résultat d’une campagne de signalement réalisée par des “bot” russes (programmes reproduisant le comportement humain) même si Twitter n’a jamais reconnu ce fait. En France, la jeune Mila avait vu son compte Twitter suspendu suite à des signalements massifs. Dans notre cas, si cela était avéré, il s’agirait d’un signal très inquiétant quant à l’attitude du parti de Jean-Luc Mélenchon vis-à-vis des droits garantis par la Constitution, notamment la liberté d’expression.
Le symptôme d’un affaiblissement des Etats et du politique
L’opacité complète du processus, encore plus à l’égard d’élus représentants du peuple, met en lumière le renversement de paradigme auquel nous sommes confrontés. Twitter s’insère ainsi dans notre vie démocratique comme un filtre supplémentaire de la parole des personnes démocratiquement élues pour représenter les citoyens français.
C’est une évolution préoccupante de nos sociétés marquées par la dissolution du pouvoir politique au profit de géants économiques mondialisés. Les citoyens n’ont que très peu de moyens d’action pour faire valoir leurs préoccupations et leurs intérêts dans ces conditions. Les géants du numérique répondront en effet toujours avant tout à des enjeux économiques aux répercussions politiques, comme en sont la preuve les négociations tendues autour du possible rachat de Twitter par Elon Musk.
Si une partie de la société semble s’accommoder de cette perte de contrôle de son destin, de nombreuses voix s’élèvent pour la dénoncer. Une reprise en main est possible si nous alignons les efforts au niveau politique (imposition de règles donnant accès au marché européen, etc.) et au niveau des citoyens (boycott, pressions pour un changement de politique de Twitter, etc.). A l’heure où la consommation engagée est mise à l’honneur, chaque citoyen doit prendre conscience qu’il joue également un rôle dans la poursuite ou non de telles pratiques sur les réseaux sociaux.
par Marion Pariset, Secrétaire Générale du thinktank le Millénaire
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Crédit Photo : Image Twitter par Geralt via Pixabay sous Pixabay License
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