La Russie, l’Ukraine et la Turquie sont récemment parvenues à la signature d’un accord qui garantit pour les six prochains mois les exportations céréalières ukrainiennes en Mer Noire. Alors que les belligérants pèsent plus de 30% de la production mondiale de blé (12% pour l’Ukraine), la guerre en Ukraine a aggravé le risque de famines. En 2021, l’ONU enregistre déjà 40 millions de personnes supplémentaires en détresse alimentaire, et potentiellement plus de 200 millions à la fin de l’année 2022. Cette situation doit conduire l’Union européenne à apporter une politique extérieure cohérente et assurer sa souveraineté alimentaire pour éviter de nouvelles crises.
Le fruit d’un compromis diplomatique
Le conflit ukrainien a fortement perturbé les marchés agricoles par le blocage des exportations céréalières ukrainiennes. D’une part, une partie des champs de blé ukrainiens ont été détruits par les combats. Les exploitants agricoles ukrainiens ont éprouvé des difficultés pour accéder aux fertilisants et aux autres intrants. D’autre part, les ports ukrainiens ont été paralysés par le blocus imposé par la Russie et ont été en partie détruits par les bombardements. Ainsi, plus de 20 millions de tonnes de céréales (soit environ 1% de la consommation mondiale) ne peuvent être exportées.
Si les effets sur les volumes d’exportations seront limités, il s’agit, pour l’Ukraine, d’un accord symbolique pour reprendre les échanges commerciaux avec le reste du monde. Pour compenser cette victoire symbolique ukrainienne, la Russie, obtient de l’accord des garanties sur ses exportations agricoles ainsi que la fin des bocages indirects concernant le transport maritime imposés par les pays occidentaux. Alors que la Russie a renoué depuis la chute du communisme avec une stratégie agricole offensive pour s’imposer comme une puissance agricole mondiale de premier rang, cet accord lui offre des perspectives économiques pour ne pas risquer l’isolement et donc poursuivre son effort de guerre sur la durée.
Le symbole de l’avènement d’un nouveau rapport de force
La guerre en Ukraine marque le retour de l’agriculture et de l’alimentation dans le giron géopolitique. Le food power de la Russie contribue directement à l’envolée du cours du blé, structurellement au-dessus de 400€ depuis l’intervention en Ukraine. En effet, Vladimir Poutine a pu prendre en otage la communauté internationale puisque 45 pays du Sud importent depuis l’Ukraine ou la Russie au moins un tiers de leur consommation de blé, à l’image de l’Égypte (102 millions d’habitants et qui importe 59% de son blé d’Ukraine et de Russie). Cette envolée des prix alimentaires aura un double effet. D’un côté, un véritable ouragan de famines frappera les classes populaires et intermédiaires de ces pays, ce qui est d’autant plus préoccupant dans un contexte d’explosion démographique. De l’autre, la fragilisation de la balance commerciale de ces pays induira des répercussions sur d’autres postes dépenses publiques (services publics, investissements économiques, infrastructures).
Le food power russe s’appuie donc sur ces effets géopolitiques qui font planer la menace d’émeutes de la faim et d’une nouvelle vague migratoire. Pour la Russie, il s’agit de facto d’un outil au service d’une logique de conflit, ou du moins de rapport de force afin de négocier à son avantage. Cet accord symbolise l’avènement d’un monde marqué par la renaissance des nations-empires qui aspirent à une domination hégémonique sur leur zone d’influence géographique. Il n’est donc en rien étonnant que la Turquie, importateur de céréales russes et ukrainiennes, agisse en qualité de médiateur, afin de négocier un accord gagnant-gagnant avec ses voisins. Pour Erdogan et Poutine, cela s’inscrit dans un projet politique de rétablissement progressif du rapport de force avec l’Occident, et notamment avec l’Union européenne.
L’UE doit assurer sa souveraineté alimentaire
Si elle souhaite devenir une superpuissance capable de peser sur les affaires du monde, l’Union européenne doit engager une action diplomatique cohérente. Il s’agit à la fois de défendre ses intérêts et ceux des États membres tout en permettant de s’adresser aux autres pays. Ainsi, elle doit d’un côté utiliser ses leviers économiques et diplomatiques pour négocier avec la Russie. De l’autre côté, elle peut et doit faire l’écho des revendications des pays tiers comme ceux de l’Afrique dans ce contexte de crise alimentaire.
Seulement l’Union européenne ne retrouvera une voix puissante dans le concert des Nations que si elle renforce ses atouts sur le plan intérieur. Cela suppose notamment d’assurer une souveraineté alimentaire et d’être une puissance agricole. La PAC et la législation européenne doivent demeurer des leviers pour soutenir nos ambitions. L’UE doit impérativement veiller à assurer un jeu concurrentiel avec les pays tiers en assurant une réciprocité des conditions de production. De plus, il s’agit de se projeter vers les technologies révolutionnaires agricoles d’avenir telles que les agroéquipements et les robots agricoles autonomes pour être en mesure de répondre à la répétition des crises alimentaires.
En démontrant qu’ils peuvent se passer des pays occidentaux pour aboutir à des accords internationaux d’envergure, les nations-empires souhaitent endosser un rôle prépondérant dans la reconfiguration d’un nouvel ordre mondial multipolaire et dans la production des nouvelles règles internationales. Ce nouveau paradigme doit conduire les Européens à réagir face à ces nouvelles conflictualités géopolitiques et alimentaires en renouant avec une logique de rapport de force par la préservation d’une souveraineté alimentaire.
Marion Pariset, Secrétaire générale du Millénaire, think-tank gaulliste et indépendant, spécialisé en politiques publiques
Matthieu HOCQUE, Secrétaire général adjoint du Millénaire
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Crédit Photo : Blé, par KaiPilger via Pixabay sous Pixabay licence
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