Entretien de William Thay pour Atlantico : « Et sinon, à quand la fin de l’insouciance sur le régalien ? »

Les enjeux régaliens ont été largement mis de côté pendant le premier quinquennat.

1)Emmanuel Macron a ouvert avec gravité le premier Conseil des ministres de la rentrée en déclarant : « nous vivons la fin – pour qui en avait – d’une forme d’insouciance ».  Que cela soit lors du premier quinquennat ou dans les débuts de ce second, quel est le bilan d’Emmanuel Macron sur le régalien ? A quel point a-t-il été “insouciant” sur ces questions ? 

William Thay : Le bilan d’Emmanuel Macron est jugé très négativement par les Français. En effet, dans un sondage récent Ifop, seul 25% des Français ont un jugement positif du bilan sécuritaire d’Emmanuel Macron. On pourrait se dire que cela correspond à son socle électoral, seulement, lorsque la même question était posée en 2018, ils étaient 41% à avoir un avis positif et même 32% au début de l’année. On assiste à une chute importante cet été malgré l’activité affichée du ministre de l’Intérieur. Cela s’explique notamment par le fiasco du Stade de France qui a révélé les failles françaises alors que nous devons organiser deux événements sportifs majeurs comme la Coupe du monde de Rugby en 2023 ainsi que les Jeux Olympiques de Paris en 2024. De plus, cet été est marqué par des faits divers qui deviennent petit à petit des faits de société : les refus d’obtempérer, les rodéos, etc.

Le président de la République a souvent été jugé par les oppositions notamment de droite et d’extrême droite comme faible sur les questions régaliennes. Cela repose sur le fait qu’hormis des moments de lucidité (discours par suite de l’assassinat de Samuel Paty, entretien à Valeurs actuelles), le chef de l’État n’a jamais donné l’impression d’avoir le bon diagnostic sur la montée de l’insécurité dans le pays. Il semble conserver l’analyse du Parti socialiste sur ces questions, en affirmant que les problèmes se régleront une fois que la France ne sera plus en crise économique. Avec cette doctrine, les enjeux sécuritaires disparaitront lorsque la France atteindra le plein-emploi et que le pouvoir d’achat des classes moyennes et populaires augmentera. De plus, il faut ajouter que sa majorité parlementaire au moins durant le premier quinquennat était davantage sur cette doctrine que sur celle de Gérald Darmanin. 

Enfin, si le « en même temps » a permis d’avoir de très bons résultats électoraux comme le souligne les résultats de la dernière élection présidentielle, est-ce qu’il permet d’avoir une politique cohérente sur le plan régalien et de la justice ? Si Emmanuel Macron avait semblé vouloir tourner le dos à François Hollande sur plusieurs sujets, il semble avoir conserver son art de la synthèse.  En effet, le Chef de l’État comme son prédécesseur conserve un ministre de l’Intérieur actif sur la lutte contre l’insécurité avec Darmanin comme Hollande avec Valls, et un ministre de la Justice davantage tourné vers la réinsertion que sur la sanction pénale avec Éric Dupond-Moretti, comme Hollande avec Taubira. On assiste ainsi à la limite du « en même temps ».

2) Au regard de la violence, des ratés de l’intégration qui s’installent dans le quotidien, peut-on espérer que le macronisme lors de son second quinquennat sorte de son tropisme très largement économique et que la question du régalien soit prise à bras le corps ? Qu’est-ce qui pourrait le permettre ?

Pour cela, il faudrait que le président de la République sorte du logiciel politique qui a fait ses succès électoraux à savoir le « en même temps ». Pour résoudre une partie de la montée de l’insécurité en France, il faut adopter une politique cohérente entre le ministère de l’Intérieur et le ministère de la Justice. Trop souvent, les policiers se plaignent qu’ils attrapent des délinquants pour les voir relâcher par la Justice ou avec une sanction trop faible. Ainsi, il est primordial d’avoir une cohérence de doctrine entre les forces de l’ordre et les juges. 

Seulement, est-il possible que le président de la République sorte de ce logiciel politique alors qu’il constitue le cœur de sa majorité parlementaire à l’Assemblée nationale ? On arrive à une deuxième possibilité qui repose sur un changement de majorité parlementaire à travers une alliance avec la droite parlementaire. Cette alliance reposerait notamment sur un volet programmatique sur deux piliers : économie, régalien. Dans cette hypothèse, il est très probable qu’Éric Dupond-Moretti soit remplacé par un ministre de droite, ce qui rentrerait en cohérence avec mon propos précédent sur la nécessité d’avoir une cohérence entre la place Beauvau et la place Vendôme. Toutefois, on doit poser une limite à cette hypothèse. Depuis le résultat des élections législatives, une grande majorité des Députés Les Républicains ne veut pas d’alliance avec Emmanuel Macron dans la mesure où ils n’ont pas été élu pour soutenir le président de la République.

Il reste enfin une dernière possibilité, la pression des événements et de l’opinion publique. Emmanuel Macron a démontré depuis la crise des Gilets jaunes, qu’il était capable de faire évoluer son logiciel en fonction de la pression de la rue et des sondages. Sur ces points, il est tout à fait possible qu’il fasse évoluer sa doctrine sécuritaire si une pression de l’opinion l’exigeait davantage. Ensuite, je vois également une autre possibilité, les deux grands événements sportifs et notamment les Jeux Olympiques de 2024. Le président de la République semble très soucieux de son image à l’international, alors est-ce qu’il prendra le risque de subir le même fiasco qu’au Stade de France ? 

3) L’absence de majorité au Parlement et le calendrier politique avec l’élection pour la présidence du RN et celle pour LR peuvent-ils provoquer une bascule en matière de régalien ?

L’attitude des Républicains et du Rassemblement national peut être l’occasion d’une bascule sur le plan régalien. En effet, les deux partis politiques jouent de manière plus constructive que la Nupes et en particulier la France insoumise. C’est-à-dire que la majorité présidentielle a plus tendance à vouloir s’appuyer sur les LR et le RN pour faire passer des textes à l’Assemblée que sur la NUPES. Alors qu’Emmanuel Macron avait ouvertement dragué les électeurs de Jean-Luc Mélénchon pour le second tour de l’élection présidentielle, les élections législatives ont marqué un nouveau tournant pour l’exécutif. Avec cette configuration, Emmanuel Macron doit donner des signes sur le plan régalien pour ne pas avoir un front trop important sur sa droite avec notamment une rentrée difficile avec la crise énergétique, climatique, et économique. De plus, il a besoin de ces partis pour faire passer des textes clivants comme la réforme de l’Assurance-chômage et la réforme des retraites.

Autant l’élection à la présidence du Rassemblement national ne changera pas grand-chose pour Emmanuel Macron, parce qu’il ne changera pas le leadership de ce parti puisque c’est Marine Le Pen qui décide. En revanche, l’élection à la présidence des Républicains peut faire évoluer les choses. Si Éric Ciotti est élu, est-ce que les groupes parlementaires de droite se montreront aussi conciliants avec l’exécutif ? Rien n’est moins sûr, et cela risque de se tendre davantage au fur et à mesure que nous approcherons des échéances électorales. Emmanuel Macron a tout intérêt à agir le plus rapidement possible, avant l’hiver avant l’élection à la présidence des Républicains et avant l’hiver qui risque d’être tendu avec la crise énergétique pour faire passer les textes les plus compliqués. Pour cela, il pourra donner des gages sur le régalien en contrepartie notamment dans le cadre du débat sur l’immigration.

William Thay, président du Millénaire, think-tank gaulliste spécialisé en politiques publiques. 

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Crédit photo : Police  par Rama sous licence CC BY-SA 2.0 FR, via Wikimedia Commons

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