Entretien de William Thay pour Atlantico : « Séminaire gouvernemental de rentrée : cherche vision désespérément »

Les éléments détaillés par Elisabeth Borne a l’issu du séminaire gouvernemental ce mercredi se sont concentrés sur une simple énumération de dossiers et démontre que le gouvernement est centré sur la gestion, là où la France à besoin de refondation

Atlantico : Elisabeth Borne tenait aujourd’hui un séminaire gouvernemental de rentrée qui se devait placer sous le signe de l’écologie, que peut-on en retenir ?

William Thay : Ce séminaire gouvernemental cumule les défauts en étant à la fois large et faible. On peut dire que ce séminaire est large car il souhaite fixer 60 politiques prioritaires, il apparait comme peu probable que le Gouvernement puisse toutes les tenir. En effet, au vu de la composition de l’Assemblée nationale depuis les dernières élections législatives, il est difficile que les oppositions se mettent d’accord avec le Gouvernement sur des sujets aussi larges que variés. On peut également dire que le séminaire est faible, car quand vous fixez de plus en plus de sujets, vous avez de plus en plus de chance de provoquer des désaccords avec les oppositions. Par conséquent, il est probable que le Gouvernement choisisse parmi ces 60 politiques prioritaires des sujets non clivants afin de rassembler le plus largement. On peut ajouter qu’au regard de la situation que nous traversons (crise énergétique, économique, dérèglement climatique, guerre en Ukraine), les réponses du Gouvernement ne semblent pas à la hauteur des événements.

Sur le plan de l’écologie par exemple, nous commençons à observer les limites flagrantes du « en même temps ». Pour réussir à respecter les accords de Paris, le Gouvernement doit conduire la France à adopter une transition énergétique à marche forcée qui conduira implicitement soit à une décroissance à travers une révision de notre consommation soit à des investissements très lourds pour accélérer la transition. Cependant, ces objectifs apparaissent contradictoires avec la volonté du Gouvernement de maintenir une croissance économique importante et la réindustrialisation de notre pays d’un côté. De l’autre côté, les investissements importants posent la question de l’orthodoxie budgétaire. Comment les financer sans augmentation de la dette, des dépenses publiques ou des prélèvements obligatoires ? De plus, l’argent public se faisant de plus en plus rare, les citoyens se posent la question de l’affectation du budget. Est-ce qu’il apparait pertinent de financer davantage la transition énergétique alors que nous traversons des problèmes de court terme comme le pouvoir d’achat, d’insécurité et de manques de moyens dans les services publics comme la justice ? Alors que le logiciel d’Emmanuel Macron visait à la fois à parler à la gauche et à la droite. Il risque sur ce sujet, de provoquer des mécontentements de la gauche et de la droite.

De ce fait, on peut pointer une incohérence dans le discours gouvernemental. Emmanuel Macron a insisté lors de la rentrée que nous vivions « la fin de l’abondance », et le Gouvernement insiste sur les temps difficiles à venir. Est-ce qu’il est concevable que les Français puissent considérer que les réponses du séminaire gouvernemental apparaissent à la hauteur des enjeux que le Gouvernement a lui-même décrit comme « difficile » ? Il s’agit d’une nouvelle contradiction dans la politique du Gouvernement. À mon avis, il souhaite répondre à trop de sujets, en perdant de la force et des leviers sur des sujets qui auraient pu dresser comme prioritaire. 

Comment expliquer qu’il y ait eu si peu d’annonces concrètes lors du point de presse de la Première ministre ? Qu’est-ce que cela dit du pouvoir ?

Emmanuel Macron a été réélu pour faire face aux crises que traversent notre pays. Le début de la Guerre en Ukraine a marqué à la fois le retour du tragique en Europe mais également le moment où nous étions certains que le Chef de l’État allait être reconduit pour un nouveau mandat. Cette situation cumulée à la gestion de la crise sanitaire depuis mars 2020, a conduit Emmanuel Macron à adopter une position de président protecteur face aux crises. Comme il a été élu pour cela, il doit être à la pointe sur la gestion de chaque nouvelle crise qui pourrait apparaitre. Seulement, lorsque vous affrontez une seule crise, même si elle peut posséder plusieurs dimensions, il est plus simple d’apporter une réponse en politiques publiques. 

Le Gouvernement doit affronter toutes les crises (économiques, diplomatiques, énergétiques, climatiques, sécuritaires) alors que les réponses à adopter peuvent être contradictoires les unes avec les autres. Par exemple, la montée de l’insécurité nécessite au-delà d’un changement de doctrine, davantage de budget pour la police, la justice et l’administration pénitentiaire. Seulement, la crise économique avec la montée des taux d’intérêts doit conduire le Gouvernement à limiter les dépenses pour éviter une crise financière voir une crise monétaire. Cette même contrainte s’applique à la crise climatique qui nécessite l’allocation de beaucoup de ressources. De plus, la protection du pouvoir d’achat des Français apparait en contradiction avec la volonté d’Emmanuel Macron et de l’Union européenne de tenir un discours ferme avec Vladimir Poutine.

Emmanuel Macron semble être pris en piège, puisque pour sortir de l’impasse, il faudrait hiérarchiser les problèmes et lever les contradictions du « en même temps ». Si vous hiérarchisez les crises, vous avez la capacité de définir des priorités et de savoir où vous allez concentrer vos ressources humaines, budgétaires et politiques. Cela suppose également de lever les ambiguïtés du « en même temps » qui apparait inadapté lorsqu’il faut prendre des décisions fortes et radicales. À titre d’illustration, la transition énergétique nécessite presque une révolution de notre mode de consommation et de production, et donc appelle à une réponse gouvernementale très forte mais cela est incompatible à court terme avec la volonté de produire davantage sans changer de mode de consommation. Deuxième illustration, vous ne pouvez pas « payer le prix de la liberté » pour soutenir l’Ukraine face à la Russie, tout en souhaitant limiter l’endettement, les dépenses publiques et les impôts et préserver le pouvoir d’achat des ménages français.

Je pense que le Gouvernement n’effectue que très peu d’annonces, parce que les Français vont s’apercevoir très vite des contradictions mentionnées. À ce moment-là, la question inflammable de qui va payer, se posera. De plus, le Gouvernement ne disposera pas contrairement en 2018, d’une majorité absolue pour faire face à un nouvel épisode des Gilets jaunes. Le Gouvernement doit ainsi montrer qu’il avance sur des sujets, tout en prenant pas le risque de sortir de ses contradictions pour éviter un nouvel épisode social, c’est pourquoi il n’y a que très peu d’annonces.

Le gouvernement est-il dépourvu d’une vision politique claire de son action pour les cinq ans qui viennent ? Peut-il se renouveler ?

Il y a deux points très importants à votre question : la situation politique d’Emmanuel Macron et son logiciel politique.

Comme mentionné précédemment, Emmanuel Macron doit son élection à une situation de succession de crise (sanitaire, économique, Ukraine, etc.) et a été élu comme président protecteur. Le président de la République possède deux fonctions principales : celle de l’incarnation comme Chef de l’État, mais également celle de chef de l’exécutif depuis l’apparition du quinquennat associée à ce qu’on appelle en sciences politiques le fait majoritaire (disposer d’une majorité absolue). Pour la fonction d’incarnation, les Français ont exprimé de façon très nette à ne vouloir être représentés ni par Marine Le Pen ni par Jean-Luc Mélenchon. De plus, Emmanuel Macron disposait de l’avantage d’être à la fois le candidat le plus jeune et le plus expérimenté. En revanche, pour la fonction de chef de l’exécutif, les élections législatives ont donné une majorité relative au président de la République. C’est-à-dire, qu’ils ont donné une majorité à Emmanuel Macron sans pour autant lui donner une carte blanche pour la gouvernance des cinq prochaines années. Ils ont ainsi placé Emmanuel Macron sous la surveillance des oppositions et du Parlement.

Par conséquent, Emmanuel Macron à la différence du quinquennat précédent n’a pas l’assise politique pour faire porter un projet visionnaire de la France de 2027 ou de 2040. Si en plus, vous ajoutez les contraintes extérieures auxquels il fait face comme les crises, il y a plus de chances que ce quinquennat soit celui de l’immobilisme que de l’action. À ce titre, le Conseil national de la refondation doit lui permettre d’élargir son assise politique aussi bien au Parlement que dans le pays. Cependant, est-ce les objectifs affichés sont assez forts et est-ce que le projet est assez attractif pour conduire à une union nationale derrière le président de la République ? Le refus de Gérard Larcher d’y participer donne déjà une indication.

Emmanuel Macron fait face à une deuxième difficulté, son logiciel politique apparait à contre-courant des grandes mutations que nous traversons. Il voulait ainsi adapter la France à la mondialisation en levant les barrières de mobilité sociale et géographique comme il l’avait indiqué dans son livre Révolutions. Cependant, ce projet s’est heurté à la résistance des Gilets jaunes qui ont rejeté et mis à mal son premier quinquennat. De plus, il voulait réformer l’Union européenne comme il l’avait affirmé dans son discours de la Sorbonne. La crise sanitaire et la guerre en Ukraine et leurs effets ont plutôt conduit à un retour des nations comme l’ont montré tous les différents sondages pendant la crise sanitaire. Ces sondages ont montré que les notions de frontières, de réindustrialisation, de relocalisation étaient les nouvelles notions en vogue. Cela a définitivement refermé la parenthèse de la fin de l’Histoire de Francis Fukuyama. Enfin, il faut ajouter que les élections législatives ont réintroduit un changement de régime et le retour de la politique entendu par le débat idéologique et d’idées plus que technique. Plus qu’un Gouvernement politique, nous avons un gouvernement gestionnaire qui fait penser à la République des experts. Elisabeth Borne incarne par essence ce gouvernement technique sans vision politique pour le pays. 

En conclusion, pour disposer d’un nouveau cap, Emmanuel Macron doit se réformer lui-même. Est-ce qu’il arrivera à le faire ? Rien n’est moins sûr, tant les contradictions sont importantes avec ce qu’il est depuis son arrivée sur la scène publique.

William Thay, président du Millénaire, think-tank gaulliste spécialisé en politiques publiques. 

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Crédit photo : Élisabeth Borne  par Jacques Paquier sous licence CC BY-SA 2.0, via Flickr

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