Atlantico : Liz Truss a été élue à la tête du parti conservateur et sera la prochaine Première ministre. Sur le plan économique, elle semble prôner un revival thatchérien déconnecté de l’état économique et social du Royaume-Uni. Dans quelle mesure son élection est-elle le signe que les militants sont prêts à fermer les yeux sur une certaine inanité de son programme au nom du rejet de l’establishment et d’une figure plus raisonnable comme Rishi Sunak ?
Emeric Guisset : Finalement, cette élection à la tête du parti Conservateur s’est jouée sur des problématiques plus vastes que simplement la crédibilité économique. La vision de la société, les imaginaires mobilisés et enfin la question du bilan de Boris Johnson ont été les éléments clés du succès de Liz Truss. En effet, Rishi Sunak qui occupait le prestigieux poste de Chancelier de l’Échiquier (équivalent en France de ministre des Finances) et qui bénéficiait dans l’opinion d’une image d’expert des questions économiques n’a recueilli que 43% des voix. Cette image de supériorité technique de Rishi Sunak s’est accompagnée d’une image de déconnexion de la réalité du quotidien des Britanniques qui lui a été reprochée durant la campagne.
A l’inverse, Liz Truss a su mobiliser les électeurs à travers des images, qui certes peuvent apparaitre anachroniques, mais qui ont su dresser une perspective pour l’électorat. Au discours fataliste de Rishi Sunak sur la situation du pays, Liz Truss a pour sa part réussie à capitaliser sur l’idée partagée par 60% des Britanniques que leur pays est en déclin mais en indiquant que cela n’était pas irrémédiable. C’est ce prisme du sursaut national qui permet d’expliquer et de comprendre la radicalité revendiquée de son programme. En se référant à son modèle Margaret Thatcher, Liz Truss confirme sa volonté de produire un choc fiscal et d’adopter des remèdes qui s’éloigneront des consensus habituels pour permettre au Royaume-Uni de redresser sa trajectoire.
Enfin, Liz Truss a repris à sa manière les visions de Boris Johnson de « Singapour sur tamise » et de « Global Britain » visant à faire du Royaume-Uni un eldorado commercial présent et influent sur l’ensemble du globe. La victoire de Liz Truss, perçue comme pro-Johnson, face à Rishi Sunak, accusé d’avoir provoqué la démission de Boris Johnson, permet de tirer deux enseignements. Premièrement, le fait de remporter cette élection sans avoir la préférence des députés confirme une forme de rejet de l’establishment et des personnalités qui attirent le soutien de celui-ci. Deuxièmement, cette élection confirme le succès de la stratégie électoral et politique de Boris Jonhson, les électeurs lui ont reproché ses scandales mais pas sa ligne politique qui a été de nouveau choisie.
Que ce soit avec Trump, Johnson, Truss, Mlloni ou d’autres, à quel point les électeurs ne sont-ils pas dupes des défauts de leurs champions. Pourquoi les plébiscitent- ils malgré tout ? Leur posture anti-système et l’espérance d’obtenir un changement du statu quo de l’ère néolibérale gouverne-t-il le choix des électeurs ?
Emeric Guisset :Les démocraties occidentales sont sensiblement confrontées au même phénomène de crise de la démocratie. Aux difficultés économiques, à l’inquiétude identitaire, s’ajoute une crise profonde de la représentation. Une partie importante de l’électorat n’a plus l’impression d’être véritablement représenté mais surtout ne de plus être défendu. Le sentiment de défiance à l’égard des politiques est très important car ces derniers n’ont pas réussi à défendre les classes populaires face au phénomène de la mondialisation, voire sont accusés d’avoir encouragé ce mouvement de modernité. Alors que le besoin de protection face aux différentes menaces se renforcent, deux phénomènes se conjuguent :
– les électeurs peinent à trouver des personnalités capables de répondre à ces attentes
– déçus par les politiciens traditionnels, les électeurs deviennent de plus en plus perméables aux discours traditionnels.
Une posture anti-système permet donc d’apporter une réponse à ces deux enjeux. Elle est pour le politicien le moyen de s’inscrire en opposition avec les autres politiques et un système accusé de tous les maux, mais aussi ce faisant d’avoir la capacité d’intéressé un public qui a décroché de la vie politique. Si par ce positionnement anti-système les électorats de Trump et Johnson sont davantage composés de personnes non-politisées, les électeurs ont connaissance de leurs défauts. En effet, le traitement médiatique des candidats identifiés comme ayant des postures anti-systèmes ne fait pas l’ombre sur les défauts de ces candidats. Pourtant cette critique médiatique, qui peut faire faire douter l’électorat politisé, conduit à un renforcement du choix des électeurs les moins politisés. Attaquées par un système jugé défaillant par une partie des électeurs, ces personnalités deviennent pour eux des symboles et des politiques vraiment différents des autres. Ils deviennent pour les électeurs qui ont subi les conséquences du modèle néolibérale des recours crédibles pour provoquer un changement de paradigme.
Même si certains gagnent, les populistes semblent ne pas réussir à construire une vraie offre durable, et malgré tout ils continuent d’être choisis, qu’est-ce que tout cela nous dit de l’état des démocraties occidentales ?
Emeric Guisset :Bien qu’elles soient efficaces électoralement, les postures anti-systèmes évoquées précédemment provoquent une très forte attente chez les électeurs. Confrontés souvent à une réalité plus difficile qu’annoncée, le principal danger pour les populistes qui arrivent au pouvoir est ensuite de décevoir. Au-delà de certaines victoires symboliques qu’ils peuvent obtenir, comme le Brexit par exemple, ils doivent ensuite parvenir à rendre concrètes leurs promesses. A ce titre, on peut convenir qu’il était finalement plus facile pour Nigel Farage et Boris Johnson de faire gagner le « Leave » lors du référendum du Brexit que de le réaliser concrètement. Boris Johnson avait d’ailleurs fait de sa capacité à réaliser le Brexit un puissant argument de campagne lors des élections législatives de 2019 avec le slogan « Get Brexit Done ».
Cet exemple permet d’illustrer la seconde difficulté pour les populistes à construire une offre politique durable, celle de l’institutionnalisation. Souvent porté au pouvoir par un positionnement anti-système, ou tout du moins contestataire, il devient une fois au pouvoir bien plus difficile pour eux d’exister seulement par des postures d’oppositions. Ils doivent alors entamer une mue de crédibilisation et d’institutionnalisation qui présente le risque en devenant un parti comme les autres de perdre une partie leur base électorale. C’est notamment le phénomène que nous avons pu observer en Italie avec le mouvement de Matteo Salvini (Lega) qui a été remplacé par celui de Giorgia Meloni (Fratelli d’Italia) dans sa fonction contestataire.
Ceci met en relief la crise de la démocratie auxquelles sont confrontés les démocraties occidentales. Ces dernières sont traversées par de forts mouvements de contestations dont les victoires politiques ne conduisent pas nécessairement à un apaisement démocratique. Au contraire, c’est parfois à une surenchère contestataire à laquelle nous aboutissons soit en reprochant à ces mouvements d’avoir trahi leurs idéaux initiaux, soit en poussant une partie différente de la population à se mobiliser contre le nouveau paradigme. Ainsi, nous assistons à une fatigue de nos démocraties occidentales face aux phénomènes d’archipélisation de la société et de développement de la radicalité qui conduisent davantage à la défense des intérêts particuliers plutôt qu’au compromis.
Même si Emmanuel Macron incarne à plein le cercle de la raison, il a aussi joué la carte du dégagisme lors de sa première élection. Est-ce cette absence de contestation du système qui peut expliquer, aujourd’hui, la panne du macronisme ? et plus largement des raisonnables ?
Emeric Guisset :En 2017 malgré son positionnement centriste, Emmanuel Macron avait adopter de nombreux codes des postures anti-systèmes. En voulant incarner le dépassement des vieux clivages et donc implicitement en se présentant comme le candidat permettant de faire table rase des partis traditionnels, Emmanuel Macron a bénéficié d’un certain élan contestataire. Il a pu être le réceptacle d’une partie de l’électorat, qui sans pour autant vouloir se tourner vers les extrêmes, souhaitait mettre fin à un système de rente électorale reposant sur l’alternance.
L’une des difficultés aujourd’hui pour Emmanuel Macron est en effet qu’il ne bénéficie plus de cette dynamique particulière dont le moteur était la transformation de la société française en supprimant les situations de rente et en levant les blocages. Cette perte de dynamique est particulière perceptible sur le plan politique où le nouveau monde promis par Emmanuel Macron ressemble étrangement à l’ancien. D’une situation de rente électorale entre le PS et UMP grâce à l’alternance et au bipartisme, nous sommes passé à une forme de rente électorale pour le parti présidentiel rendu possible l’affaiblissement des partis traditionnels et reposant sur le barrage aux extrêmes.
Finalement, alors qu’il était le candidat de la disruption Emmanuel Macron a muté d’électorat et de posture au cours de son quinquennat pour devenir en 2022 le candidat de la préservation. Il s’est transformé en une version plus raisonnable, qui ne correspond pas aux attentes des Français sur le plan intérieur, mais qui en raison du contexte de crise et d’incertitude était l’équation gagnante pour l’élection présidentielle.
Emeric Guisset, Secrétaire général adjoint du Millénaire
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Crédit photo : Liz Truss par DFID – UK Department for International Development, via Flickr sous licence CC-BY-2.0
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