Depuis la politique du Duc de Sully, principal conseiller d’Henry IV, qui affirmait que « labourage et pâturage sont les deux mamelles de la France », la France s’est imposée comme la principale puissance agricole européenne. Notre pays est ensuite devenu une puissance agricole mondiale de premier rang après avoir vécu une révolution agricole sans précédent au lendemain de la Seconde guerre mondiale. En 1950, 30% de la population nourrissait la totalité de la population nationale contre moins de 2% en 2020.
En l’espace de deux générations, le monde agricole français s’est profondément transformé pour préserver la sécurité alimentaire des Français ainsi que notre modèle économique et de société. Désormais, notre modèle agricole est soumis à trois tendances majeures qui le rendent particulièrement vulnérable aux crises exogènes. Une nouvelle ère géopolitique et économique s’ouvre avec son lot de crises qui ont bouleversé nos certitudes agricoles en ce début de millénaire
Tout d’abord, la crise financière de 2008 acte la fin de l’ère économique néolibérale initiée par Ronald Reagan et Margareth Thatcher qui ont contribué à libéraliser et financiariser les marchés agricoles. Le néolibéralisme a contribué à enrayer les famines et l’extrême pauvreté puisqu’il y avait en 1980 près de 2,5 milliards de personnes en situation d’extrême pauvreté dans le monde (40% de la population mondiale), contre 780 millions aujourd’hui (11% de la population mondiale). Pour autant, cette financiarisation des marchés agricoles a engendré une vulnérabilité aux chocs financiers, à l’image de la crise alimentaire de 2007-2008 causant des émeutes de la faim dans plusieurs pays en Afrique et en Amérique latine. Jusque-là concentrés dans les pays du Sud, ces ressentiments sont désormais partagés par les classes populaires et moyennes occidentales, eu égard au tassement de leur niveau de vie et un accroissement des inégalités, comme en témoigne la crise des Gilets Jaunes.
Ensuite, la crise sanitaire a directement révélé les failles structurelles de notre modèle. Si elle nous rappelle que le secteur agricole est directement vulnérable aux aléas climatiques et sanitaires, elle acte également la victoire des modèles asiatiques. Ainsi, la crise sanitaire marque l’avènement de la zone Indopacifique. Certains pays asiatiques sont devenus des puissances agricoles suite à leur révolution agricole durant la seconde moitié du XXème siècle (Chine, Inde). Ces pays ont ensuite opéré des changements structurels de modèle, afin de résister à la compétition internationale agricole avec des stratégies productivistes tirées par l’abaissement des coûts de production et par un État-stratège qui soutient leur secteur agricole.
Enfin, la guerre en Ukraine est venue perturber les marchés agricoles. En effet, ce conflit oppose directement deux puissances agricoles exportatrices et acte le retour de l’agriculture et de l’alimentation dans le giron géopolitique. Le secteur agricole fait désormais partie d’un arsenal géopolitique qui peut mis au service d’une logique de conflit (food power), ou du moins de rapport de force. Il s’agit d’un élément central pour une stratégie de souveraineté alimentaire étant donné que le XXIème siècle marque l’avènement du conflit entre les superpuissances américaine et chinoise ainsi que la renaissance des nations-empires qui aspirent à une domination hégémonique sur leur zone d’influence.
En dépit des différentes crises, les Français n’ont pour l’heure pas eu à souffrir de pénurie alimentaire générale grâce à nos acteurs agricoles qui ont formidablement relevé les récents défis. Pour autant, alors que les différentes superpuissances et les nations-empires se livrent une bataille agricole sans précédent, notre puissance agricole doit être préservée pour sécuriser l’alimentation des Français ainsi que pour dominer les futures crises de notre siècle.
Par Matthieu Hocque SGA du Millénaire,
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Crédit Photo : Blé, par KaiPilger via Pixabay sous Pixabay licence
Article très intéressant