Le retour de la droite en Europe

Après avoir fêté le 30ème anniversaire du Traité de Maastricht, le modèle de l’Union européenne semble arriver à un tournant. Elle est aujourd’hui marquée par de profonds antagonismes entre le Nord et le Sud, mais également entre l’Ouest et l’Est. Si la droite était au plus bas ces dernières années dans les pays d’Europe occidentale, elle semble faire son retour. En effet, les dernières percées électorales de la droite à l’image de Meloni en Italie font augurer l’avènement d’une deuxième révolution conservatrice en Europe contrastant avec la situation politique européenne du début du XXIème siècle. En 2003, avant les élargissements en Europe de l’Est, 13 gouvernements des 15 pays composant l’Union européenne étaient ancrés à gauche. Ces gouvernements bénéficiaient de la progression de la social- démocratie en Europe à la fin de la deuxième moitié du XXème siècle. Aujourd’hui, force est de constater que le retour de la droite marque un changement politique profond opéré dans les sociétés européennes, si bien qu’il faut s’intéresser à ce phénomène pour déterminer s’il est durable et significatif.

Pourtant, le départ d’Angela Merkel de la chancellerie et l’arrivée au pouvoir d’Olaf Scholz marque la perte par la droite européenne de la première économie de l’Union européenne ainsi que du dernier « pays majeur» du continent. Avant l’Allemagne, c’est la France, l’Italie ou l’Espagne qui étaient passées à gauche et jusqu’à l’été dernier, la Grèce était la plus grande économie de l’Union gouvernée par un gouvernement de droite, symbole des difficultés auxquelles sont confrontés les partis de droite. En effet, les différents partis de droite semblaient dépassés par la gauche en Europe du Sud et par les partis libéraux et progressistes au Nord et en Europe Continentale. Ceux-ci ne semblaient pas adaptés aux nouveaux paradigmes rencontrés et étaient jugés incapables d’offrir des réponses cohérentes aux problématiques actuelles. Seuls les partis conservateurs et nationalistes d’Europe de l’Est semblaient résister, mais leur modèle est difficilement transposable aux autres pays. Ainsi, l’opposition entre la droite et la gauche traditionnelle, qui avait été la grille de lecture de la vie politique européenne, semblait avoir fait place à celle des progressistes contre les nationalistes et traditionalistes de l’Est. Une nouvelle opposition Est/Ouest en soi ou l’Europe d’Emmanuel Macron face à celle de Viktor Orban, excluant de facto la droite traditionnelle.

Pour autant, les élections ayant eu lieu récemment ont semblé marquer un sursaut de la droite en Europe. On peut notamment citer les victoires de l’Union de centre droit en Italie lors des dernières élections générales ou la victoire du bloc de droite en Suède dernièrement. Mais il ne faut pas oublier les dernières élections législatives danoises, qui ont vu une montée de la droite, et même si la gauche a conservé la majorité pour quelques voix, celle-ci est en mesure de peser et toque à la porte du pouvoir. Dans de nombreux autres pays européens, où les électeurs vont être appelés aux urnes dans les mois à venir, la droite a aussi grandi en importance ces dernières années si bien qu’un retour est plus que probable dans ces pays. À titre d’exemple, nous pouvons citer les Espagnols de VOX qui semblent en mesure d’accéder aux responsabilités s’ils s’allient au Partido Popular.

Au-delà de la conquête du pouvoir au niveau national, cette montée généralisée de la droite en Europe pourrait se concrétiser par une prise de pouvoir au sein des institutions européennes. Une deuxième révolution conservatrice pourrait faire prendre un nouveau virage à l’Union européenne en résolvant les antagonismes en son sein. Cela conduirait à une domination de la droite pour les 30 prochaines années jusqu’au centième anniversaire du Traité de Rome en mars 2007. Cette nouvelle orientation, plus proche des aspirations des peuples européens, permettrait de répondre aux grandes mutations mondiales en cours.

Pourtant il est nécessaire de relativiser l’importance prise par la droite, car il existe en Europe trois droites différentes qui semblent difficilement réconciliables. Si mathématiquement la droite plurielle prend l’ascendant dans de nombreux pays, il ne faut pas oublier que la politique ne se résume pas uniquement à des chiffres et qu’ainsi une hypothétique prise de pouvoir est plus complexe qu’il n’y parait. Les trois droites qui s’opposent en Europe sont la droite libérale représentée par le Parti Populaire Européen au Parlement, la droite conservatrice représentée par l’ECR (European Conservatives and Reformists) et la droite identitaire ou nationaliste représentée par le groupe ID (Identity and Democracy). Dans les pays où la droite a pris le pouvoir au cours de la dernière année, c’est par le biais d’une union des droites que cela s’est concrétisé. Ces unions ont été encouragées par les systèmes électoraux respectifs de ces pays qui fonctionnent principalement sur la constitution de coalitions parlementaires. En Italie, le parti Fratelli d’Italia de Giorgia Meloni a fait alliance avec la Lega de Matteo Salvini et Forza Italia de Silvio Berlusconi. En Suède, c’est une alliance entre le Parti modéré de rassemblement, les Chrétiens-démocrates et Les Libéraux qui est arrivée au pouvoir avec également le soutien sans participation des Démocrates de Suède, parti nationaliste comptant 73 députés. Ainsi, au sein d’un système parlementaire, l’arrivée de la droite au pouvoir en Europe repose surtout sur des alliances entre les différents courants de droite. Malgré cette progression de la droite en Europe et même s’il est probable que lors des prochaines élections européennes les électeurs votent en majorité à droite, nous ne devrions pas assister à un renversement des rapports de force au parlement. En effet, les ententes nationales entre les droites, aboutissant à des coalitions gouvernementales dans certains pays, ne sont pas reproductibles à ce stade au sein du Parlement Européen.

Il n’en reste pas moins que cette droitisation de l’électorat en Europe est un phénomène important à étudier dans la mesure où il risque de dominer les prochaines décennies. Il pourrait se matérialiser par des changements profonds dans les institutions et législations, ce qui interpelle et nous invite à nous questionner sur ce phénomène.

Par Sean Scull et Marine Audinette, analystes au millénaire,

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Crédit Photo : Parlement européen, par Gzen92, sous licence CC BY-SA 4.0, via Wikimedia

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