Udo Le Quéau pour Atlantico : « Taxer les superprofits : une vraie mauvaise idée ? »

La Commission anticipe une croissance quasi nulle de 0,4% sur 2023 contre 1,3% initialement projeté, induisant la nécessité de trouver de nouveaux moyens exceptionnels de financement tels que les superprofits.

La crise sanitaire et le choc énergétique provoqué par la guerre en Ukraine ont balayé l’ère néolibérale et, avec elle, l’orthodoxie des règles budgétaires européennes. En effet, avec la guerre en Ukraine, la situation économique s’est progressivement assombrie, contraignant le Gouvernement français à intervenir au travers d’un bouclier tarifaire certes efficace mais coûteux à la vue de nos finances publiques exsangues.

Cette mesure exceptionnelle risque d’être pérenne au vu des incertitudes géopolitiques autour du conflit et des faiblesses structurelles énergétiques européennes. La Commission anticipe une croissance quasi nulle de 0,4% sur 2023 contre 1,3% initialement projeté, induisant la nécessité de trouver de nouveaux moyens exceptionnels de financement tels que les superprofits.

Les superprofits, une justification essentiellement politique

Devenu un incontournable du débat public, le terme de « superprofit » n’est pour autant pas clairement défini par les économistes. On peut cependant entendre cette notion comme des profits exceptionnels obtenus par effet d’aubaine. Plusieurs entreprises sont visées notamment TotalEnergies, dont le résultat net s’est élevé au premier semestre 2022 à 10,6 milliards d’euros, soit 92% de plus qu’au premier semestre 2021 . Or, les Français souhaitent reprendre le contrôle sur le monde économique pour mettre un terme à l’ère néolibérale où la technique primait sur le politique. Ainsi, les partis de Marine Le Pen et de Jean-Luc Mélenchon soutenus par plus de 50% des Français, ont pu exprimer une position claire en faveur de la taxation des superprofits au nom de la justice sociale.

La taxation des superprofits revêt la même légitimité politique que les politiques conjoncturelles des « quoi qu’il en coûte » que les Français ont soutenu. Face à une nouvelle Assemblée nationale hostile au projet économique d’Emmanuel Macron, les tergiversations et l’incohérence de Renaissance entre l’aile gauche de la majorité et la position technique de Bruno Le Maire ont brouillé le cap fixé en début de mandat. La déclaration de la Première ministre de « ne pas fermer la porte à un tel projet », a ajouté de la confusion, renforçant le poids politique de cette mesure pour les oppositions.

L’instauration d’une taxe sur les superprofits pose question

La création d’une taxe nationale sur des superprofits est une impasse. La France a mis en place depuis le CICE une politique d’offre afin de rendre les entreprises plus compétitives et de restaurer l’attractivité du territoire. L’instauration d’une taxe supplémentaire serait donc un message négatif. Cette taxation représenterait certes une rentrée fiscale mais pose surtout beaucoup de questions à la fois quant à sa définition, son périmètre, son seuil, sa durée, son assiette, son taux ou encore son articulation avec l’impôt sur les sociétés. En Europe, d’autres pays ont décidé de taxer des grandes entreprises ayant bénéficié de la situation internationale. L’Italie a mis en place une taxe assise sur les ventes via une modulation du taux de TVA. Très critiquée, elle est entre les mains des juges. Si l’Allemagne a soutenu le mécanisme européen, le Royaume-Uni a opté pour une taxe sur l’extraction de pétrole et de gaz en mer du Nord.

C’est donc à l’échelle continentale que ce dispositif pourrait finalement voir le jour. Mis en place à la fin du mois d’octobre 2022, un « mécanisme de contribution européenne » – le président Macron évite soigneusement de parler de taxe – autorise la Commission à fixer un prix plafond au-delà duquel les profits des seuls producteurs d’électricité seront taxés. Le produit de cette mesure sera reversé aux États-membres et devrait rapporter au total entre 4 et 5 milliards d’euros par an. Concrètement, l’accord européen imposera une taxe additionnelle de 33% sur les profits supérieurs de 20% à la moyenne des quatre années antérieures.

Inciter plutôt que contraindre

Pour concilier liberté et protection, il sera toujours plus judicieux d’inciter plutôt que de contraindre. Taxer les superprofits revient d’une part, à rendre moins compétitifs nos acteurs et d’autre part, à amoindrir leur confiance en l’avenir. Sur la compétitivité, le mécanisme européen permet à la France de maintenir sa politique d’attractivité, tout en prenant en considération que certains profits relèvent du contexte géopolitique. Sur la confiance, il convient de rappeler que sans réglementation, TotalEnergies a décidé de baisser ses tarifs au profit direct des ménages. Cette contribution des acteurs économiques doit être encouragée pour qu’ils puissent anticiper les prochains retournements de cycle, d’autant plus au vu de la volatilité du secteur énergétique.

Surtout, ces profits permettent aux entreprises d’investir comme l’affirmait Helmut Schmidt. TotalEnergies s’est ainsi engagé à utiliser ses profits pour financer la transition énergétique. L’État doit encourager ces investissements et les accompagner sur le temps long au travers d’une « planification partenariale ». Pour ne pas apparaître comme un cadeau fiscal aux grandes entreprises, lancer la réforme du crédit d’impôt recherche (CIR) proposée par le CAE permettrait de mieux flécher le crédit d’impôt vers les TPE-PME. Les grandes entreprises seraient perdantes mais cette réforme ne devrait pas empêcher leurs investissements futurs, d’autant plus que la taxe sur les superprofits n’aura pas été instaurée.

Les profits d’aujourd’hui permettront aux entreprises d’investir afin de faire face aux grands défis du siècle. A l’image de ses partenaires et rivaux européens et mondiaux, la France doit redevenir une puissance économique crédible en soutenant ses entreprises afin de transformer une génération sacrifiée en génération de bâtisseurs pour vivre des jours meilleurs.

Par Udo Le Quéau, analyste du Millénaire

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Crédit Photo : Profits, par via Pixabay sous licence Pixabay

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