La chronique de William Thay pour Le Point : « Doliprane : quand la France veut produire sans usine et sans travailler »

LA CHRONIQUE DE WILLIAM THAY. Dix ans après Alstom, la vente d’un fleuron industriel français fait de nouveau scandale. Pourquoi Sanofi préfère-t-il vendre que conserver sa filiale ?

10 ans après Alstom, la vente d’un fleuron industriel français fait de nouveau scandale dans la classe politique. Mais plutôt que de s’insurger contre la vente d’Opella qui produit le doliprane, nous n’avons pas une seule réflexion, sur pourquoi Sanofi préfère vendre que de conserver sa filiale ? 

Une situation spécifique pour les médicaments  

Commercialiser un médicament en France n’est plus rentable. Les coûts de production s’envolent car nous vivons une révolution médicamenteuse. Les médicaments intègrent toujours plus d’innovation et de progrès scientifiques en génétique ou en chimie impliquant pour les industriels d’augmenter chaque année leur budget R&D. 

Pourtant, la France est le seul pays libre qui fonctionne encore dans une économie dirigée digne de l’URSS en fixant les prix partout. A la production, par le CREPS qui impose aux laboratoires de reverser une partie de leurs gains annuels une fois le prix plafond dépassé. A la consommation, par l’ONDAM qui impose des prix bas pour maintenir l’illusion aux Français que la santé est gratuite. Mais, quel industriel voudrait perdre de l’argent à vendre un produit dans un pays qui lui impose ses prix de vente ? 

Alors l’État s’est dit que si les autres ne voulaient pas commercialiser de médicaments chez nous, nous les produirons nous-mêmes. Une ambition louable, mais qui se heurte aux réalités de la désindustrialisation. Comme c’était trop cher de produire ici, nous avons encouragé les industriels à délocaliser des étapes de production. Résultats : 10% d’emplois industriels détruits depuis 2008 et une perte de souveraineté avec 40% des médicaments qui, comme le doliprane, ont une étape de production dans un pays tiers comme la Chine ou l’Inde.  

Comment produire sans usine et sans travailler ? 

La France est face à deux injonctions contradictoires : celle de relocaliser l’appareil industriel et celle de punir celui qui entreprend et pire qui réussit. D’un côté, relocaliser la production de médicaments, c’est relocaliser un secteur stratégique qui a contribué à la hausse de l’espérance de vie des Français (+10 ans en 40 ans). D’un autre côté, on va les sanctionner s’ils font des superprofits et punir ses dirigeants d’avoir fait leur travail. 

La volonté de relocalisation s’est heurtée aux réticences d’un pays qui veut produire sans usine et sans travailler. Lorsqu’un entrepreneur veut s’implanter en France, il doit affronter la réticence des acteurs locaux, une fiscalité sur la production, le poids des normes et des contraintes environnementales. Signe de cette lourdeur et des délais, il faut 213 jours pour construire un entrepôt en France contre 126 pour l’Allemagne en 2019 selon la Banque mondiale. 

Si l’entrepreneur parvient à franchir l’étape de l’implantation de l’usine, il doit faire face aux réticences des vieux démons du monde du travail. Alors que l’industrie devient de plus en plus compétitive, on encourage à travailler de moins en moins. Après la folie des 35 heures, les mêmes qui déplorent la vente de doliprane, expliqueront pourquoi il faut envisager la semaine des 4 jours. 

Après avoir tout mis en place pour encourager nos industriels à partir, on vient les supplier de rester. À chaque séparation difficile comme avec Alstom, Arcelor ou Florange, les pouvoirs publics ne peuvent s’empêcher d’effectuer les mêmes promesses de maintien de la production et d’emploi sans remettre en cause les conditions des ventes et des départs.  Pourquoi ne pas inciter les industriels à rester et produire en France. Ce n’est pas en les punissant et en les entravant qu’on attire et conserve des personnes qui ont une certaine passion pour la mobilité et donc la liberté. 

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Crédit photo : Doliprane, via Wikimedia Commons, sous license Attribution – Partage dans les Mêmes Conditions 4.0 International.

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