Javier Milei : symptôme ou remède des maux argentins ?

À l’aube du XXe siècle, l’Argentine figurait parmi les nations les plus riches et les plus dynamiques de la planète. Son expansion économique, portée par un secteur agricole florissant, une politique libérale tournée vers l’extérieur et une vague migratoire d’une ampleur inédite, la hissait au rang des puissances émergentes. Pourtant, le pays, souvent perçu alors comme une « terre de promesse », s’est progressivement enfoncé dans une série de crises économiques et sociales, mettant à mal son statut envié et son potentiel de croissance. Le mal argentin – stagnation du PIB, hyperinflation, dévaluations à répétition, crises monétaires, endettement chronique, interventions du FMI – s’est installé durablement, suscitant une profonde désillusion chez les citoyens. Le contraste est saisissant : là où l’Argentine aurait pu poursuivre sa marche vers un développement soutenu, elle s’est retrouvée prise dans un cercle vicieux de politiques hasardeuses et de choix économiques discutables, entre protectionnisme, populisme et rigueur budgétaire imposée.

Ce déclassement macroéconomique, marqué par une succession de coups d’État, d’expériences néolibérales inachevées, de retours à un nationalisme économique fébrile, a profondément altéré le tissu social et politique du pays. Les défis structurels—dépendance aux matières premières, faiblesse de l’industrie, fragilité institutionnelle—n’ont jamais été véritablement résolus. Au contraire, ils ont alimenté un climat de méfiance à l’égard des élites traditionnelles, de l’establishment politique et des partis historiques qui, de Juan Perón jusqu’aux Kirchner, ont tenté tant bien que mal de proposer des réponses. Les mouvements sociaux, la montée du syndicalisme, les épisodes successifs d’austérité et de relance, les tentatives de stabilisation par la dollarisation partielle ou l’encadrement strict des capitaux : aucune de ces expérimentations n’a réussi à enrayer durablement la spirale descendante de l’économie argentine.

C’est dans ce contexte complexe, marqué par un sentiment d’urgence et d’exaspération, qu’un personnage atypique, Javier Milei, est entré en scène. Économiste ultralibéral, figure médiatique controversée, orateur aux propositions radicales, Milei capitalise sur le ras-le-bol général de la population face à des décennies de stagnation et de régressions successives. Il incarne une critique acerbe de l’État interventionniste, du clientélisme politique, de la corruption enracinée, et se pose en pourfendeur des politiques monétaires inflationnistes qui ont laminé le pouvoir d’achat. Son ascension reflète à la fois une recherche d’alternatives radicales, une volonté de rompre avec le passé et l’expression d’une frustration diffuse face à l’incapacité des dirigeants à restaurer la prospérité d’antan. 

Ainsi, après les dominations des remèdes keynésiens portés par les gauches sociales-démocrates et les remèdes technocratiques ordo-libéraux portés par les droites chrétiennes-démocrates, l’heure n’est-elle pas venue à la prise de pouvoir des populismes libertariens de droite ? Milei est-il une réponse adaptée à ce déclassement ? Ou n’est-il que l’ultime symptôme d’un malaise plus profond ?

Par Hugo Spring-Ragain, Expert des questions économiques du Millénaire

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Crédit Photo : Milei ataca Lula e repete com Brasil o que fez na Espanha – NSC Total, de Mídia NINJA, via NSC Total, sous licence CC BY-NC 4.0.

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