Entretien de William Thay pour le Figaro : « L’industrie française devrait s’inspirer des modèles asiatiques »

Le think-tank gaulliste Le Millénaire vient de publier un rapport sur la politique industrielle française du XXIe siècle. Son président, William Thay, propose de prendre exemple sur les pays est-asiatiques, en prenant en compte les spécificités européennes, pour redynamiser notre industrie.

FIGAROVOX. – Vous publiez un rapport sur la politique industrielle française du XXIe siècle. L’objectif est-il de s’inspirer des modèles industriels asiatiques pour mieux rivaliser ?

William THAY. – La crise sanitaire a accéléré des mutations déjà à l’œuvre sur le plan économique ou géopolitique. Sur le plan économique, la crise financière de 2008 a mis à mal le cycle néolibéral ouvert dans les années 80 par Margaret Thatcher et Ronald Reagan. Seulement, si nous avions un Keynes ou un Friedmann pour penser les ères keynésiennes et néolibérales, nous n’avons pas encore de penseurs économiques qui ont imaginé le monde d’après.

Il nous a alors semblé opportun d’observer les remèdes des pays est-asiatiques pour plusieurs raisons. D’abord, il s’agit d’un modèle qui a rencontré un succès après s’être transformé pour s’adapter aux cycles économiques. Alors qu’en 1960, les pays est-asiatiques étaient encore peu industrialisés, la Chine (2e), le Japon (3e) et la Corée du Sud (10e) figurent actuellement parmi les 10 premières puissances économiques mondiales.

Ensuite, il s’agit probablement du cœur géopolitique et économique (renforcé par l’accord de libre-échange «Partenariat économique global»). Cette zone se retrouve alors comme notre prochain partenaire mais également concurrent. Probablement la prochaine première puissance mondiale, la Chine entraîne dans son sillage le déplacement du centre de gravité du monde de l’Atlantique Nord vers l’Asie Pacifique. Alors, si les pays est-asiatiques se sont inspirés de nous pour nous rattraper, il apparaît judicieux d’en faire de même à leur égard.

Enfin, il s’agit pour nous de bâtir un nouveau modèle économique d’après-crise pour renouer avec les jours heureux du modèle gaullien afin de bâtir une nation d’industriels et de savants, qui permet de répondre à ce que qualifie Marcel Gauchet de «Malheur français» et de mettre un terme à la spirale continue du déclin et du nivellement par le bas.

Vous évoquez peu le rôle de l’Union européenne et insistez sur la souveraineté industrielle du pays. La France peut-elle se permettre de faire cavalier seul pour relancer son industrie ?

Nous avons deux solutions vis-à-vis de l’Union européenne : soit plaider pour un changement de modèle tant attendu afin d’être moins naïf sur les évolutions mondiales, soit agir nous-même pour devenir une référence à suivre pour les autres États membres. Ainsi, l’Allemagne n’a pas attendu l’Europe pour sauver son modèle grâce aux réformes Hartz menées par le Chancelier Schröder au début des années 2000. De plus, pour obtenir des arbitrages favorables dans les instances de l’Union européenne, la France doit se renforcer pour être crédible. En ce sens, devenir la première puissance économique européenne doit être un objectif car cette qualité nous permettra d’avoir le statut nécessaire de changer l’Europe.

Pour autant, la stratégie française doit prendre en compte les spécificités européennes aussi bien ses atouts que ses faiblesses. Sur nos quinze propositions seulement deux nécessitent une modification européenne. Il s’agit d’une réforme de la politique de concurrence afin de lever les seuils permettant de créer des champions européens à partir de nos champions nationaux. L’autre concerne, la protection de notre marché intérieur pour imposer une barrière douanière aux produits qui ne respectent pas nos normes. D’autres propositions auraient pu faciliter la mise en place de notre plan, mais elles nécessitaient l’accord des autres capitales européennes, ce qui est peu probable notamment sur la politique commerciale.

Vous parlez de «certains choix économiques et industriels discutables» qui seraient «à l’origine du déclin industriel français». À quoi faites-vous référence ?

La France a manqué deux tournants clés, il s’agit de l’entrée dans la mondialisation dans les années 80 et le début des années 2000 lorsque l’Allemagne commence à se redresser après avoir été qualifié d’«homme malade de l’Europe».

En 1981, la France a raté son entrée dans la mondialisation. Alors que tous les pays occidentaux adaptaient leur économie à l’ère néolibérale, les réformes socialistes ont plongé la France dans un état d’esprit où notre État-providence et notre bureaucratie interdisent davantage qu’ils ne protègent nos acteurs économiques. Les élites socialistes conduites par François Mitterrand ont négligé les mutations mondiales préférant s’accrocher aux vieilles lunes socialistes qui n’étaient plus valables avec une ère keynésienne mise à mal par les deux chocs pétroliers et l’ouverture à la concurrence induite par la mondialisation. Ainsi, il a été privilégié des politiques de soutien à la consommation par la revalorisation du SMIC et la réduction du temps de travail plutôt que de favoriser l’innovation et l’investissement dans les secteurs d’avenir. Ces manquements sont à l’origine du déclin français qui marque une rupture avec l’épopée industrielle gaulliste.

À cela s’ajoute le manque de réforme structurelle au début des années 2000 marquées par le tandem Jacques Chirac et Lionel Jospin. Ces années sont cruciales pour comprendre le retard accumulé par la France. Alors que le PIB par habitant de la France et de l’Allemagne se situent à un niveau proche dans les années 2000, un écart se creuse à partir des années 2005-2006. En effet, la France n’a pas mené de réformes structurelles et a poursuivi une politique de baisse du temps de travail inadapté aux mutations industrielles mondiales. Tandis que les réformes structurelles conduites par le chancelier Schröder ont donné un avantage comparatif aux acteurs économiques allemand pour qu’ils puissent s’imposer dans la concurrence mondiale. Ce décrochage économique français s’est révélé par deux fois : lors de la crise de 2008 et lors de la crise sanitaire de 2020-2021.

Vous expliquez que le bas coût de la main-d’œuvre en Asie lui est profitable. Considérez-vous que le SMIC – qui, en comparaison avec les salaires asiatiques, est élevé en France – est un frein à la compétitivité industrielle de la France ?

Les pays est-asiatiques dont nous avons choisi de nous inspirer ont bénéficié d’une abondance du facteur travail, comme la France de la fin des années 1950. Dans un premier temps, l’absence d’un modèle social protecteur leur a permis de s’insérer dans les échanges intra-branches, principalement en qualité de fournisseurs de composants destinés à l’exportation, avant de produire des produits manufacturés à plus forte valeur ajoutée, permettant un rattrapage des salaires.

La Commission européenne a longtemps jugé le salaire minimum français «trop élevé». En 2020, selon l’OCDE, la France dispose du troisième plus haut niveau de salaire minimum horaire réel en PPA des pays développés avec un salaire de 12,2 $ par heure. Il s’agit d’un niveau légèrement plus élevé que l’Allemagne (12 $), et bien plus élevé que la Corée du Sud (8,9 $) ou encore que le Japon (8,2 $). D’autant plus que la France est un des pays qui travaille le moins puisque la durée de travail tout au long de la vie est la plus faible des pays de l’OCDE. Il s’agit en effet d’un frein à la compétitivité industrielle de la France. Pour autant, la problématique du SMIC en France est davantage liée au coût qu’il représente pour l’entreprise. Il convient donc de revoir le financement de notre modèle social qui pèse beaucoup trop sur le travail et qui mine notre compétitivité. Pour faire de la France le paradis du travail, il faut rompre avec notre politique économique basée sur la consommation et la dépense publique.

Le schéma démographique, social et surtout politique de la France est assez éloigné des modèles asiatiques, est-il ainsi possible d’adopter leur modèle économique et industriel ? Les choix économiques ne vont-ils pas de pair avec le contexte politique et sociétal ?

L’idée est de s’inspirer dudit modèle, pas de nier des dérives inhérentes et les répercussions évidentes du dirigisme autoritaire en Chine ou auparavant en Corée du Sud sur les libertés individuelles. Nous souhaitons nous inspirer de la méthode de fonctionnement en l’adaptant à notre trajectoire historique, nos problématiques sectorielles ainsi qu’à nos traditions et notre culture politique.

En ce sens, l’action du général de Gaulle est une illustration des possibilités d’adopter un modèle économique qui peut faire notre singularité. Son plan d’action autour de réformes économiques et un pilotage à travers le commissariat au plan ont constitué une singularité française. Nous subissons depuis les années 80, ce que le philosophe Marcel Gauchet appelle «le malheur français», puisque nous sommes dans un modèle d’entre deux : entre la volonté de conserver notre singularité et la nécessaire adaptation à la mondialisation. Les pouvoirs publics ont souhaité adapter la France à la mondialisation depuis le fameux tournant de la rigueur en 1983, sans pour autant l’assumer. Ils ont ainsi fait porter cette adaptation par les institutions européennes tout en compensant les effets pervers de la mondialisation par une politique sociale dispendieuse. Cette même politique sociale qui mine notre compétitivité et qui empêche nos acteurs économiques de pouvoir conquérir les marchés européens et mondiaux.

Le nouveau cycle économique qui s’ouvre après les ères keynésiennes et néolibérales est plus propice à la culture française puisqu’il s’agit de cumuler la prospérité économique avec une aspiration de puissance. En prenant en compte cette évolution, nous proposons de bâtir une nation d’industriels et de savants pour construire la France d’après-crise et rompre avec le Malheur français ainsi que la spirale infernale du nivellement par bas. Pour cela, notre plan d’action regroupe 15 propositions autour de trois axes : des réformes structurelles pour créer un environnement propice aux acteurs économiques, renforcer notre tissu économique autour de champions nationaux et un réseau de PME et d’ETI.

Cette note de politique industrielle paraît dans un contexte d’élection présidentielle. Quel candidat est, selon vous, le plus à même de relancer l’industrie et de partager ces recommandations ?

Au vu de leur position économique, trois candidats sont susceptibles d’appliquer ce programme, avec chacun des forces et des défauts : Emmanuel Macron, Valérie Pécresse et Éric Zemmour.

Le Président prochainement candidat a pour lui sa volonté d’axer sa politique économique sur l’amélioration de l’attractivité française et l’investissement. À ce titre, sa politique de baisse des impôts notamment sur le capital (transformation de l’ISF et mise en place de la flat tax), et sa politique d’investissement à travers le plan France 2030 vont dans le bon sens. Cependant, nous pouvons avoir des doutes sur sa volonté réformatrice. Tout d’abord, l’abandon du plan Action publique 2022 et son absence de réforme structurelle durant son quinquennat sont un manque. Ensuite, Emmanuel Macron se heurte à une certaine résistance comme le soulignent les manifestations récentes après ses propos sur les «non-vaccinés». Est-ce qu’une tentative de réformes structurelles en cas de réélection ne se heurtera pas à un blocage de la société comme lors des Gilets jaunes et des manifestations contre sa tentative avortée de réforme des retraites ?

Valérie Pécresse présente de nombreux avantages en s’inspirant du programme de François Fillon. Ses réformes économiques sont les plus précises et les plus volontaristes. Cependant, comme l’ancien Premier ministre, son programme apparaît comme punitif parce qu’il ne propose pas une perspective aux Français, à savoir un cap. Si, elle arrive à projeter une vision comme celle que nous proposons à savoir bâtir une nation d’industriels et de savants, elle apparaîtra comme la mieux armée parmi les trois parce qu’elle arrivera à justifier les efforts nécessaires pour construire la France d’après-crise.

Éric Zemmour a des positions plus libérales que Marine Le Pen, dont le programme économique et social comprend la retraite à 60 ans. En revanche, il n’a pas projeté ses réformes pour bâtir la France de 2050 et son programme, trop interventionniste, ne comporte pas de réelles réformes structurelles. En ce sens, il cumule les défauts d’Emmanuel Macron et de Valérie Pécresse : un manque de volonté de réforme structurelle, une possibilité non négligeable de manifestations, et une absence de vision économique.

Par William Thay, Président du Millénaire

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Crédit photo : Photo par formulaire PxHere

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