Entretien de William Thay pour Atlantico : « Non-assistance à électorat en danger : y a-t-il un pilote dans l’avion de la droite ? »

Que ce soit sur le front du régalien comme sur celui de l’économie ou des finances publiques, rarement l’opinion a-t-elle aussi été imprégnée par les thématiques traditionnelles de la droite. Et pourtant, les députés LR font campagne sans leader, ni moteur alors que le parti aurait une énorme carte à jouer aux législatives 2022.

Atlantico : Que ce soit sur le front du régalien, de la sécurité comme sur celui de l’économie ou des finances publiques, rarement l’opinion a-t-elle aussi été imprégnée par les thématiques traditionnelles de la droite. A quel point y a-t-il un contexte qui pourrait théoriquement être favorable aux Républicains pour ces législatives ?

William Thay : Le contexte politique global est favorable aux Républicains depuis l’arrivée au pouvoir de François Hollande en 2012. En effet, nous avons une montée des enjeux sécuritaires, migratoires auxquelles les Français attendent de plus en plus des réponses de droite fondées sur l’ordre et sur l’autorité. Nos concitoyens s’attendent à être protégés et la gauche n’apparait pas en capacité de répondre avec efficacité sur ces problèmes. La gauche a ainsi tourné globalement le dos à la tentative de Manuel Valls d’opérer une mutation idéologique sur ce plan. En revanche, l’évolution des Français sur les autres thématiques n’est pas forcément favorable aux LR. Nous assistons à une double rupture avec la crise sanitaire et la guerre en Ukraine qui ont conduit les Français à attendre davantage de protection. En effet, ces deux événements majeurs ont fait évolués les Français sur des thématiques où LR n’a pas une position stable et claire. 

D’une part, la crise sanitaire a conduit à deux évolutions : sur la protection sociale avec notamment le système de santé et le paradigme économique. Sur ces deux points : LR est traversé par des divisions entre les partisans d’une ligne réformatrice portée notamment à l’époque par François Fillon et par un courant dit populaire qui adopte en réalité des positions très socialistes et keynésiennes. Ainsi LR n’a pas tranché cette question aussi bien sur le plan stratégique que sur le plan des politiques publiques. Faut-il tourner le dos à l’aile libérale pour s’opposer à Emmanuel Macron ou au contraire dire qu’il ne mène pas une politique de transformation de l’État et de l’économie pour dire que la droite ferait mieux que lui si elle était au pouvoir ? En somme, est-ce que François Fillon a perdu parce qu’il avait porté un programme trop dur sur le plan économique et social avec notamment des réformes importantes sur le système de santé, de la protection sociale, du système économique et en matière de réforme de l’État ? Ou François Fillon a perdu parce qu’il a été victime des affaires ? 

D’autre part, la guerre en Ukraine a réintroduit le tragique de l’Histoire avec un conflit aux portes de l’Union européenne. Cela a posé la question d’un État fort capable d’assurer notre défense extérieure et de la place de la France dans le monde. Pour ces questions qui accentuent les évolutions introduites avec la crise sanitaire, quelle est la position de LR ? Est-ce que les dirigeants de LR considèrent que le cadre national n’est pas suffisant pour permettre à la France de peser dans le monde et qu’il faut pousser davantage la construction européenne ? Ou au contraire, sont-ils encore sur une ligne gaulliste de la France éternelle qui a encore une singularité en matière de politique étrangère ? 

Ainsi, LR ne bénéficie pas forcément des thématiques en raison de son positionnement confus sur des sujets considérés comme prioritaires par les Français qui ne les créditent pas d’une constante et d’une force sur leur positionnement. 

Cependant, ces différents points de tensions laissent quand même plusieurs points conjoncturels favorables à LR. Tout d’abord, Emmanuel Macron qui avait mené une campagne au centre-droit au premier tour de l’élection présidentielle, se tourne davantage vers la gauche avec la nomination d’Elisabeth Borne pour parler à l’électorat de Mélenchon. Ensuite, le fiasco au Stade de France a démontré les limites d’Emmanuel Macron sur le plan régalien, un des thèmes où LR a été constant. Enfin, le président de la République ne parvient pas à répondre aux urgences sur l’Ukraine, le pouvoir d’achat et la situation dans les hôpitaux qui affaiblissent son crédit gouvernemental. Ces différents points pourraient conduire à une partie de l’électorat de centre-droit de revenir au bercail pour permettre à la droite de sauver les pots cassés aux élections législatives. 

Comment expliquer que malgré cela la campagne des législatives des Républicains soit si inaudible ? Pourquoi les dirigeants de la droite ne se saisissent pas de l’opportunité ?

Pour deux principales raisons : l’absence de leadership et l’absence d’une offre politique claire.

L’UMP devenu les Républicains n’a jamais conservé une ligne politique claire si l’on excepte la période de Nicolas Sarkozy qui avait le mérite de bâtir une offre politique propre. Depuis les Républicains n’ont jamais tranché leurs différentes questions existentielles : est-ce que Nicolas Sarkozy avait perdu en 2012 en raison de la ligne Buisson, ou est-ce que cette ligne lui avait permis d’avoir un score honorable ? Est-ce que François Fillon avait perdu en raison de son programme ou en raison des affaires ? Ces questions peuvent se résumer sur la question suivante : faut-il mener un programme de rupture avec l’ordre établi parce qu’on considère que le système actuel est responsable du malheur français ? Ou un programme d’ajustement parce que le système actuel est le bon et qu’il suffit de quelques réformes paramétriques pour sauver et améliorer le système ?

Ensuite, LR n’a pas de leader pour porter un programme lors de ces élections législatives. Le président actuel des Républicains, Christian Jacob n’a pas l’envergure pour mener une campagne des élections législatives pour plusieurs raisons évidentes. D’une part, il ne répond pas à la question précédente sur la ligne politique, et même pire, il incarne davantage l’absence de choix qu’une ligne claire. D’autre part, le seul moyen de peser aux élections législatives est de trouver une utilité au vote : soit en menant un combat sur une politique publique précise comme le climat pour les verts, soit en disant que vous voulez gouverner en imposant une cohabitation. Christian Jacob a choisi de porter le premier combat avec la question de l’ancrage territorial, mais est-ce vraiment un mobilisateur puissant sur le plan national avec les thèmes que nous venons d’évoquer ? Sur le second point, il ne pouvait pas le faire, puisqu’il n’a pas l’envergure d’être ni le chef de l’opposition ni un chef de Gouvernement potentiel. En plus, on pourrait rajouter que son profil ne correspond pas à la Vème République et à l’évolution de la vie politique centré sur l’individualisation. Il ressemble davantage à une personnalité politique parlementaire de la IIIème ou la IVème République plus habile pour les jeux d’appareil que pour mener un combat culturel ou politique sur le plan national.

Sur la même problématique de l’absence de leadership, les Républicains n’ont pas un leader fort, mais ils ont même une problématique d’avoir plusieurs personnes qui veulent prétende au leadership. Ainsi, après la pire campagne présidentielle de leur histoire, il ne voulait vraisemblablement pas choisir un leader entre les différents postulants. Cette question les aurait obligés à choisir à la fois une incarnation et également une ligne politique.

Pourquoi LR n’a pas su trouver un programme, un leader et une ligne claire pour ces élections ?

Il y a 5 raisons principales à votre question : l’absence de choix sur la radicalité, le confort du bénéfice de l’alternance, l’enfermement dans le piège de François Mitterrand, l’incompréhension du phénomène Macron ainsi que l’absence des grandes mutations.        

Comme je l’évoquais précédemment, les Républicains n’ont tranché leur raison de leur défaite sur la question de la rupture et de la radicalité. Est-ce qu’ils ont perdu parce qu’ils étaient trop radicaux ou parce qu’ils ne l’étaient pas assez ? C’est le débat que l’on rencontre à chaque élection sur la droite sur le fait d’aller chercher les électeurs modérés ou les électeurs radicaux qui est matérialisé par leur choix entre le fait d’appeler à voter au second tour pour Emmanuel Macron ou non. Tant qu’ils n’auront pas tranché cette question, ils ne peuvent aller conquérir et séduire de nouveau un public dans le nouveau clivage actuel. Ils seront toujours enfermés dans leur contradiction sur leur positionnement économique, social et européen. En effet, ils ne peuvent séduire les électeurs de Marine Le Pen lorsqu’ils partagent l’essentiel des constats et des solutions portées par Emmanuel Macron. Dans le même temps, on éloigne les électeurs d’Emmanuel Macron lorsqu’ils partagent l’analyse de Marine Le Pen ou d’Éric Zemmour sur les questions civilisationnelles. 

Les Républicains n’ont pas tranché ces questions parce qu’ils se sont reposés sur le confort de l’alternance automatique. Ils pensaient en 2017 qu’ils allaient revenir au pouvoir après l’échec du quinquennat Hollande, ce qui les a conduit à une absence de réflexion sur l’évolution de leur offre politique pour apporter des solutions avec les évolutions de la société et des problématiques. De même, l’élection de 2022 devait constituer pour certains dirigeants une possibilité d’élection fondée sur le rejet d’Emmanuel Macron. Ainsi les Républicains se sont toujours positionnés contre le pouvoir en place sur une logique d’opposition classique sans préparer leur éventuelle arrivée au pouvoir. En somme, ils pensent davantage en contre qu’en pour. La perte progressive du vote utile a mis à mal ce paradigme, puisque les Républicains sont obligés d’être attractif pour passer l’étape de la qualification au second tour. Alors qu’avant 2017, ils étaient certains de se qualifier au second tour, ce qui les conduisait à un confort puisqu’ils suffisaient d’être moins impopulaire que la force en face d’eux soit les socialistes soit le Rassemblement national. 

La droite est également tombée dans le piège d’enfermement de François Mitterrand et n’a pas réussi à se desserrer de son étau, qui les oblige à penser avec des contraintes. Dans l’hypothèse où un leader de la droite souhaiterait apporter un programme de rupture, il aurait des contraintes très importantes. D’une part, il ne peut faire alliance avec les autres partis de droite radicale en raison du Front républicain imaginé par François Mitterrand, ce qui limite les possibilités tactiques et politiques. En effet, en raisonnant dans ce cadre, la droite ne pourrait même pas opérer une reconstruction sur le modèle de François Mitterrand avec le Congrès d’Épinay et du programme commun avec les communistes ou encore l’alliance nouée par la gauche avec Mélenchon. D’autre part, ce leader ne pourrait pas lever les tabous et se rendre crédible auprès des électeurs attirés par Zemmour et Le Pen puisque ce chef de droite serait obligé de donner des cautions à la gauche morale. Nicolas Sarkozy en 2007 avait démontré que même sans aller jusqu’à l’alliance, il était possible d’attirer les électeurs du Rassemblement national. Cela supposait alors de ne pas rentrer dans le cadre posé par la gauche pour pouvoir affirmer ses positions et ses convictions en fonction de ce que l’on croit juste ou non pour la bonne conduite du pays. À partir du moment, où les dirigeants de droite rentrent dans le cadre moral de la gauche, un électeur de droite radicale ne peut se laisser convaincre que ces dirigeants vont faire la rupture avec l’ordre établi, répondre au Malheur français, faire face à Poutine ou autres dirigeants autoritaires puisqu’ils n’arrivent même pas à faire face à des journalistes ou autres intellectuels bienpensants. 

La droite a également mal compris le phénomène Macron au point de commettre la même erreur qu’avec l’élection de François Mitterrand. En 1981, une grande partie des dirigeants de droite considérait que l’élection du premier président socialiste était une parenthèse de l’histoire alors qu’il s’agissait d’une révolution politique qui mettait en place l’alternance sous la Vème République. Si Emmanuel Macron n’a pas révolutionné la France comme le prévoyait son ouvrage, il a révolutionné le système politique avec la mise en place d’une offre politique centrale. Il a mis en place une offre politique pérenne qui s’est construit sur la deuxième gauche rocardienne avec la bienveillance puis le soutien des forces orléanistes soit la droite européenne et libérale. Il a en somme tranché les contradictions des deux grands partis du Gouvernement qui n’arrivaient pas à choisir entre une offre politique européenne et libérale pour adapter la France à la mondialisation et leur offre originelle. D’un côté le socialisme de François Mitterrand pour changer la vie et de l’autre côté le gaullisme, qui portaient tous les deux des offres politiques fortes en matière de souveraineté et social à destination des catégories populaires. Emmanuel Macron a permis de trancher toutes ces contradictions en offrant une ligne politique plus ou moins clair : libérale, européenne, progressiste sur les questions de sociétés et l’avènement du Gouvernement des experts. Ces derniers permettent d’ajouter du pragmatisme pour leurs partisans et pour leurs détracteurs : une dépolitisation des enjeux. Cela permet notamment de substituer le débat politique et idéologique par un débat purement technique. 

Enfin, la droite n’a pas saisi les grandes mutations que nous traversons. J’éviterai de développer toutes les grandes mutations mondiales pour se concentrer uniquement sur le volet politique. Quelles sont les droites qui gagnent en Occident ? La droite allemande démocrate-chrétienne n’a pas survécu au départ d’Angela Merkel tout comme la droite italienne après Berlusconi. En revanche, nous assistons à une révolution qui commence une nouvelle fois dans le monde anglo-saxons avec une ère populiste avec Donald Trump et Boris Johnson. Si la droite ne comprend pas ce phénomène pour se contenter de les critiquer caricaturalement comme aurait pu le faire un « intellectuel de gauche », elle prend le risque de disparaitre et de se faire remplacer comme ça a été le cas en Italie avec Matteo Salvini. 

Y-a-t-il une frilosité chez les dirigeants LR qui pourraient assumer le rôle de leader à accepter de se mettre en première ligne pour ces élections par crainte de la défaite ? Qui aurait pu assumer la responsabilité de mener la bataille des législatives ?

La droite n’a pas réussi sa mutation avec le phénomène Macron. La constitution de l’UMP en 2002 repose sur l’alliance des libéraux et des conservateurs sous l’égide d’un chef gaullo-bonapartiste qui tranche les questions en tension et apporte une offre politique à cet attelage. Le problème est que la droite a perdu les libéraux partis chez Emmanuel Macron, les conservateurs sont séduits par Zemmour et Marine Le Pen, et qu’ils n’ont pas de chef gaulliste. C’est-à-dire que le prochain leader de droite doit apporter une réponse à la question suivante : faut-il reconstituer l’UMP comme a essayé de le faire Valérie Pécresse lors de la dernière élection présidentielle, ou alors construire une nouvelle coalition politique ?

Ainsi, la frilosité des dirigeants LR peut être résumé par l’accumulation de contraintes. Tout d’abord, la difficulté d’apporter une offre politique claire dans la mesure où il existe une volonté de conserver toutes les sensibilités dans la même famille politique. Cette dernière contrainte limite les options stratégiques et politiques pour tout dirigeant de LR qui doit davantage apporter une synthèse sur le modèle de Pécresse plutôt qu’une refondation du logiciel. Cette contrainte est renforcée par le temps limité entre le second tour de l’élection présidentielle et le premier tour des législatives. À cela, il faut ajouter que les candidats LR aux élections législatives ne partagent pas tous la même sociologie électorale selon qu’ils sont élus d’un territoire proche d’une grande métropole ou d’un territoire rural. Ces divergences d’intérêts compliquent l’équation de tout dirigeant LR.

Ensuite, le score faible obtenu par Valérie Pécresse à la dernière élection présidentielle a conditionné le jeu de la droite. LR est davantage concentré sur une opération survie pour sauver le maximum de siège aux élections législatives pour assurer sa survie politique et financière puisque le financement public dépend du score obtenu. L’alignement de l’élection présidentielle et des élections législatives rend la tâche très compliquée pour les Républicains qui ne peuvent espérer de faire mieux que la dernière fois. Ainsi, aucun dirigeant de LR ayant une ambition nationale n’a voulu coller son nom à la défaite.

Enfin, après l’échec de l’élection présidentielle, il apparait que LR n’a pas voulu se lancer dans une compétition pour le leadership entre Laurent Wauquiez, Bruno Retailleau et David Lisnard. Même s’ils partagent de nombreux points communs sur leur sensibilité politique, ils existent des nuances. Laurent Wauquiez apparait davantage sur le modèle de Nicolas Sarkozy, et Bruno Retailleau sur celui de François Fillon. David Lisnard apparait lui comme entre Alain Juppé et François Fillon au regard de ses positions moins affirmés que celle de Retailleau sur le volet civilisationnel qui était un grand volet de l’offre politique de Fillon.

On peut dire que c’est une occasion manquée pour LR. Le refus de Marine Le Pen de mener la campagne des législatives, les difficultés d’Éric Zemmour auraient pu permettre à une de ces trois personnalités de redresser LR rapidement pour constituer la deuxième force politique à l’Assemblée nationale. Puisque les électeurs de Marine Le Pen apparaissent orphelin à l’occasion de ces élections et qu’Éric Zemmour n’est pas en position de les mener en raison de sa lourde défaite à l’élection présidentielle. Je pense ainsi que Lisnard, Retailleau et Wauquiez auraient pu mener cette bataille, ce qui aurait facilité la reconstruction de LR et leur permettre d’oublier la faiblesse historique de leur score à la dernière élection présidentielle. En refusant de mener cette bataille, ils ont certainement perdu plusieurs années capitales pour la reconstruction de la droite.

William Thay, président du Millénaire, think-tank gaulliste spécialisé en politiques publiques.

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Crédit photo : Christian Jacob  par Antoine Lamielle sous licence CC BY-SA 4.0, via Wikimedia Commons

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