Entretien de William Thay et Matthieu Hocque pour Atlantico : « Le casse-tête pour Matignon »

Emmanuel Macron ouvre ce mardi un nouveau cycle de consultations, sans LFI ni le RN. Le chef de l’Etat va tenter de sortir de l’impasse politique mais les différents responsables politiques de l’opposition et de la majorité n’ont-ils pas tous une part de responsabilités au regard de leurs déclarations contradictoires depuis l’annonce de la dissolution ?

1- La crise politique a été marquée par différents moments clés comme les négociations de ces derniers jours en vue de former un nouveau gouvernement et de désigner un nouveau Premier ministre. Lors du premier moment clé, lors de l’annonce de la dissolution par Emmanuel Macron, de nombreux partis politiques de l’opposition comme le RN aspiraient à cette dissolution. Pourtant, nombreux sont ceux qui ont ouvertement critiqué Emmanuel Macron d’avoir fait le choix de la dissolution, dont le RN et Marine Le Pen. En quoi la stratégie du RN relève-t-elle de l’hypocrisie dans cette séquence politique ?

Avant de répondre à vos questions sur les “positions hypocrites” des partis prises depuis la dissolution, il convient de souligner que nous sommes revenus au régime des partis et non plus à un régime gaulliste. Or, tous les partis sont en quelque sorte hypocrites car leurs actes et positionnements sont dictés non pas par l’intérêt général, mais par les intérêts partisans, puisqu’ils ne font que penser à la prochaine élection et non à la prochaine génération.

Pour répondre à votre première question, le Rassemblement national a lui-même transformé les élections européennes en référendum anti-Macron en portant la dissolution dans le débat public, en cas de victoire de leur camp. Or, lorsque vous êtes un responsable politique, vous devez assumer les conséquences de ce que vous souhaitez. Si la décision de plonger la France dans le chaos n’a pas appartenu aux responsables du Rassemblement national, ils ne peuvent pas aujourd’hui se plaindre des conséquences d’une dissolution dont ils ont eux-mêmes appelés de leurs vœux.

De même, stratégiquement, le Rassemblement national a même intérêt à une nouvelle dissolution. Marine Le Pen s’est récemment prononcée en faveur d’une dissolution et de nouvelles élections législatives en septembre 2025. Cela s’explique par deux raisons. D’un côté, le Rassemblement national est le parti qui a le plus progressé en termes de nombre de sièges : 2 députés en 2017, 89 en 2022 et désormais 143 en comptant leurs alliés ciottistes, donc s’ils gomment les défauts d’impréparation aperçus lors des dernières législatives (polémiques sur la binationalité, mauvais candidats, etc.) ainsi qu’en cas d’affaiblissement du front républicain, alors ils pourraient obtenir encore davantage de sièges. De l’autre côté, ce sont eux qui pourront profiter de la crise de gouvernabilité pendant l’année qui vient car ils sont certains d’être dans l’opposition qu’elle que soit la configuration (NFP ou bloc central) et ne seront donc pas jugés comptables d’une année de blocage.


2- Lors des législatives, Gabriel Attal avait adoubé la stratégie du front républicain et avait appelé à voter NFP pour faire barrage au RN. Or, cette semaine Gabriel Attal a raillé un « simulacre d’ouverture » et une « tentative de coup de force » de Jean-Luc Mélenchon, dans une lettre envoyée lundi aux députés Ensemble pour la République. Selon Gabriel Attal, « si nous sommes prêts à des compromis, nous continuons à nous opposer de toutes nos forces à l’application unilatérale du seul projet de LFI et du NFP », pour lequel « la censure serait inévitable ». N’y a-t-il pas une autre forme d’hypocrisie à travers les déclarations et la stratégie de Gabriel Attal dans cette séquence ? En annonçant son souhait de censurer un gouvernement du NFP, en quoi n’est-ce pas cohérent par rapport à son discours et son appel au vote LFI / NFP lors des législatives ?

Renaissance et son leader Gabriel Attal ont montré que les alliés d’hier pouvaient devenir les ennemis d’aujourd’hui. Or, au sein du parti présidentiel, c’est la ligne de Gabriel Attal qui s’est imposée lors de la campagne des législatives : celle du désistement intégral vis à vis du NFP, y compris LFI. Cela a fonctionné puisque le bloc présidentiel était donné à 90 députés au soir du premier tour et termine avec 166 députés. Seulement, comment pouvez-vous aujourd’hui justifier l’absence de cohérence entre la campagne des législatives et la formation du gouvernement issu des résultats de cette dite campagne ?

On comprend donc que le parti présidentiel ne cherche qu’à conserver le pouvoir quitte à vouloir les voix de la gauche sans pour autant vouloir partager le pouvoir avec eux. En effet, en instaurant un barrage à LFI et au NFP après avoir appliqué un front républicain avec autant de zèle, ils démontrent qu’ils sont pour le dépassement mais uniquement lorsqu’il est réalisé autour d’eux. Ils auraient pu chercher à réaliser une alliance avec le bloc du NFP puisqu’ils ont été élus sur la même base : le front républicain. Or, comme le groupe du NFP est plus puissant que le bloc présidentiel (193 députés contre 166 députés), une alliance entre les deux blocs déplaceraient le barycentre du pouvoir vers le NFP plutôt qu’au sein du bloc présidentiel. D’où leur volonté de chercher à diviser la gauche, car si les socialistes sont attirés dans une alliance avec le bloc central alors le barycentre du pouvoir resterait au sein du parti présidentiel.

Ainsi, avec les macronistes, si les alliés d’hier peuvent devenir les ennemis d’aujourd’hui, les ennemis d’aujourd’hui pourront redevenir les alliés de demain. Voire, le pire ennemi d’aujourd’hui (le Rassemblement national) pourrait devenir l’allié implicite de demain pour gagner comme lors des législatives de juin 2022.


3- Après avoir souhaité qu’un représentant de LFI soit nommé à Matignon, Jean-Luc Mélenchon a proposé un gouvernement du Nouveau Front populaire sans ministre insoumis pour débloquer l’impasse politique. Suite aux déclarations du Premier ministre démissionnaire ce lundi, Jean-Luc Mélenchon estime qu’« Attal pousse Macron dehors. S’il y a un coup de force, c’est bien celui-là ». N’y avait-il pas une stratégie de simulacre d’ouverture de la part de Jean-Luc Mélenchon ? Cela ne démontre-t-il pas que Jean-Luc Mélenchon ne voulait pas être nommé à Matignon en réalité ?

LFI et Jean-Luc Mélenchon ont cherché à dévoiler l’argumentaire réel des autres forces politiques qui ont annoncé des motions de censure préventives, soit des censures avant même la déclaration de politique générale, premier discours du Premier ministre devant l’Assemblée nationale.

Ainsi, ils cherchent à démontrer que le forces du bloc central ne veulent pas censurer un gouvernement NFP à cause de LFI mais à cause du programme du NFP. Cela permet d’accomplir deux objectifs : mettre dans l’embarras ceux qui ont annoncé vouloir censurer le NFP uniquement pour ce motif (ce qui créera un débat au sein du bloc central et notamment de Renaissance entre l’aile droite hostile aux idées du NFP et une aile gauche qui aurait pu s’en accommoder) et mettre dans l’embarras ceux qui au sein de la gauche laissaient entendre que le NFP était bloqué par LFI (c’est bien le programme qui dérange, or socialistes et écologistes ou communistes ont tous validé le programme du NFP puisqu’ils ont fait campagne dessus). Ainsi, les autres forces de gauche font preuve d’une grande hypocrisie puisqu’elles veulent s’éloigner de LFI mais ont malgré tout besoin de leurs électeurs car ces derniers sont élus soit dans des circonscriptions dans les grandes métropoles ou dans les circonscriptions du Grand-Ouest (Pays de la Loire, Bretagne), des sociologies électorales favorables à Jean-Luc Mélenchon.

Seulement, si la gauche est prisonnière de son alliance avec Jean-Luc Mélenchon, la difficulté à laquelle doit faire toutefois face LFI est que pour de plus en plus de Français, Jean-Luc Mélenchon, LFI et leurs idées incarnent de plus en plus, le plus grand danger pour la France.


4- Les Républicains ne se dédouanent-ils pas de la situation alors que leurs électeurs ne veulent surtout pas du NFP ? Que faut-il penser de l’attitude des Républicains dans cette séquence à travers le projet du pacte républicain tout en ne souhaitant pas participer ou intégrer le gouvernement d’Emmanuel Macron ?

Il est difficile d’affirmer quelque chose concernant les attentes des électeurs républicains car il n’y a pas eu de campagne nationale. En effet, les 47 députés de la Droite républicaine ont pour la grande majorité été élus grâce à un ancrage territorial et non sur le débat national. Ainsi, ce que l’on peut retenir est que leurs électeurs veulent faire barrage à des formations politiques qu’ils jugent contraires aux intérêts du pays (LFI ou Rassemblement national), mais en même temps, ils ne veulent pas d’alliance avec Emmanuel Macron car sinon les électeurs républicains auraient voté pour un candidat du bloc présidentiel puisque c’est ce qu’ils ont fait dans d’autres élections comme lors de la présidentielle de 2022 entre Valérie Pécresse et Emmanuel Macron.

Ainsi, cela ne laisse qu’un tout petit espace pour les leaders des Républicains : il faut faire barrage à LFI et à la gauche partout sans pour autant s’allier avec le bloc présidentiel. Seulement, plus de 3 députés sur 4 du groupe La Droite républicaine ont été élus face à un candidat Rassemblement national. Ainsi, ces derniers auront tout de même en cas de prochaines législatives, besoin de ces électeurs pour battre le Rassemblement national.


5- Emmanuel Macron a annoncé lundi qu’il écartait l’option d’un gouvernement NFP au nom de « la stabilité institutionnelle ». Il va lancer mardi de nouvelles consultations « avec les responsables des partis » et des « personnalités ». Face aux blocages institutionnels, le chef de l’État appelle les responsables politiques à faire preuve « d’esprit de responsabilité ». Écartant la présence d’Insoumis au sein du gouvernement, il exhorte socialistes, écologistes et communistes à « coopérer avec les autres forces politiques ». Que faut-il penser de la stratégie du chef de l’Etat dans cette séquence de négociations pour tenter d’apporter une solution à la crise politique ?

Emmanuel Macron se comporte comme un despote. En effet, il ne veut l’alternance qu’avec un Premier ministre “Macron-compatible”. Après la 35e consultation, il y en aura une 36e si elle n’aboutit pas sur un “Macron-compatible ».

La stratégie du chef de l’Etat pour apporter une solution à la crise politique souffre d’un écueil fondamental : le jeu était pipé dès le début. Il n’a jamais voulu de Lucie Castets ou d’un gouvernement du NFP car ils incarnaient beaucoup de lignes rouges notamment contre sa politique économique. Or, comme il ne veut pas se désavouer sur son projet car il pense encore que ce dernier est le meilleur pour le pays, il a utilisé ces consultations pour trouver un alibi pour ne pas nommer le NFP en prétextant que ce sont les autres forces politiques qui n’en veulent pas. Sa stratégie n’est pas de résoudre la crise politique, mais de faire en sorte d’associer les autres partis politiques (les forces du bloc central qui ne veulent pas du NFP et les forces socialistes, écologistes et communistes du NFP qui ne veulent pas d’alliance au centre) comme acteurs du blocage de la situation, alors que c’est lui qui a bloqué le pays d’une part avec le choix de la dissolution et d’autre part, en n’entendant pas le message des Français lui demandant à plusieurs reprises de partager le pouvoir : aux législatives de 2022 en lui donnant une majorité relative, aux européennes 2024 en transformant le scrutin en vote anti-Macron et aux législatives de 2024 en lui infligeant la pire claque électorale pour un parti présidentiel depuis les législatives de 1993 puisqu’ils lui ont retiré plus de 80 députés, soit 36% de son groupe parlementaire.


6- En quoi ces contradictions et cette somme d’hypocrisies chez les responsables politiques, depuis la séquence de la dissolution jusqu’à la tentative de résolution de crise, révèlent-elles les mécaniques intellectuelles qui polluent la vie politique française ? L’issue de la crise politique va-t-elle permettre de dissiper ces mécaniques intellectuelles néfastes ?

La France est revenue dans le régime des partis. Les mécaniques intellectuelles associées sont que les responsables politiques partisans pensent davantage à la prochaine élection plutôt qu’à la prochaine génération.

L’issue de cette crise politique pourrait dissiper ces mécaniques intellectuelles néfastes, mais à l’aube de l’élection présidentielle dont le débat portera non pas sur les tactiques politiques des partis, mais sur l’élection d’un homme ou d’une femme dotée d’une vision pour le pays. Il s’agit de l’avantage des institutions de la Vème République. En effet, la présidentielle a permis aux Français qui en avaient marre de l’alternance entre la gauche et la droite de pouvoir élire Emmanuel Macron peu importe les logiques partisanes, chose qui est impossible dans d’autres régimes comme aux Etats-Unis ou même au Royaume-Uni. En 2022, lorsqu’ils refusaient le projet présidentiel mais préféraient l’actuel chef de l’Etat à Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen pour diriger le pays face aux crises, ils ont pu le réélire en le mettant dans une situation où il doit partager le pouvoir (majorité relative).

Les Français ont montré une maturité politique : dès qu’on leur pose une question, ils répondent clairement. Aux élections européennes de 2024, ils ont sanctionné le président de la République car il a refusé de partager le pouvoir, au premier tour des législatives, ils ont voté contre le NFP en refusant de placer l’alliance de gauche en tête, et au second tour des législatives, ils ont voté contre le Rassemblement national avec le front républicain.

William Thay, Président du think-tank Le Millénaire

Matthieu Hocque, Directeur adjoint des Etudes du Millénaire

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Crédit photo : IAEA Imagebank, sous license Attribution 2.0 Generic (CC BY 2.0).

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