Entretien de Pierre Clairé pour Atlantico : « Voitures électriques : vers une guerre commerciale contre la Chine ? »

Depuis le mois de juillet 2024, les droits de douane ont augmenté sur les importations de véhicules électriques chinois afin de protéger les entreprises européennes. Pierre Clairé, directeur adjoint des études du Millénaire, décrypte la guerre commerciale avec la Chine.

1- Alors que l’Union européenne et les Etats-Unis tentent d’accélérer leur transition énergétique, la Chine domine le marché des véhicules électriques et contrôlerait aujourd’hui 70 % de la production mondiale de batteries lithium-ion et une large part des ressources critiques telles que le lithium et le cobalt, selon votre récent rapport pour le think tank Le Millénaire. Cette domination de la Chine pose-t-elle un risque stratégique majeur pour les économies occidentales dans le marché ultra compétitif des voitures électriques ? Cela va-t-il fragiliser les capacités de l’UE et des Etats-Unis pour développer des filières locales compétitives face à la Chine ?

La domination de la Chine sur le marché des véhicules électriques est un défi stratégique pour l’Europe et les États-Unis. Contrôlant 70 % de la production mondiale de batteries lithium-ion et des matières premières critiques comme le lithium et le cobalt, la Chine impose une forte dépendance à ses rivaux. Toute perturbation de cette chaîne d’approvisionnement, qu’elle soit provoquée par des tensions géopolitiques ou des restrictions, pourrait gravement affecter la production de véhicules électriques en Occident. Dans l’état actuel des choses, la Chine pourrait tout à fait bloquer l’économie mondiale et empêcher les Américains et Européens de se fournir, ce qui pourrait avoir des conséquences graves et pourrait découler sur des pénuries, à l’image de ce que nous avons vu au début de la crise sanitaire avec les masques. 

De plus, la Chine bénéficie d’économies d’échelle et de subventions publiques qui lui permettent de produire des véhicules électriques à des coûts bien inférieurs à ceux des constructeurs occidentaux. Cela compromet la compétitivité des industriels européens et américains, qui peinent à rivaliser avec les prix bas des modèles chinois. La Chine profite ainsi de marchés occidentaux ouverts, tout en conservant une position protectionniste chez elle. Il est aujourd’hui difficile voire impossible pour des constructeurs européens d’exister sur ce marché stratégique, comme on a pu le vor avec les constructeurs allemands.  Cela se traduit vers un manque à gagner, et surtout compliqué davantage nos perspectives de croissance forte et pérenne en se basant sur une industrie d’avenir. 

À terme, la dépendance envers les chaînes d’approvisionnement chinoises menace non seulement la sécurité économique mais aussi les objectifs climatiques de l’Occident, qui nécessite une accélération de sa transition énergétique tout en construisant une industrie locale solide.

2- Quelles sont les moyens dont disposent l’Europe et la France pour lutter efficacement contre l’emprise de la Chine sur le marché des véhicules électriques et des batteries ? La course contre la Chine est-elle perdue d’avance à cause d’erreurs commises dans le cadre de la politique industrielle et en termes d’innovation ? 

L’Europe et la France disposent de quelques leviers pour réduire l’emprise de la Chine dans le secteur des véhicules électriques. L’un des plus évidents est l’imposition de droits de douane sur les véhicules électriques chinois, à l’image des 35,3 % votés ce vendredi par l’Union européenne (avec pour autant des divisions claires au sein de l’Union et des pays comme l’Allemagne ou l’Espagne qui s’opposent frontalement à la mesure), pour protéger les fabricants européens de la concurrence déloyale. Mais ces droits de douane, seuls, ne suffiront pas à rééquilibrer le marché.

L’Europe doit aussi investir massivement dans ses infrastructures et ses industries. Des initiatives comme l’Alliance européenne des batteries et le plan « Fit for 55 » visent à accroître la production locale et à développer des réseaux de recharge, essentiels à l’adoption des véhicules électriques. En parallèle, la diversification des chaînes d’approvisionnement est indispensable pour réduire la dépendance envers les matières premières chinoises. Il faut donc nouer des accords avec des pays tiers nous permettant de sécuriser notre approvisionnement en matières premières nécessaire à la conception des véhicules électriques, et devenir un joueur de premier plan au niveau des batteries . Se focaliser uniquement sur le produit fini, c’est -à -dire le véhicule, serait une erreur car c’est bien toute la chaîne à laquelle il faut penser. 

Enfin, l’environnement réglementaire européen doit permettre l’innovation tout en veillant à ne pas étouffer les fabricants locaux avec des normes trop strictes. Cela nécessitera un équilibre entre les objectifs climatiques et une politique industrielle compétitive. Le droit européen de la concurrence, trop restrictif et véritable empêcheur de tourner en rond, doit être repensé dans les grandes lignes pour permettre à terme la création de champions européens. Une mesure de Buy European Act, semblable à la préférence nationale opérée pour les commandes publiques américaines, serait également louable car elle permettrait d’aider les constructeurs européens. 

3- Les droits de douane et la stratégie que souhaiterait déployer l’UE vont-ils déboucher sur une guerre commerciale avec la Chine pour les véhicules électriques ? Quelles sont les mesures de rétorsion dont dispose la Chine contre l’Europe ?

L’imposition de droits de douane par l’Union européenne sur les véhicules électriques chinois pourrait effectivement déclencher une guerre commerciale. La Chine a déjà réagi vivement, qualifiant ces mesures de protectionnistes et menaçant de représailles. Elle pourrait notamment imposer des taxes sur les exportations européennes, comme elle l’a fait en lançant une enquête anti-dumping sur les importations européennes de porc. Cela explique les réticences de l’Espagne à voter en faveur des droits de douane additionnels, le pays étant le premier exportateur européen de porc. 

Une telle guerre commerciale risque de perturber les chaînes d’approvisionnement mondiales, en particulier l’accès aux matières premières critiques comme le lithium et le cobalt, dont l’Europe est très dépendante. Cela pourrait aussi faire grimper les coûts de production pour les constructeurs européens et ralentir l’adoption des véhicules électriques, menaçant ainsi les objectifs climatiques de l’UE.

La Chine pourrait également restreindre l’exportation de certaines ressources stratégiques, notamment les terres rares, indispensables à la production de véhicules électriques et d’autres technologies. Une guerre commerciale risquerait de peser lourdement sur l’économie mondiale et sur la transition énergétique.

4- Quelles sont les leçons à retenir pour la France et l’Europe de la précédente guerre commerciale entre les Etats-Unis et la Chine sur le marché des microprocesseurs ? 

La guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine dans le secteur des semi-conducteurs montre les limites des droits de douane en tant qu’outil stratégique. Bien que ces taxes aient offert une protection temporaire à certains secteurs, elles n’ont pas fondamentalement mis à mal la domination chinoise dans les semi-conducteurs. Les leçons sont claires : les droits de douane doivent s’inscrire dans une stratégie plus large incluant des investissements dans la production locale et l’innovation.

Aux États-Unis, la réponse à la montée en puissance de la Chine est passée par des investissements massifs, notamment avec le CHIPS Act. De la même manière, l’Europe doit renforcer ses capacités industrielles, comme elle l’a commencé avec l’Alliance européenne des batteries. Mais ces efforts doivent être intensifiés, et surtout, il faut sortir de notre angélisme et de notre carcan idéologique pour voir l’urgence en face et réaliser que le continent sans usine voulu par certains n’est qu’une chimère. 

Autre leçon : la coopération internationale est cruciale. L’Europe doit diversifier ses chaînes d’approvisionnement pour réduire sa dépendance à la Chine et travailler étroitement avec ses partenaires. La Chine a su par le passé se montrer agressive et se servir de sa diplomatie pour garantir ses approvisionnements et débouchés. Il ne faut pas hésiter à en faire de même… 

Enfin, l’innovation doit être au cœur de cette stratégie, car c’est la clé pour rester compétitif sur le long terme. Les droits de douane ou les subventions ne font pas tout, il faut en effet stimuler la recherche, former de la main d’œuvre qualifiée et attirer des talents internationaux. 

Pierre Clairé, directeur adjoint des études du Millénaire

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Crédit photo : Matti Blume, via Wikimedia Commons sous license CC BY-SA 4.0.

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