1. Le débat sur l’annexion du Groenland par Donald Trump permet de s’interroger sur les difficultés de l’Europe lors de la gestion de l’adhésion de l’Islande. En 2009, l’Islande avait envisagé d’adhérer à l’UE, ce qui aurait été un atout stratégique pour l’UE, car cela aurait pu ouvrir la voie à l’adhésion du Groenland. L’Union européenne n’a-t-elle pas perdu un fort capital politique, énergétique et géopolitique avec l’échec du processus d’adhésion de l’Islande et du Groenland ?
La gestion des relations avec le Groenland et l’Islande par l’Union européenne illustre un échec dans sa capacité à exister stratégiquement, et à se positionner dans l’Arctique dans le cas présent. Lorsque l’Islande envisageait sérieusement d’intégrer l’UE en 2009, alors que le pays avait énormément souffert de la crise de 2008 et cherchait soutien et stabilité, la question n’était pas simplement d’accueillir un nouvel État membre, mais de s’ancrer dans une région devenue cruciale pour l’avenir géopolitique mondial en raison de ses vastes ressources naturelles et de ses routes stratégiques émergentes. Pourtant, l’UE a laissé passer cette opportunité. Au lieu de renforcer sa présence dans l’Arctique, elle s’est empêtrée dans des négociations sans vision à long terme. Les négociations ont piétiné, notamment sur la question de la pêche, sans que l’UE ne se montre flexible et adopte une vision stratégique.
Le Groenland, avec ses immenses réserves énergétiques ou de métaux rares, est depuis longtemps convoité par les grandes puissances. La Chine, en particulier, s’est engagée dans une stratégie d’expansion agressive pour mettre la main sur les ressources, un enjeu qui a poussé Ursula von der Leyen et Mette Frederiksen à se rendre en 2024 sur l’île, non pas en signe de triomphe diplomatique, mais en réponse à l’inquiétude face aux investissements chinois dans les mines groenlandaises.
La passivité et l’aveuglement européen sur cette question risque de la réduire au statut de simple spectatrice dans une région où elle avait tout pour dominer et cela ressemble à une occasion manquée, tant sur les plans politique, énergétique et géopolitique. Mais une fois de plus, l’UE se montre incapable de donner la priorité à ses intérêts stratégiques et se fait rattraper. Les déclarations provocatrices de Trump sur une éventuelle annexion du Groenland ne font qu’exposer davantage cette passivité européenne, dont d’autres veulent tirer profit.
2. L’adhésion de l’Islande a échoué en 2009 sur la question des droits de pêche. L’Europe ne s’est-elle pas trompée de combat en se préoccupant des quotas de pêche à l’époque ? L’UE ne s’est-elle pas focalisée sur des considérations mineures dans ce dossier et pas sur des enjeux majeurs pour son avenir et son influence (la sécurité de l’Arctique, les enjeux géopolitiques et énergétiques qu’auraient pu offrir l’adhésion de l’Islande) ?
L’importance donnée par l’UE aux quotas de pêche lors des négociations avec l’Islande représente une erreur manifeste de priorisation. Alors que les tensions géopolitiques dans l’Arctique montaient en raison de la fonte des glaces, de l’ouverture potentielle de nouvelles routes commerciales et de la découverte de ressources, Bruxelles a maintenu une ligne inflexible sur la Politique commune de la pêche. Pour l’Islande, dont l’économie repose largement sur la pêche, ces quotas représentaient une atteinte directe à sa souveraineté économique.
En privilégiant la cohérence réglementaire à court terme plutôt que les gains stratégiques à long terme, l’UE a perdu une occasion précieuse de se renforcer dans l’Atlantique. Elle a encore montré son incapacité à aligner ses politiques techniques sur ses impératifs stratégiques. En réalité, la rupture des négociations par l’Islande ne portait pas uniquement sur les quotas de pêche : elle reflétait une méfiance plus profonde envers une union perçue comme insensible à l’autonomie et à l’importance géopolitique de l’Islande.
Avec le recul, il est évident que l’UE a sous-estimé le rôle stratégique de l’Islande, et le référendum sur l’adhésion qui devrait se tenir sur l’île avant 2027 n’y changera rien car le train est passé. La position géographique de l’Islande offre un accès maritime sans égal et constitue un point clé de défense transatlantique. Tandis que l’UE restait bloqué par des considérations techniques, la Russie et la Chine étendaient leur influence dans l’Arctique à travers des déploiements militaires et des investissements économiques, ce que Trump veut imiter. La leçon est claire : l’inflexibilité bureaucratique de l’Europe lui coûte cher sur le plan géopolitique.
3. Si l’UE avait permis au Groenland et à l’Islande d’adhérer, l’Union européenne n’aurait-elle pas obtenu un point d’appui dans l’une des régions les plus importantes stratégiquement ?
Si le Groenland et l’Islande avaient intégré l’UE, celle-ci aurait consolidé sa position dans l’une des régions les plus stratégiques du XXIe siècle. Les réserves de métaux rares du Groenland sont essentielles à l’indépendance technologique européenne vis-à-vis de la Chine. De son côté, l’Islande, au croisement des océans Atlantique Nord et Arctique, est une place incontournable de la sécurité arctique de l’OTAN et des opérations transatlantiques.
Les récentes déclarations de Donald Trump sur le Groenland, même si elles peuvent être perçues comme un coup de théâtre politique, rappellent cruellement l’importance géopolitique de cette région et les vulnérabilités européennes. En d’autres termes, les provocations de Trump ne font qu’exposer un fait incontestable : tandis que les États-Unis et la Chine considèrent l’Arctique comme un front stratégique, l’UE continue de le traiter comme un enjeu périphérique.
Le contrôle des régions riches en ressources et des points de passage déterminera la répartition du pouvoir mondial dans les décennies à venir. Si l’UE avait sécurisé ses partenariats avec le Groenland et l’Islande, à une époque où personne ne se souciait de ces territoires, elle aurait renforcé sa politique arctique en exerçant une influence réelle sur les routes commerciales et les ressources naturelles clés de la région. Au lieu de cela, son incapacité à agir de manière décisive a laissé la porte ouverte aux puissances rivales.
Les récentes initiatives de l’UE visant à renforcer sa stratégie arctique risquent d’être insuffisantes et arrivent trop tard, surtout dans le cas groenlandais qui a consommé sa rupture avec le Danemark et l’UE. Si l’Union ne dépasse pas ses blocages bureaucratiques et ne développe pas une politique étrangère plus agile et tournée vers l’avenir, elle restera en marge des décisions qui façonneront l’avenir du monde…
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Crédit Photo : Iceland Flag, via StockSnap sous Licence CC0 1.0.
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