Entretien de Matthieu Hocque pour Atlantico : « Charlie Hebdo 10 ans après : quel est le bilan de la guerre contre le terrorisme ? »

Depuis 2017 et la fin de l’état d’urgence, la France s’est habituée à vivre avec la menace islamiste. Notre pays est-il réellement préparé aux mutations du terrorisme ?

1- 10 ans après les attentats de Charlie Hebdo, quel bilan peut être tiré de la « guerre contre le terrorisme » tant au niveau international que national ?

Tout d’abord, nous menons une guerre contre le terrorisme car ce sont les islamistes qui nous l’ont déclaré en s’attaquant aux fondamentaux de notre société et de notre civilisation, comme au reste de l’Occident à travers les attentats du 11/09 aux Etats-Unis ou du 7/10 en Israël. Cette précision sémantique a toute son importance car cela permet de battre en brèches ceux qui estiment que c’est toujours un Occident « Bushiste » qui mènerait une guerre de civilisation au monde arabo-musulman. Ce n’est plus le cas, nous agissons en réaction. 

Dix ans après l’attentat contre Charlie Hebdo, le bilan de la lutte contre le terrorisme est mitigé. Sur le plan international, les premières années ont été marquées par un succès notable : la coalition internationale, avec une forte implication de la France, a vaincu Daesh en Irak et en Syrie en deux ans avec la chute de Mossoul (juillet 2017) et de Raqqa (octobre 2017), réduisant ses effectifs de 40 000 à moins de 10 000 combattants clandestins d’après l’ONU. Cependant, la perte territoriale de l’État islamique n’a pas éliminé la menace : le djihadisme mondial est désormais diffus et décentralisé, comme le rappellent les récents événements en Syrie.

Et nous arrivons sur le plan intérieur, cela a entrainé une reconfiguration du profil des terroristes plus solitaires, plus « low cost » et dotés de moyens rudimentaires rendant la menace beaucoup plus diffuse, une sorte de « djihadisme d’atmosphère » au sens de Gilles Kepel. Or, dans ces circonstances, les politiques publiques menées après l’état d’urgence et la loi SILT de 2017 ne sont pas mauvaises, mais sont inspirées de la « doctrine de l’exemple ». Autrement dit, c’est en réaction à chaque menace ou attentat que l’on fait évoluer la réponse, par exemple une loi sur les transports après les attentats dans un train en Belgique, etc. 


2- Après Charlie Hebdo, le Bataclan, les attentats de Nice, la mort de Samuel Paty, du Père Hamel, du colonel Beltrame, la France s’est habituée à vivre avec le terrorisme islamiste mais notre pays s’est-il réellement préparé aux mutations du terrorisme ? 

La France a payé le prix du sang face à l’islamisme. La séquence terroriste ouverte depuis l’attentat de Mohammed Merah a causé la mort de 273 personnes, soit le plus haut niveau depuis la guerre d’Algérie. Une « génération attentats » qui préfère abandonner des acquis occidentaux en termes de liberté par crainte du terrorisme, est née. Selon une étude Elabe d’octobre 2023, les 18-24 ans se disent tout autant inquiets du terrorisme que le reste de la population (81% vs. 84%), mais ils sont les plus susceptibles de changer leurs habitudes de vie (52% vs. 43% en moyenne globale, soit 9 points de plus). 

Comme souvent, notre pays répond à un problème par la doctrine du « plus de moyens », et en l’occurrence ici c’est nécessaire. En plus de la loi SILT qui pérennise plusieurs mesures de l’état d’urgence, l’opération Sentinelle a mobilisé 10 000 militaires, les effectifs des services de renseignement ont été augmentés de 1 900 agents, et le budget a été doublé par rapport à 2015. Et cela paie : depuis 2017, la France a été touchée à 12 reprises par des attentats terroristes islamistes. En miroir, 45 projets d’attentats ont été déjoués, dont 12 en 2023 (25% en lien avec le terrorisme islamiste, le reste relevant du terrorisme régional corse ou d’ultra-droite). 

Seulement, la menace est désormais plus diffuse. L’État n’y est pas suffisamment préparé car il ne lutte pas assez contre l’islamisme sur notre sol. Aujourd’hui, des responsables politiques peuvent s’afficher ostensiblement avec des islamistes comme Elias Imzalène.  


3- Le glissement vers un terrorisme avec des profils dotés de moyens rudimentaires rend-elle la menace plus difficile à anticiper ?

Assurément et pour trois raisons. Premièrement, ces profils sont isolés et n’appartiennent à aucun réseau. Parfois, ils ne sont même pas connus des services police. Ainsi, la saisie d’armes lourdes, les perquisitions administratives, les assignations à résidence, ou les moyens de surveillance accrus sont moins efficaces que pour appréhender des réseaux. Deuxièmement, ces profils utilisent n’importe quel objet du quotidien (couteaux, véhicules, etc.) pour semer la mort. De fait, la lutte contre le trafic d’armes ne permet plus de remonter aux réseaux terroristes et ceux-ci peuvent passer à l’acte n’importe quand et n’import où. Dernièrement, ces profils ont leur propre logique de passage à l’acte qui peut reposer sur un événement national, international ou lié à leur situation personnelle, comme dans le cas de l’assassinat de Dominique Bernard.


4- Faut-il faire évoluer l’approche de la France avec une nouvelle vision, un containement de l’islamisme à l’international et son confinement sur le sol national ? Comment mettre en œuvre cette nouvelle stratégie ?

Tant que l’idéologie du totalitarisme islamique sera présente en France, en Europe et dans le monde, jamais nous ne serons à l’abri du terrorisme. L’islamisme est une hydre, il peut être chiite ou sunnite. Lutter contre cette idéologie impose de changer de doctrine. 

À l’échelle internationale, les puissances islamistes se sont diversifiées. Si les groupes terroristes sont en perte de vitesse depuis la défaite militaire de Daesh ou sont en difficulté comme le Hamas et le Hezbollah grâce à Israël, nous avons laissé s’établir des puissances étatiques islamistes avec l’Iran des ayatollahs et la Turquie d’Erdogan. Une coalition militaire internationale est impossible en raison de leurs alliances avec la Russie et la Chine. La stratégie devrait donc reposer sur un containment, incluant un isolement diplomatique de ces États et un soutien actif à leurs adversaires, tels qu’Israël ou les Kurdes, pour affaiblir leurs proxys.

A l’échelle nationale, il faut confiner l’islamisme. Cela passe par traiter trois problématiques précises : créer un délit d’intelligence avec l’islamisme pour punir tous ceux se compromettant avec cette idéologie, en finir avec l’angélisme avec les mineurs radicalisés et fermer les lieux d’entrisme tels que certaines mosquées, salles de prière ou encore associations.


5- Face aux nouvelles menaces terroristes et au regard de la situation en Syrie, la France doit-elle ouvrir une nouvelle décennie de politiques publiques pour vaincre le totalitarisme islamique ?    

La lutte contre le totalitarisme islamique est le défi du siècle. Après la décennie 2015-2025, il faut ouvrir une nouvelle décennie de politiques publiques autour de la nouvelle doctrine mentionnée ci-dessus afin de s’adapter aux menaces. 

Un premier sujet pour ouvrir cette nouvelle décennie de politiques publiques concerne la lutte contre les mineurs radicalisés et les enfants de djihadistes, notamment à l’heure où la Syrie bascule vers l’islamisme. Depuis 2019, plus de 1 500 enfants sont revenus du nord-est syrien, dont 225 mineurs actuellement en France. Parmi eux, 217 ont séjourné en zone irako-syrienne, et 66% ont moins de 10 ans. Lorsque l’on sait que la quasi-totalité des attentats islamistes déjoués en 2023 sont le fait de mineurs et que 20% des fichés S pour islamisme sont mineurs, commençons par les menaces pressantes.

Matthieu Hocque, Directeur adjoint des Etudes du Millénaire, spécialiste des politiques publiques et auteur de la note « Charlie Hebdo 10 ans après : quel est le bilan de la guerre contre le terrorisme ? » pour Le Millénaire

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Crédit Photo : Hommage national aux victimes du terrorisme, vendredi 27 novembre… National tribute to victims of terrorism Friday, November 27, par ImAges ImprObables, via Flickr sous Licence CC BY-NC-ND 2.0.

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