Entretien de Pierre Clairé pour Atlantico « ces leçons qui s’imposent déjà malgré l’incertitude sur le résultat de l’élection présidentielle turque »

Après 20 ans au pouvoir, le président Erdogan est arrivé en tête du 1er tour et même si les résultats sont encore incomplets, il semble par ailleurs avoir gagné une majorité parlementaire. Son adversaire Kemal Kılıçdaroğlu pense malgré tout la victoire à sa portée

Atlantico : Ce dimanche 14 mai, près de 64 millions de Turcs étaient appelés aux urnes pour élire leur nouveau président. Faut-il s’attendre à des polémiques sur les résultats dans les heures et les jours qui viennent ? Quand saurons-nous qui aura remporté définitivement l’élection ?

Pierre Clairé : La reconnaissance des résultats est une question centrale pour la Turquie dont les dernières élections municipales ont été émaillées par des fraudes et des irrégularités. Il y a donc fort à parier que nous devions attendre un certain temps avant de connaître les résultats finaux de ces élections. Pourtant nous savons qu’un second tour se tiendra dans deux semaines, aucun candidat n’ayant atteint les 50% nécessaires pour devenir président. Le décompte officiel par ailleurs peut être sujet à débat.

Les bureaux de vote ont fermé en Turquie à 17:00 heure locale, ou 16:00 à Paris, et près de deux heures après la fin du vote les premiers résultats partiels ont commencé à être diffusés par l’agence officielle Anadolou. La loi turque prévoit une interdiction de divulgation de résultats partiels avant 21:00, mais elle a été levée par la Commission électorale suprême de Turquie ce qui a permis de connaître les résultats avant. Face à cela, l’opposition incarnée par les maires d’Istanbul et d’Ankara (potentiels vice-président et porte-parole de l’opposition) a annoncé se méfier de ces chiffres donnés par l’agence. En effet, par le passé Anadolou a été accusée de surévaluer Erdogan et l’AKP. En retour, le pouvoir autour d’Erdogan critique fermement les oppositions. Kemal Kiliçdaroglu, le candidat d’opposition a annoncé dans la journée être en tête selon des observateurs mandatés par son parti pour surveiller le dépouillement alors que l’agence officielle contredisait cela. En somme, la tension est à son comble et il y a fort à parier que l’opposition ne pourra pas reconnaître le décompte officiel lorsqu’il sera terminé. Kemal Kiliçdaroglu a décidé de placer un ou plusieurs observateurs dans tous les bureaux de vote pour s’assurer du bon déroulement du vote et craignant des fraudes et des irrégularités. Il a demandé à ses observateurs de ne pas quitter des yeux les urnes, par peur de malversations. Il a aussi prévenu que la Russie pourrait fausser le scrutin en manipulant les votes. En jetant le doute sur les résultats du premier tour, l’opposition accepte les résultats tout en créant un climat de défiance envers le nouveau Calife ottoman Erdogan pour jouer le rapport de force au second tour.

Pour ce qui est du pouvoir en place, il semble difficile d’imaginer Erdogan reconnaître sa défaite facilement le cas échéant car la campagne a été d’une rare violence. Des heurts, des insultes et des menaces contre ceux vus comme des traîtres ou des mauvais musulmans ont ponctué les rassemblements de l’opposition. Cette situation explosive s’explique par la perte de vitesse électorale de l’AKP lors des derniers scrutins. Les élections municipales de 2019 avaient été très mauvaises pour le parti présidentiel avec la perte de nombreuses villes, dont Istanbul, la plus grande ville turque, où le candidat d’opposition avait remporté l’élection d’une courte majorité. Erdogan avaient par ailleurs décidé d’annuler les résultats pour cause d’irrégularités. Toutefois, lors du nouveau scrutin, la participation fut encore plus grande et la victoire de l’opposition plus flamboyante. Cette défaite symbolique avait mis Erdogan une première fois au pied du mur sans option activable. D’un côté, en remettant en cause sa défaite, il risquait de perdre une partie de sa base populaire, ce qui le desservirait à moyen terme. De l’autre, en acceptant sa défaite, cela le mettrait en difficulté vis-à-vis de ses partisans les plus véhéments parfois appelés “les loups gris”. En effet, ils se montrent très véhéments et sont prêts à lutter jusqu’au bout en cas de victoire de l’opposition en ne reconnaissant pas les résultats.

Les doutes sur les fraudes et les irrégularités du scrutin du jour s’inscrivent dans cette continuité électorale marquée par un actuel climat social délétère. Les résultats définitifs de l’élection présidentielle étaient attendus vers 11 heures hier soir, mais il y a fort à parier que nous ne connaîtrons pas le fin mot de l’histoire qu’aujourd’hui voire plus en cas de litige majeur même si nous sommes certains que nous nous dirigeons vers un second tour. Comme en 2019, Erdogan est coincé. D’autant plus que s’il s’attache trop à son pouvoir, il y a fort à parier que l’armée puisse s’en mêler, ce qui ne fera que des perdants : Erdogan, la Turquie et le Moyen-Orient.

Atlantico : Les élections législatives se déroulaient dans le même temps. Que peut-on dire de l’évolution des forces en présence au Parlement turc ?

Pierre Clairé : Il est important de le rappeler car tout le monde (à juste titre) est obnubilé par l’élection présidentielle et la possible défaite d’Erdogan. Cela peut s’expliquer par la révision constitutionnelle de 2017 qui a fait passer le pays d’un système parlementaire à un système présidentiel avec un Parlement très faible. De plus, les élections législatives ne comportent qu’un seul tour.

Le rapport de force actuel est hérité des élections législatives de 2018 qui ont parachevé le virage autocratique d’Erdogan. Elles se sont tenues la même année que l’élection présidentielle renforçant le poids du parti présidentiel. Le premier parti d’opposition, le parti kémaliste CHP (se revendiquant de Mustafa Kemal Atatürk, père de la République) ne dispose que de 22% des sièges et peine à exister. De plus, il faut signaler que l’opposition en Turquie est éparse, allant au CHP de Kemal Kiliçdaroglu (centre gauche) au PKK Kurde. Face à cette opposition divisée, l’AKP dispose presque de la majorité absolue avec 41% des sièges. En nouant une alliance avec l’extrême droite, le parti présidentiel a pu sécuriser la majorité absolue. Depuis 2018, Erdogan dispose donc de larges marges de manœuvre pour diriger son pays dans la bataille hégémonique au Moyen-Orient face à l’Iran et l’Arabie Saoudite ainsi que pour exister dans un monde multipolaire.

Lors de l’élection présidentielle, les 6 partis d’opposition ont joint leurs forces et se sont rangés derrière Kemal Kiliçdaroglu dans un front anti-Erdogan historique. Ainsi, il n’y eut que trois concurrents lors de l’élection (Muharrem Ince, dernier candidat d’opposition en lice s’étant retiré jeudi dernier). En revanche, cette alliance de fortune semble plus complexe au Parlement, Seul leur rejet de l’autocrate en place a fondé l’alliance, alors que beaucoup de questions opposent ces partis. Ainsi, il semble bien moins probable de voir l’opposition sécuriser une victoire éclatante au Parlement tant leur désunion est visible (preuve en est la candidature de certains candidats d’autres partis d’opposition comme le PKK et l’absence d’un front uni). De plus, Erdogan et l’AKP ont pu sécuriser une base solide en 20 ans de règne et depuis l’élection de 1994 qui a vu la percée des islamo-conservateurs en Turquie. Ils sont mieux implantés dans les régions retirées et périphériques, ce qui est un avantage certain avec le mode de scrutin.

Il y a eu un effet anti-Erdogan aussi lors de cette élection, mais moindre pour les différentes raisons évoquées. La majorité de l’AKP devrait s’effriter bien évidemment, mais des années de clientélisme ont permis de s’assurer le soutien d’une partie de la population, ce qui a rendu le rapport de force proche de celui que l’on connaît actuellement et promet des débats houleux au Parlement.

Atlantico : Comment expliquer la mise en ballotage d’Erdogan, au pouvoir depuis 2003 (et Président depuis 2014) ?

Pierre Clairé: La mise en ballotage d’Erdogan (il est placé en tête par deux agences de sondages d’opinion, l’une privée l’autre officielle avec un peu plus de 49% des suffrages) peut s’expliquer par un essoufflement du pouvoir et par le rejet de sa vision autoritaire et de son exercice du pouvoir. Devenue une “démocrature”, ni totalement une démocratie, ni totalement une dictature, la Turquie penche dorénavant bien plus du côté de la dictature. En effet, l’index démocratique de la Turquie n’a fait que baisser depuis son arrivée en 2003 et le pays n’est plus vu comme une démocratie fonctionnelle, avec des manquements notables à l’État de droit ou aux libertés de la presse.

La sociologie de l’électorat turc a aussi changé drastiquement depuis 2003. En effet, à cette époque la population turque était réceptive au discours islamo-conservateur d’Erdogan alors qu’une grande partie de celle-ci se disait pratiquante. Toutefois, en 20 ans, l’électorat turc a bien changé. La jeunesse est moins conservatrice et davantage attachée aux libertés, à la différence de leurs aînés. De plus, le virage néo-ottoman et autoritaire d’Erdogan n’a pas plu aux Turcs attirés par les valeurs occidentales. Erdogan a clairement torpillé l’héritage d’Atatürk, qui avait permis à la Turquie de devenir un pays laïc, moderne et occidental. La ré- isamisation forcée de la Turquie avec l’enseignement du Coran à l’école ou l’autorisation de porter le voile dans l’administration a clairement pesé dans la balance. Durant sa campagne, Erdogan a mis l’accent sur l’identité sunnite chère à de nombreux turcs lorsque son opposant, Alévi pratiquant (mouvement du chiisme), est traité d’alcoolique et de mauvais musulman. De plus, le souhait de l’opposition de renvoyer les réfugiés syriens a été largement critiqué par Erdogan, comme étant la preuve qu’ils ne sont pas de bon musulmans. Seulement, cette rhétorique n’imprime plus en Turquie.

Sur le plan économique, le bilan d’Erdogan est relativement bon. Le PIB est passé de 240 milliards en 2002 à 905 en 2022. Les échanges ont aussi augmenté avec des liens forts avec plusieurs pays comme la Russie et des discussions existent pour faire rentrer la Turquie dans l’organisation des BRICS. De plus, Erdogan a permis à de nombreuses personnes de s’enrichir et accorde de nombreuses aides. Seulement, une partie des Turcs lui reprochent son bilan économique derrière ces chiffres macro-économiques. En effet, l’autocrate est vu comme le responsable de la grave crise économique et monétaire qui touche le pays. L’inflation atteint des niveaux record avec 45% en avril alors qu’un pic à 85% a été atteint. Des économistes indépendants mettent en doute les chiffres officiels et invoquent une inflation supérieure à 100% actuellement. La livre turque a perdu 95% de sa valeur lors des dix dernières années ce qui renchérit le poids des importations. Pour la première fois depuis son arrivée au pouvoir, il semblerait que les Turcs refusent la rhétorique d’Erdogan de rejeter la faute sur l’Occident, et les taxes américaines.

Le tremblement de terre de février 2023 a aussi joué un rôle déterminant dans la grogne populaire et a desservi Erdogan. En effet, l’AKP et Erdogan sont attaqués ici sur deux points : la lenteur de la réponse, avec des reconstructions qui n’ont pas encore commencé ainsi que d’être à l’origine de la corruption dans l’édification de bâtiments qui ne respectent pas les normes élémentaires de sécurité. Par son clientélisme et son implantation dans les territoires, l’AKP a cherché à s’attirer les faveurs de barons locaux en passant le voile sur certaines normes anti sismiques et sont vu comme complices de la catastrophe.

Sur la scène internationale enfin, la vision néo-ottomane d’Erdogan, qui veut faire de la Turquie un champion régional, non aligné sur l’Occident, peut poser problème. En effet, elle va à l’encontre de la vision d’Atatürk qui voulait une Turquie proche de l’Occident. Comme nous l’avons dit, la population turque est très occidentalisée et attachée aux valeurs occidentales et voit d’un mauvais œil cet antagonisme avec un Erdogan qui s’isole. De plus cette volonté de puissance a poussé Erdogan a envoyer les troupes turques en Syrie ou en Libye, pour aider « leurs frères musulmans » mais cela s’est traduit par un afflux de réfugiés syriens par exemple, qui restent dans le pays plus de dix ans après le début de la guerre. Ceux-ci ont du mal à s’adapter ou trouver un travail, alors que leurs enfants fréquentent les écoles turques et pèsent sur les finances publiques, ce qui crée un ressenti migratoire dans un pays où le coût de la vie augmente de manière exponentielle.

Atlantico: Comment expliquer la présence de l’opposant social-démocrate à Erdogan au second tour ?

Quand il s’est déclaré candidat, Kemal Kiliçdaroglu n’était pas le plus connu des opposants à Erdogan. Peu d’observateurs voyaient en lui le principal acteur de cette élection et celui capable de défier le Calife Erdogan. Pourtant, il a réussi à faire taire les critiques et s’est imposé comme chef de file de l’opposition, rassemblant les différents partis et étant laissé seul face à Erdogan.

Sa présence au second tour (il arrive deuxième avec un peu plus de 45% des suffrages) est déjà une victoire car il était impensable il y a quelques années qu’Erdogan puisse être mis en ballotage. Cela s’explique par le vent de fraîcheur que beaucoup de Turcs veulent après 20 années de règne. Kemal Kiliçdaroglu était vu comme un novice, moins habitué aux questions étatiques que son opposant et surtout incapable de parler de politique internationale. Il a ainsi décidé d’axer son discours sur la politique intérieure, ce qui intéresse davantage les Turcs usés par les multiples crises touchant le pays.

Son crédo était le suivant : démocratiser la Turquie et revenir sur les dérives d’Erdogan. Ce discours a trouvé un écho certain dans la population turque et chez les Occidentaux qui ont toujours souhaité la victoire de l’opposant officiel (flirtant avec l’ingérence). Ainsi les questions d’État de droit ont été mises au cœur de son projet, afin de faire plaisir aux Occidentaux et à l’Union européenne avec laquelle il compte se rapprocher. Les pourparlers d’adhésion de la Turquie ont cessé en 2018 avec la réforme constitutionnelle, au grand dam de certains Turcs qui se voient comme occidentalisés et proches des Européens. Kemal Kiliçdaroglu veut renouer avec l’héritage d’Atatürk et en finir avec la politique néo-ottomane d’Erdogan. Il veut

ainsi revenir sur la présidentialisation du régime pour renouer avec le système parlementaire. Il s’inscrit enfin à l’opposé de la personne d’Erdogan. Alors que certains de ses déplacements ou de ses soutiens ont été attaqués par des partisans d’Erdogan, il n’a pas cherché à répondre pour incarner l’arrivée d’une nouvelle ère turque davantage apaisée.

Enfin sur l’international, il s’est entouré de personnes compétentes avec notamment un ancien conseiller d’Erdogan, ce qui a permis de le crédibiliser. Encore une fois, il a dit vouloir apaiser en jouant le jeu du concert des nations et en se rapprochant de l’Occident. Il a rejeté la politique d’Erdogan, affirmant vouloir retirer les troupes de Libye ou Syrie, ou cesser les obstructions au bon fonctionnement de l’OTAN. Pour autant, il n’a pas voulu revenir sur la politique d’Erdogan qui a fait de la Turquie un intermédiaire de choix dans les affaires étrangères, notamment en Ukraine.

Atlantico : Dans quelle mesure ces résultats changeront l’avenir proche de la Turquie ?

Pierre Clairé: Puisque nous nous dirigeons vers un second tour, il semblerait que la Turquie connaisse encore deux semaines d’une campagne tendue et violente ce qui ne plait à personne. En effet, Erdogan a réussi à faire mentir les sondages et les Occidentaux qui le donnaient perdant, en descendant dans l’arène politique et en se montrant extrêmement virulent face à son adversaire. Kemal Kiliçdaroglu a réussi à encaisser les coups et se montrer présidentiable. Il devra encore affronter une campagne violente durant deux semaines, avant de tenter de faire tomber Erdogan. Cette situation ne convient vraisemblablement pas aux Turcs qui souffrent déjà de la crise et ont connu des mois délicats.

Pour statuer sur l’avenir du pays, il faudra bien entendu attendre le résultat de ce second tour et savoir si Erdogan sera reconduit ou non. Après ce soir nous pouvons dire que la situation de la démocratie turque n’est pas dans un état extrêmement catastrophique malgré une situation préoccupante. En effet, Erdogan n’a pas été réélu avec une majorité écrasante des voix, comme dans d’autres dictatures. De plus, aucune infraction massive à signaler, ce qui est aussi un bon point et montre que tout n’est pas perdu en Turquie. Le résultat montre que les sondages ne s’étaient pas trompés. Il existe une forte opposition en Turquie. Ces résultats demeurent une preuve que l’opposition n’est pas bâillonnée et mise sous silence comme dans d’autres pays comme l’Iran. Quel que soit le résultat du second tour, le peuple continuera à se faire entendre et à se manifester.

En s’avançant un peu, nous pouvons dire que quel que soit le résultat du second tour le fonctionnement turc ne sera pas modifié radicalement. En effet, si Erdogan venait à l’emporter, il continuerait sur sa lancée et les choses ne bougeront pas en Turquie. Si Kemal Kiliçdaroglu venait à être élu, il ne pourrait pas tout changer en un laps de temps aussi court. En effet, il sera confronté à la réalité des choses : une élection extrêmement serrée. Il ne disposera pas du capital politique nécessaire pour faire bouger en quelques jours. Après 20 ans au pouvoir, l’AKP et Erdogan ont pu placer leurs pions et infiltrer l’État. Il sera difficile de les déloger, surtout qu’ils arrivent en tête des élections législatives et bénéficient d’un large soutien d’une partie de la population. De plus, il y a fort à parier qu’en devenant président, Kemal Kiliçdaroglu se contente de ce système présidentiel et tente d’en profiter à son tour.

Atlantico: Les Occidentaux peuvent-ils s’estimer heureux de l’issue de ces résultats ? Pourquoi ?

Pierre Clairé: Les Occidentaux ne peuvent que rester sur leur faim après ce premier tour, car un nouveau président n’a pas émergé. Ils se sont toujours prononcés contre Erdogan et ses vues autocratiques, en soutenant Kemal Kiliçdaroglu et ne peuvent qu’être déçus.

Cette nouvelle donne électorale ne les arrange pas, tant ils souhaitent passer à autre chose et trouver face à eux un interlocuteur plus docile et compréhensif. Il n’en est rien car les deux candidats ont été mis en ballotage. Durant deux semaines, les Occidentaux continueront à se demander comment évolueront leurs relations avec la Turquie évoluer et demeureront la cible des attaques d’Erdogan.

Il ne faut pas se bercer d’illusions avec la Turquie. Si Kemal Kiliçdaroglu semble plus conciliant et tend la main à l’Occident, revenant sur ce que Erdogan a fait durant ses années au pouvoir, rien ne laisse présager un virage à 180 degré. En effet, les questions de la démocratie de l’Etat de droit seront pour lui centrales ce qui facilitera la coopération avec l’Union européenne, les relations avec l’OTAN devraient être normalisées aussi, mais tout l’héritage Erdogan ne sera pas remis en cause pour autant. Ainsi, quel que soit le président élu, les Grecs peuvent s’attendre à des relations complexes et conflictuelles avec la Turquie en Mer Égée à cause des hydrocarbures dont la Turquie a besoin sachant qu’elle consomme plus d’énergie qu’elle n’en produit. De même, la relation rapprochée avec la Russie ne devrait pas évoluer pour des raisons similaires car les Russes fournissent des hydrocarbures à la Turquie et participent à la construction de centrales nucléaires dans le pays. Aussi, il semble que la volonté de faire de la Turquie une puissance régionale soit partagée par Kemal Kiliçdaroglu qui compte discuter avec de nombreux États. Enfin, il y a peu de chances que la question de Chypre et de l’occupation de la partie Nord de l’île évolue car une majorité de Turcs y est attaché. Certes Kemal Kiliçdaroglu est certes plus qu’Erdogan, mais il n’en reste pas moins turc et cherchera à défendre les intérêts de son pays. Il est donc probable qu’il défende la même politique que son prédécesseur. De plus, il reste relativement novice sur de nombreux points, ce qui n’en fait pas un interlocuteur privilégié.

Si Erdogan est reconduit, la situation ne risque guère d’évoluer et la Turquie risque de se montrer encore plus offensive et conflictuelle. Mais il ne faudrait pas oublier qu’Erdogan plait à certains à Bruxelles. En effet, le rejet qu’il provoque empêche de voir la Turquie avancer dans son processus d’adhésion à l’UE. Le second tour turc devra être attentivement suivi par les Européens pour l’avenir de sa politique de voisinage.

Par Pierre Clairé, spécialiste des questions internationales et directeur adjoint des Études du Millénaire, think-tank gaulliste et indépendant

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Credit Photo : Erdogan via Wikimedia Commons sous licence CC BY-SA 4.0

Kemal Kılıçdaroğlu via Wikimedia Commons sous CC BY 3.0

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