Romain Boulanger et Clément Perrin pour Atlantico « Vers une crise de la dette française ? »

La dégradation de la notation financière française de « AA » à « AA’ » par l’agence de notation Fitch fait ressurgir le risque d’une crise de la dette en France. Pourtant, le Gouvernement a multiplié les signaux envoyés aux créanciers et aux agences de notation avec la réforme des retraites ou la fin du bouclier tarifaire. 

Cette dégradation est un véritable camouflet pour l’exécutif. D’autant plus que le pire est peut-être à venir si l’agence Standard & Poor’s, davantage connue, imitait l’agence Fitch en juin. 

L’exécutif n’a rassuré ni les Français, ni les créanciers sur la dette

Le Gouvernement n’a jamais été en mesure de renverser l’opinion sur la réforme des retraites. Selon le dernier sondage Elabe « L’Opinion en direct » pour BFMTV, 70% des Français sont opposés à la réforme des retraites malgré sa promulgation. Il s’agit d’un chiffre stable depuis les premières mobilisations en janvier 2023. De plus, 85% des Français déclarent s’opposer contre le contenu du texte et non pas par posture face à l’exécutif. Cela démontre qu’ils ont bien compris la réforme, même lorsque le Gouvernement a invoqué sa nécessité financière. La réforme des retraites n’est pas perçue comme suffisante pour vaincre notre addiction aux déficits. 

Face à une telle hostilité interne, il a fallu chercher des soutiens ailleurs. Ainsi, le Gouvernement s’est adressé aux créanciers et aux agences de notation pour les rassurer sur la trajectoire de la dette. L’objectif est de pouvoir toujours emprunter sur les marchés financiers. En effet, pour financer sa dette, l’État émet des obligations assimilables du trésor (OAT) de 2 à 50 ans, et ne rembourse que les intérêts grâce à de nouveaux emprunts (c’est faire rouler la dette).  Seulement, cette stratégie souffre de deux écueils. D’une part, plus de la moitié de la dette est détenue par des acteurs français (banques, assurances, entreprises, ménages). D’autre part, si le Gouvernement ne convainc pas les agences de notation, alors la charge de la dette s’alourdit au détriment des futures générations.

La France vit au-dessus de ses moyens

La seule crise sanitaire n’expliquera jamais l’envolée des dépenses sociales et de fonctionnement. La France vit au-dessus de ses moyens depuis la fin des Trente glorieuses. Le budget de fonctionnement des administrations s’élevait à moins de 2% du PIB au début des années 1960, contre 19,7% du PIB à la fin de l’année 2021, soit 453 milliards d’euros. Sur la même période, les prestations sociales en espèces et en nature, sont passées de 1,2% du PIB en 1960 à 29,2% du PIB en 2021, soit 76,1 % de la dépense publique globale. A PIB constant, en soixante ans, cette hausse équivaut à plus de 600 milliards d’euros de dépenses sociales additionnelles, alors qu’il est toujours plus difficile de trouver de l’argent public. 

Si nous continuons ainsi, nous ne pourrons plus payer nos services publics, financer nos retraites ou investir sur l’avenir. La fin des politiques monétaires accommodantes sonne la fin des largesses budgétaires en raison de l’augmentation de la charge de la dette. En 2022, la charge de la dette est passée de 35 à 50 milliards d’euros, soit une augmentation de plus de 40%. Elle représente désormais l’équivalent de 5 fois le budget du ministère de la Justice. L’incapacité du gouvernement à limiter notre déficit public (en hausse de 5,7 milliards en 2023) ne se fait pas encore pleinement sentir puisque l’inflation est encore supérieure aux taux d’intérêts. En revanche, une fois l’inflation stabilisée comme aux Etats-Unis, la charge de la dette risque de se renforcer du fait de la volonté de la BCE d’amplifier ses taux directeurs. 

Évitons une crise de la dette française

La France doit regagner sa crédibilité économique auprès des marchés financiers. Le risque serait de voir notre stabilité financière durablement endommagée. La France doit stabiliser ses dépenses de fonctionnement, tout en augmentant ses dépenses d’investissement. Depuis 2017, en seulement un quinquennat, les dépenses de fonctionnement auront augmenté de presque 10%, alors que dans le même temps, en 2022, les dépenses d’investissement ne représentaient que 3% du budget de l’État avec 26 milliards d’euros, soit la moitié de la charge de la dette. 

Une crise de la dette menace la France, et le débat public fait semblant de s’y intéresser. En effet, nous ne traitons pas les maux profonds de la dette française. Pour cela, la France doit changer de modèle, en optant pour une rupture dans sa philosophie. Elle doit rompre avec la logique de moyens consistant à augmenter les dépenses publiques à l’occasion de chaque débat public, au profit d’un État qui dépense mieux, plutôt que plus. Par ailleurs, la France ne peut se payer le luxe d’augmenter ses recettes au vu de son niveau de prélèvements obligatoires qui atteint déjà des sommets, le deuxième plus haut de l’OCDE. 

Sans changer de paradigme, nous sommes condamnés à vivre une spirale infernale marquée par des dégradations successives de nos notations financières, à commencer par Standard & Poor’s en juin prochain. Seulement, malgré des dépenses sociales records, il faut 6 générations pour qu’une famille sorte de la pauvreté. Pour mettre fin au déclin, la France doit réformer son système pour soutenir le travail, l’innovation et la production de richesses en s’orientant clairement vers une politique de résultats.

Clément Perrin, Directeur des Etudes du Millénaire

Romain Boulanger, Analyste au Millénaire

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Crédit photo : ministère de l’Économie et des Finances, via Flickr sous licence CC BY 2.0

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