Entretien de Matthieu Hocque et Pierre Clairé pour Atlantico : « Une quête de Premier ministre au risque de mécontenter tout le monde, le nouveau en même temps d’Emmanuel Macron »

Emmanuel Macron a reçu, vendredi, une délégation du Nouveau Front populaire, des Républicains et les principaux dirigeants du camp présidentiel. Emmanuel Macron se donne jusqu’à mercredi soir, avant les Jeux paralympiques, pour trancher et nommer un nouveau Premier ministre.

1- Emmanuel Macron a mené des consultations ce vendredi 23 août avec les présidents des groupes parlementaires et les chefs de partis en vue de former un gouvernement. Le chef de l’Etat a reconnu la nécessité d’un changement d’orientation politique. Dans une lettre, Gabriel Attal plaide pour un Premier ministre qui ne soit pas membre du bloc central. Ce scénario laisse donc présager d’une cohabitation. Au regard du climat politique et de la nouvelle composition de l’Assemblée, la cohabitation va-t-elle permettre de résoudre la crise politique ? Cette cohabitation sera-t-elle plus tendue que les précédentes cohabitations ?

Tout d’abord, il faut signaler que Gabriel Attal est seul à parler de cohabitation, et un premier ministre non-issu du bloc central. Emmanuel Macron n’a jamais fait part de ce souhait, privilégiant l’idée de coalition autour de son camp, en se basant sur les résultats de l’élection de la présidence de l’Assemblée nationale où Yaelle Braun-Pivet a remporté le plus de suffrages. Seulement, une cohabitation ne résoudrait pas la crise politique pour plusieurs raisons

D’une part, la cohabitation n’a été expérimentée en France qu’avec le fait majoritaire. Certes celui-ci était “imparfait” puisque le chef de l’Etat n’était pas issu des mêmes rangs que le Premier ministre, mais les premiers ministres disposaient d’une majorité absolue à l’Assemblée nationale, 290 députés pour Jacques Chirac en 1986-1988, 484 députés pour Edouard Balladur en 1993 et 319 pour Lionel Jospin en 1997. Or, la composition actuelle de l’Assemblée nationale ne permet à aucune coalition parlementaire d’émerger avec une majorité de députés sans y associer des députés issus du parti présidentiel. De ce fait, le prochain premier ministre serait toujours à la fois responsable devant le président qui le nomme et devant l’Assemblée nationale puisque son gouvernement est responsable, ce qui n’est pas le cas des précédentes cohabitations où le Premier ministre n’est finalement responsable que devant l’Assemblée nationale, le Président étant contraint de choisir le candidat désigné par la première force politique.

D’autre part, la cohabitation constate une crise politique sans nécessairement la résoudre. Le recul sur les précédentes cohabitations permet de constater que la cohabitation ne fait que traduire le désaveu du parti présidentiel (cohabitation du Jacques Chirac en 1986 ou celle de Lionel Jospin en 1997). En effet, le RPR de Jacques Chirac a été la solution face au désaveu de la politique de François Mitterrand notamment son tournant de la rigueur en 1993, mais a lui-même fait l’objet d’un fort désaveu en 1997. Ainsi, la cohabitation de 1986 n’a pas résolu à long terme la crise politique et les fractures au sein de la société française.

Enfin, si une telle cohabitation avec un Premier Ministre non-issu du bloc central venait à se matérialiser, elle sera nécessairement plus tendue que les précédentes. D’abord, le premier ministre devrait composer avec l’Assemblée la plus ingouvernable de la Vème République : une Assemblée qui ressemble à celle au début des années 1950 sous la IVème République avec 2 partis avec lesquels il est impossible de nouer des alliances (LFI et le RN, comme le PCF et les gaullistes) qui représentent près de 40% de l’hémicycle et un bloc central émietté et difficile à élargir.

Ensuite, le premier ministre ne doit pas montrer de signes de volonté politique pour 2027. En effet, il y a deux types de cohabitation : les cohabitations “courtoises” comme celles de Balladur entre 1993-1995 et les cohabitations “conflictuelles” comme celle de Chirac entre 1986-1988 ou la fin de celle de Jospin. La cohabitation dure se justifie souvent par la volonté du président de se représenter à l’élection suivante comme Mitterrand en 1986-1988 ou Chirac en 2000-2002 afin de marquer le territoire face à son Premier Ministre. Dans la mesure où Emmanuel Macron ne peut plus se représenter après 2027, l’ensemble des partis préparent la prochaine élection présidentielle, y compris au sein du parti présidentiel. Or, le camp présidentiel continuerait à jouer un rôle, même en cas de cohabitation puisque les législatives ont acté la défaite du  camp présidentiel qui a perdu le plus de députés. Dans notre cas, ce ne sera pas possible, et il faudra compter sur le camp présidentiel. Cela ne signifie pas forcément que des membres du bloc central seront dans le gouvernement, mais il faudra surtout que le gouvernement ne rassemble pas une majorité contre lui.

2- Le Nouveau Front Populaire et Lucie Castets, en cas de nomination à Matignon, pourront-ils réellement gouverner ? Seront-ils ciblés par une motion de censure dès leurs éventuelles nominations ? La majorité et Les Républicains étant opposés à la nomination de ministres issus de LFI, la crise politique ne va-t-elle pas s’accentuer en cas de nomination de Lucie Castets ou de ministres de LFI ? 

Lucie Castets est disqualifiée pour diriger la France. Son dogmatisme sur la composition de son gouvernement en maintenant la volonté de nommer des ministres LFI, ne peut que la disqualifier d’un point de vue arithmétique. En effet, il est certain qu’en cas de formation d’un gouvernement du NFP, sans ouverture ni compromission, celui-ci ne durerait pas 48 heures avant de se voir opposer une motion de censure votée par plus de 289 députés (les 170 députés du camp présidentiel, les 60 Les Républicains et enfin les 140 députés du Rassemblement national). De plus, comptable d’une partie du bilan d’Anne Hidalgo (une dette multipliée par 2,5 en deux mandats), elle n’a pas levé auprès du président de la République le doute sur sa capacité à gérer les finances publiques alors que le pays fait l’objet d’une procédure de déficit excessif enclenchée par les institutions européennes.

Le seul moyen de voir un gouvernement NFP tenir, serait qu’il puisse s’élargir à l’Assemblée nationale. Sur cet aspect, il ne reste que deux options pour le NFP : opérer un rapprochement avec le camp présidentiel ou bénéficier d’une neutralité bienveillante du Rassemblement national. Seulement, sur ces deux aspects, Lucie Castets n’a jamais ouvert de signaux en ce sens. D’une part, elle a indiqué s’inscrire dans une opposition franche au président de la République tant sur la forme (aucune alliance possible) que sur le fond en établissant des priorités antinomiques avec la volonté présidentielle (abrogation de la réforme des retraites, programme de relance par la consommation et hausse des dépenses publiques financées par une augmentation des impôrts). D’autre part, sur le Rassemblement national, le NFP a été élu grâce au front républicain et elle a exclut de ses communications les députés du parti à la flamme.

Enfin, paradoxalement, une autre option restait aux dirigeants du NFP : celle de réaliser une proposition gouvernementale similaire à celle du Front populaire en 1936. En effet, le parti le plus radical de l’alliance de gauche, le PCF, à l’époque soutenait ce gouvernement sans y participer. LFI pourrait l’imiter et mettre dans l’embarras ceux qui ont invoqué ce seul motif pour censurer Lucie Castet.

3- Quel scénario se dessine pour LR à l’issue de cette journée de consultations ? Le pacte législatif pourra-t-il être respecté et appliqué en échange de l’absence de veto contre le gouvernement ? Des membres des Républicains vont-ils entrer au gouvernement ou à Matignon ? Gérard Larcher devrait rencontrer Emmanuel Macron lundi ? Pourrait-il être nommé à Matignon ?

La ligne de Laurent Wauquiez est l’une des plus claires annoncée par un parti du “bloc central” depuis le résultat des législatives. Elle poursuit deux objectifs clairs : faire barrage à LFI et refuser le blocage du pays en proposant un pacte législatif. En effet, la droite républicaine majoritaire au Sénat et disposant d’un groupe de près de 60 députés à l’Assemblée a dès le second tour mis sur la table des propositions de loi et donc des idées susceptibles de recueillir l’assentiment d’une majorité à l’Assemblée.

Il n’y a donc pas de “deal” à effectuer avec le parti présidentiel : ce sont les idées qui doivent prévaloir sur les nominations qu’elles soient au bureau de l’Assemblée ou au Gouvernement. Par conséquent, tout membre des groupes parlementaires des Républicains accédant à un poste gouvernemental n’aura agit qu’à sa seule initiative comme Rachida Dati en janvier dernier.

Quant à la nomination de Gérard Larcher à Matignon, elle souffre selon moi de trois interrogations. Un tel attelage n’avait pas été possible sous la précédente législature alors qu’à cette époque un accord de gouvernement détenait la majorité absolue. Or actuellement, cela reviendrait à conclure le même accord politique avec ses contraintes notamment électorales, mais sans les bénéfices de la majorité absolue (1). Gérard Larcher peut-il garantir au président de la République le soutien des députés de la Droite républicaine ? De la même façon que Valérie Pécresse ou Xavier Bertrand qui sont en marge des Républicains, avec la refonte d’un groupe à l’Assemblée uni autour de Laurent Wauquiez, il est difficile de voir Gérard Larcher contester la ligne décrite par le chef du groupe parlementaire (2). Enfin, cela serait antinomique au travail de fond entrepris par le parti à la suite des législatives dont l’objectif est surtout de se réarmer autour d’un corpus idéologique solide, clair et stable pour se récréer un espace politique entre une macronie et un Rassemblement national qui ont chacun fait l’objet d’un “vote refus”, au premier tour des législatives avec un vote anti-Macron et au second tour des législatives avec un vote anti-Le Pen. (3)

4- Le Rassemblement National sera convoqué à l’Elysée lundi. Quelles pourraient être les conditions posées par Marine Le Pen et Jordan Bardella dans le cadre du futur gouvernement et de la nomination à Matignon ? Le RN va-t-il être le faiseur de roi pour le poste de Premier ministre ? 

Dans le cas du Rassemblement National, il faut s’attendre à ce qu’ils restent silencieux et se mettent en retrait, un peu comme ce qui fut le cas depuis le 8 juillet. Avant le second tour, beaucoup de monde les voyaient à Matignon, mais finalement ils se retrouvent très loin des 289 députés avec seulement 126 sièges (143 en comptant ses alliés ciottistes). Ils ne devraient donc pas faire de vagues et se placer volontairement dans l’opposition, afin de mieux préparer de probables législatives anticipées et la présidentielle de 2027. Ainsi, ils ne devraient pas fixer de conditions particulières à Emmanuel Macron, leur participation à un futur gouvernement n’étant pas d’actualité. Ils devraient juste répéter ce qu’ils ont déclaré à maintes reprises: c’est-à-dire qu’ils s’opposeraient à tout gouvernement avec des LFI ou écologistes en son sein.

Le Rassemblement national ne sera pas faiseur de roi à l’Assemblée car il devra choisir entre deux “mauvaises options”. La première est de maintenir sa dynamique d’institutionnalisation pour parachever sa normalisation. Or, les dernières élections ont montré encore le visage du Front national d’antan avec des polémiques sur la binationalité, la présence de candidats problématiques non triés par le parti et le doute sur la crédibilité gouvernementale, notamment sur les questions économiques. Seulement, au regard de retard à rattraper, le parti de Marine Le Pen devra donner des gages comme il ne l’a jamais fait, notamment en évitant d’abuser de la censure. Or, est-ce que vous pouvez être un parti en voie d’institutionnalisation et ne pas voter un budget sérieux préparé par un gouvernement technique ? De même, pouvez-vous voter la motion de censure d’un gouvernement centriste ? Marine Le Pen et Jordan Bardella ont en tête le sort subi par leur partenaire Matteo Salvini en Italie dès 2021, alors qu’il avait choisi de soutenir le gouvernement d’union nationale. Alors qu’il représentait le premier parti de droite en Italie, son soutien lui avait coûté énormément de voix et avait permis à Giorgia Meloni de décoller.

La seconde option serait d’adopter une position dure contre le reste de l’Assemblée nationale tant contre la gauche, le centre ou la droite. C’est ce que le parti à commencer à faire après l’épisode sur les médailles, seulement, adopter une telle posture couperait la dynamique d’institutionnalisation du Rassemblement national et handicaper le Rassemblement national alors même que son nombre de députés à augmenter entre les deux législatures.

5- Emmanuel Macron pourrait consulter à nouveau le NFP mardi prochain pour les ultimes arbitrages. Emmanuel Macron cherche-t-il à gagner du temps ? Le chef de l’Etat est-il prêt au changement ou va-t-il céder à l’art du et en même temps ? Les pistes de la journée de vendredi laissent-elles entrevoir une véritable sortie de crise politique ?

Il est certain qu’Emmanuel Macron cherche à gagner du temps en faisant durer le suspens de la sorte. La réunion de vendredi aurait dû se tenir avant les Jeux olympiques à notre avis et après avoir chargé le Nouveau Front de former un Gouvernement, pour qu’une solution soit trouvée avant les échéances capitales de septembre. Il est regrettable qu’Emmanuel Macron ne puisse pas réaliser qu’il n’est pas dans son rôle quand il tente de trouver une majorité et de trouver un gouvernement qui pourrait durer. À l’image d’autres chefs d’État chez nos voisins, il aurait dû recevoir le chef du parti arrivé en tête et lui demander de trouver une majorité au Parlement (ou tout du moins de s’assurer de ne pas avoir l’opposition de la majorité des députés de l’hémicycle). Mais pour faire cela, il aurait dû reconnaître sa défaite, traduisant un véritable déni de réalité.

Selon nous, Emmanuel Macron cherchera à piéger les oppositions qu’il juge irresponsables, notamment le NFP et le RN sur le vote du budget. Il pourrait ainsi prendre acte à la suite de ces consultations qu’aucune majorité n’est possible et que donc il nomme un gouvernement avec des personnalités consensuelles à la fois du centre gauche et du centre droit chargées de préparer un budget qui sera nécessairement austéritaire mais qui sera commandé par l’intérêt de la nation, à savoir préparer le désendettement du pays et respecter la procédure de déficits excessifs. Est-ce que ces deux partis voteraient un tel budget ? En voulant faire placer le débat sur ce sujet, le président entend inverser la responsabilité de la crise politique. Si la France se retrouve sans budget voté alors il prendra l’opinion publique à témoin en affirmant que les oppositions sont irresponsables, tant parce qu’elles ne lui ont pas permis de nommer un Premier ministre certain de ne pas être renversé que parce qu’elles n’auraient pas voté un budget. Dans ces circonstances, ces rencontres de vendredi et de la semaine prochaine ne constituent qu’une manière de légitimer son propre récit politique et de justifier ainsi les raisons de sa dissolution.

Matthieu Hocque, Directeur adjoint des Etudes du Millénaire

Pierre Clairé, Directeur adjoint des Etudes du Millénaire

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Crédit Photo : VP Kamala Harris and French President Emmanuel Macron meet at NASA HQ (NHQ202211300016), par NASA HQ PHOTO, via Flickr, sous license Attribution-NonCommercial-NoDerivs 2.0 Generic.

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