Entretien de Matthieu Hocque et Pierre Clairé pour Atlantico « Restauration de la nature : les dangereuses illusions du Parlement européen »

Malgré l’opposition de la droite et de l’extrême droite ainsi que d’une partie du centre, les députés européens ont voté la loi.

Atlantico : Le Parlement européen a adopté ce jour la loi de restauration de la nature, à 336 voix pour et 300 contre. Quels sont les contours de cette loi ? Que contient – elle concrètement ? 

Pierre Clairé et Matthieu Hocque : Cette loi présentée pour la première fois en juin 2022 est au centre du Green Deal voulu par Ursula Von der Leyen et la Commission Européenne. De nature progressiste et ardemment défendue par la gauche et les libéraux européens, cette loi a gagné en importance après la COP15 de Montréal de décembre 2022 qui a fixé des objectifs en termes de préservation de la biodiversité. Son potentiel rejet faisait peur à la Commission car cela aurait signifié la fin de ses ambitions de défense de l’environnement. 

Concrètement cette loi fixe la nécessité de restaurer la terre et les espaces marins qui ont été détruits durant des années par l’activité de l’Homme. Pour y parvenir elle fixe des objectifs contraignants aux États pour préserver la biodiversité et remédier au mal qui a été fait. En effet, on estime que près de 80% de l’habitat naturel européen est en mauvais état et que 60% des sols ne sont pas en bonne santé. 

La loi propose de restaurer au moins 20% des zones terrestres et maritimes d’ici 2030 (la Commission souhaitait que le texte parle de 30% mais le texte a été amplement discuté et amendé) et que tous les écosystèmes le nécessitant soit restaurés d’ici 2050. Ces objectifs n’en restent pas moins ambitieux, ce qui explique que la loi ait autant fait débat et qu’elle ait été adoptée d’une courte majorité. Les villes sont également abordées dans ce texte, en effet il est dit que la surface de zones verte dans les villes ne pourra pas diminuer, sauf si celle-ci est déjà supérieure à 45%. Un des points de discorde concernait la réduction des zones de culture ou d’autres zones naturelles exploitées par des agriculteurs, cultivateurs, fermiers ou pêcheurs pour être en mesure de restaurer les espaces naturels. Le fait qu’une telle clause existe déjà dans la PAC (gel de terres) peut porter à confusion puisqu’il est dit que 4% des terres ne doivent pas être utilisées pour permettre à la nature de se rétablir.

Cette loi est donc la principale mesure des 600 millions d’euros du Green Plan destinés à transformer l’économie européenne pour faire face aux mutations du monde lors de l’après-Covid. Elle préempte des crédits alloués au plan de relance NEXT GENERATION UE pour agir sur deux points clés liés aux mutations écologiques : le changement climatique et la perte de biodiversité, ce qui fait dire à la Commission européenne qu’elle va réussir à faire de l’Europe le premier continent neutre carbone. 

Dans le détail, quelles sont les grandes mesures prévues par ce texte ? Quels effets (positifs ou négatifs) peut-on penser qu’elles vont avoir ?

Pierre Clairé et Matthieu Hocque : La loi de restauration de la nature votée au Parlement européen constitue un énième coup d’épée dans l’eau de l’Union européenne en faveur de la défense de l’environnement. Pourtant, tout n’est pas négatif puisqu’on peut déjà affirmer que l’Europe a pris la mesure d’une chose : la défense de l’environnement ne passe pas que par la lutte contre le changement climatique. En effet, depuis les années 1970, les esprits européens ont été contaminés par la pensée écologiste, loin des Lumières de la science. En affirmant que la lutte contre le changement climatique était l’alpha et l’oméga de la politique environnementale, les écologistes ont conduit les instances européennes à faire la guerre aux émetteurs de CO2, donc aux industriels et aux automobilistes. 

On pourra trouver un motif de satisfaction à ce tournant opéré par les institutions européennes. En réalité, il s’agit surtout de répondre à la politique environnementale américaine avec l’IRA ou chinoise avec son 14ème plan quinquennal dédié à l’émergence d’une « civilisation écologique ». Seulement, malgré ce relatif changement de cap, la feuille de route est floue. Les grandes mesures de cette loi présentent en effet deux péchés originels : des contours sans boussole et un esprit de décroissance. 

D’une part, le périmètre de cette loi est gigantesque. Terres agricoles, forêts, fonds marins, écosystèmes fluviaux et lacs, zones urbaines, zones industrielles, la diversité des objets visés par le texte soulève tout de suite des interrogations sur son efficacité tant les sujets sont différents. Ainsi, plusieurs mesures coexistent sans harmonie dans le texte : verdissement des villes en préservant les zones arborées et en ajoutant davantage, replantation d’arbres dans des terres agricoles, favorisation des lieux de vie des pollinisateurs, suppression des obstacles aux cours d’eau tels que les barrages. D’autant plus, qu’il n’est nullement mentionné de définition sur les « zones nécessitant une restauration » abordées dans le texte.

D’autre part, cette loi contient surtout une logique de décroissance marquée par la volonté européenne de contraindre. En effet, la loi va contraindre les États-membres à diminuer leur surface agricole utile (SAU), les contraindre à diminuer leur exploitation des zones maritimes pour les activités halieutiques, ou encore les contraindre à réduire leur production électrique en supprimant des barrages. Seulement, il faut rappeler que l’objectif de cette loi est de préparer les Européens au monde de l’après 2020. A ce titre, qui peut envisager sereinement un monde où les jeunes générations d’Européens vivront avec moins de nourriture produite chez nous, avec des espaces maritimes non dominés par l’Homme, ou encore avec une production électrique moindre ? 

La loi pourrait « signer l’arrêt de mort de toute production économique, industrielle, forestière et agricole en Europe », alerte la députée européenne Anne Sander. En quoi cette loi risque-t-elle d’avoir des effets inverses et néfastes à ceux escomptés ?

Pierre Clairé et Matthieu Hocque : Anne Sander, comme l’ensemble de son groupe au Parlement européen le PPE (Parti Populaire Européen) s’opposait à ce texte en invoquant la mise en danger de notre économie et de notre modèle productif. Pour le premier groupe politique du Parlement (177 députés), la Commission en fait trop en ce qui concerne la protection de l’environnement, ce qui est contre-productif. Pour autant, ils se sont toujours défendus d’être contre toute forme de préservation des écosystèmes, mais veulent empêcher que de telles politiques aillent contre les citoyens européens. En définitive ils se plaignaient que les lois préparées par la Commission, dont celle-ci, ne considéraient pas les conséquences sociales et économiques. 

L’objectif de la loi est de revenir à l’état de la nature d’il y a 70 ans. Cela implique donc de revenir sur nos modes de vie et nos modes de production, ce qui est impossible et va au-delà de nos engagements internationaux. Il n’y a pas vraiment de considération pour les citoyens et pour l’économie et cette loi pourrait mettre en danger bon nombre d’agriculteurs en mettant à mal leur moyen de subsistance, mais aussi mettre en danger la sécurité alimentaire en Europe en limitant les terres de production et avoir des conséquences sociales graves.  

Par rapport à l’économie, faute de définition claire, nous pourrions nous retrouver avec un manque à gagner énorme pour les agriculteurs et des conséquences graves pour la population. En cherchant à restaurer 20% de la nature aux standards de 1950 nous pourrions voir dans certains pays près d’un quart des terres utilisées disparaitre au profit de celle-ci. Cela signifierait un coup de massue pour l’industrie et pour les agriculteurs, alors qu’ils se trouvent déjà dans une situation précaire. De plus il faut se rappeler que nous sommes en situation de pénurie pour certains aliments à cause de la Guerre en Ukraine et que nous avons besoin de toutes nos forces vives pour nourrir notre population. Enfin, qui dit moins de terres cultivables dit prix plus élevés, ce qui est impensable en temps d’inflation et alors que la récession pointe le bout de son nez. 

Socialement, les répercussions peuvent être très graves et aller au-delà de la crise alimentaire. Dans certains cas il sera nécessaire de raser des immeubles pour laisser place à des espaces verts, rendant le logement encore plus cher dans certaines villes. Ensuite, alors que nous cherchons à promouvoir le développement des énergies renouvelables, cette loi pourrait mettre un frein à nos ambitions. En effet, il sera impossible de développer des champs d’éoliennes ou des panneaux solaires là où la nature devrait reprendre son droit, ainsi il sera impossible de développer certaines formes d’énergies et de les rendre abordable et peu couteuses pour la majorité des gens. 

Enfin cette loi pourrait donner un argument légal à certaines ONG ou mouvement de défense de la nature d’attaquer les Etats et d’empêcher le développement économique, ce qui pourrait avoir de graves conséquences comme empêcher l’implantation d’entreprises étrangères en Europe, alors que la concurrence fait rage dans le monde.

Dans l’ensemble de ce dispositif, de quoi peut-on véritablement attendre un impact significatif ? Quelles mesures pourraient véritablement changer quelque chose et faire avancer, comme il se doit, les objectifs européens ?

Pierre Clairé et Matthieu Hocque : Beaucoup de choses ne changeront pas la donne, mais tout n’est pas négatif. Le premier point essentiel est l’effet de levier européen. La révolution alimentaire est un des ressorts de la compétition mondiale pour conserver la maîtrise de notre destin. Avec ce texte, l’Union européenne poursuit son changement amorcé depuis les crises de 2008 et de la Covid-19 : s’endetter dans les règles puisqu’elle est encline à ne s’endetter qu’uniquement pour l’environnement. Dans le dispositif de renaturation, il est prévu un effet de levier de 8 à 38€ pour chaque euro investi. Si le ratio est discutable pour l’agriculture car l’agriculture biologique favorisée par les paiements verts de la PAC n’est pas plus efficace d’un point de vue économique et environnemental car elle nécessite plus de sols et de ressources, il sera possible pour les États-membres de pouvoir bénéficier d’un programme de financement mieux dimensionné face aux investissements massifs des États-Unis, de la Chine, des États est-asiatiques ou des émergents.

De plus, l’Europe va encourager le financement du secteur privé en multipliant les partenariats publics privés et les appels à projet. Cela offre à nos acteurs économiques un cadre incitatif pour mener à bien leur révolution. Comme le périmètre des mesures est gigantesque, cela offre à la France l’occasion de faire avancer certaines de nos filières en danger. Sur le plan agricole, cela reviendrait à soutenir les filières fragilisées (protéines végétales, fruits, pêche et aquaculture) en renforçant les investissements productifs de ces filières. Sur les autres plans, cela permettra aux acteurs du logement et de leur rénovation, bien souvent des artisans et architectes, de contribuer au verdissement de nos villes.

Enfin, nous pourrions également profiter de la recherche européenne pour faire monter en gamme notre modèle agricole par exemple. Cela doit permettre à la France qui est une puissance agricole en déclin, de renouer avec un positionnement stratégique clair, haut-gamme ou volume selon les produits, au sein de toutes les filières agricoles par une meilleure intégration des acteurs agricoles sur toute la chaîne de production de l’amont à l’aval. Si l’Europe propose d’orienter la recherche agricole sur l’agriculture de précision, la France doit peser de tout son poids pour que les crédits soient alloués à ses atouts : les robots autonomes agricoles ou les agroéquipements. 

Avec la loi de restauration de la nature, l’Europe a en fait joué contre elle-même et contre les intérêts des peuples Européens. Certes, la bataille législative a été gagnée par les progressistes en vue des élections européennes qui auront lieu dans un an. Pourtant, une seconde bataille s’annonce avec la transposition du projet dans les plans nationaux. Comme nous l’avons décrit, les points d’achoppement sont nombreux : sur le texte déjà, mais également sur les nombreuses autres mesures européennes traitant de l’environnement telles que la PAC, la Politique commune des pêches (PCP), la directive « Habitats », ou encore la directive sur une utilisation des pesticides compatibles avec le développement durable. Dans ce contexte, le Parlement européen devra négocier avec chaque État-membre pour l’application du texte, ce qui est loin d’être gagné et ne risque pas de faire avancer l’Europe vers les attendus de notre époque. 

Par Matthieu Hocque et Pierre Clairé

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Crédit photo : Creative Commons sous license Attribution 2.0 Generic via Wikimedia.

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