Atlantico : Que ce soit sur l’énergie, les retraites, l’inflation ou encore l’insécurité, le gouvernement semble pris en flagrant délit d’amateurisme ou d’approximations. Quels sont les exemples les plus marquants de ces dernières semaines ?
William Thay : Emmanuel Macron avait adressé aux parlementaires de la majorité « soyez fiers d’être des amateurs » lors du précédent quinquennat, et il apparait que ce Gouvernement n’a pas réellement pris la mesure de la situation sur plusieurs sujets clés. Je pense notamment à l’épisode du stade de France, à la politique énergétique et à la réforme des retraites qui sont les exemples les plus marquants.
Tout d’abord, la politique énergétique avec notamment la fermeture de Fessenheim n’est uniquement le fait d’Emmanuel Macron et de son Gouvernement, puisque cela repose d’abord sur un accord électoral entre les verts et François Hollande lors de l’élection de 2012. Malgré tout, la commission d’enquête à l’Assemblée nationale révèle le rôle clé d’Emmanuel Macron et de ses différents gouvernements dans la mise à mal de notre parc nucléaire avec le maintien de la fermeture de certaines centrales nucléaires ainsi que le refus de renouveler le parc existant par la construction d’EPR. Ainsi, l’audition de Nicolas Hulot révèle la faiblesse de l’approche gouvernementale depuis 2017 qui agit sur beaucoup de sujets avec finalement un biais idéologique reposant sur une certaine croyance populaire plutôt que sur les faits et la rationnalité. Cela pourrait être un sujet mineur si cela n’avait pas conduit à la mise à mal d’un joyau français et de notre souveraineté énergétique. De plus, sur ce point, beaucoup d’erreurs ont été commises notamment sur le marché européen de l’électricité, la relation énergétique avec l’Allemagne, la dépendance française à l’égard de certains pays, etc.
Ensuite, la réforme des retraites dans sa deuxième monture a démontré que le Gouvernement agit sans véritablement savoir où il souhaite aller. Emmanuel Macron avait déjà souhaité réformer notre système de retraite avant la crise sanitaire pour opérer une réforme systémique pour mettre en place un système à point. Que l’on soit pour ou contre cette proposition, elle avait le mérite d’apporter une nouveauté dans le débat public. Seulement, il avait fait face aux oppositions des différents corps constitués qui ne voulaient pas perdre leur spécificité de régime dans l’unification d’un seul avec des contraintes dans les différents métiers. Dans la deuxième version proposée depuis le début de l’année, le Gouvernement n’a pas réussi à proposer un récit clair sur pourquoi il souhaitait réformer les retraites. De plus, les différents revirements sur plusieurs sujets comme les retraites minimales, les femmes, etc. ont conduit à un doute dans l’opinion publique.
Enfin, la finale de la ligue des champions et le fiasco du stade de France a conduit à l’humiliation du pays devant des milliards de téléspectateurs. Cela a démontré l’incapacité de la France à organiser un grand événement sportif et nous amène à des interrogations à l’approche de la coupe du monde de rugby qui est organisée en France cette année ainsi que les Jeux Olympiques de 2024. De plus, sous l’égide de Gérard Darmanin, le Gouvernement n’a pas totalement donné une version factuelle des événements afin de couvrir sa propre responsabilité dans cet échec.
Qu’est-ce qui peut expliquer que les responsables politiques se retrouvent dans ces situations ? Pourquoi transigent-ils si facilement avec la rigueur et la vérité ?
William Thay : Tout d’abord, je pense que les responsables politiques actuels font face à une situation qui est beaucoup plus difficile que les décideurs publics d’il y a quelques décennies pour plusieurs raisons. Lorsque vous êtes en responsabilité, et cela s’est accéléré avec le quinquennat et l’avènement des chaines d’informations en continu, le temps politique s’est accéléré sans que le besoin de réponse et de solutions se soit réduit dans le même laps de temps. Ainsi, les différents responsables politiques « pour exister » sont invités à proposer une mesure choc lors d’une actualité ou d’un fait divers. Seulement, il est difficile de proposer la meilleure solution lorsque vous disposez d’un temps de réflexion court, et que vous n’avez pas le temps de travailler le sujet. De plus, privilégier une réponse de long terme souvent plus efficace pour apporter une solution viable aux Français et au pays n’est pas plébiscité dans les enquêtes d’opinion ou auprès des journalistes politiques.
De la même manière, le contexte est différent lorsque vous êtes un responsable politique français. Ainsi, vous n’avez pas les mêmes pouvoirs réels qu’un ministre du Général de Gaulle par exemple. L’État a perdu progressivement une partie de ses compétences en matière monétaire, économique, migratoire vis-à-vis de l’Union européenne. Ainsi, un ministre d’une de ces thématiques ne peut agir seul, sans solliciter la coordination des autres États membres de l’UE, ce qui affaiblit sa capacité alors que le niveau d’exigence de la part de la population en termes de résultat reste important. On peut ajouter que l’avènement des crises de plus en plus récurrentes ne facilite pas la tâche des responsables actuels.
Enfin, de façon particulièrement notable sous Emmanuel Macron, c’est l’avènement de la culture de l’irresponsabilité. Vous trouvez à chaque reprise dans la parole publique une raison extérieure qui justifie un échec. Si l’économie ne va pas bien, c’est la faute de la crise, du peuple ou d’un autre pays. Si telle ou telle politique publique n’a pas fonctionné, c’est la faute de quelqu’un qui l’a mal appliqué, etc. Vous ne trouvez ainsi presque aucune remise en cause de la part de ces responsables.
Cette culture de l’irresponsabilité est poussée à l’extrême par le macronisme et ses représentants. À chaque moment du précédent quinquennat, nous avons assisté à des responsables politiques de la majorité présidentielle qui se sont défaussés sur un autre pour expliquer leur échec. Si la France est ingouvernable, ce n’est pas parce que la méthode de Gouvernement est mauvaise, mais parce que le peuple n’est pas bon, notamment car il est « réfractaire ».
Ainsi pour reprendre l’exemple du fiasco au Stade de France, quand un pays se fait humilier devant des milliards de téléspectateurs pour ne pas savoir organiser un événement sportif comme un pays du tiers-monde, il devrait normalement en tirer les conclusions par une responsabilité politique. Ainsi, dans un pays nordique ou anglo-saxon, l’ensemble des responsables de cette organisation aurait déjà démissionné et on poserait même la question de la responsabilité et la démission du Gouvernement dans son ensemble.
De la même manière, Elisabeth Borne alors ministre de la transition énergétique s’était félicitée de la fermeture de Fessenheim en 2020 en la qualifiant de « décision historique », et c’est elle qui comme Première ministre doit assurer que la France ne manque pas d’électricité lors de l’Hiver 2022 et le prochain ?
A quel point le sommet de l’Etat a-t-il des réticences à s’appuyer sur des vraies expertises, des études d’impact et autres travaux rigoureux ?
William Thay : Le premier élément qui permet de répondre à votre question est l’appréciation d’une réponse rapide contre celle d’un temps plus long. Le plus souvent, les expertises favorisent des réponses de long terme pour répondre aux problématiques que l’on rencontre en France. Ainsi, il est vraisemblable que l’on ne puisse pas répondre au problème d’industrialisation en France en quelques mois alors que l’on subit un véritable processus de désindustrialisation depuis une quarantaine d’année avec l’arrivée au pouvoir de François Mitterrand. En conséquence, est-ce que les décideurs publics vont privilégier cette approche alors qu’ils doivent obtenir des résultats rapidement et si possible lorsqu’ils sont en responsabilité ? La réponse sera la plus souvent négative.
Le second élément est l’approche adoptée par les différents Gouvernement qui vont privilégier différents types de travaux. Ainsi, Emmanuel Macron et ses ministres ont choisi de s’appuyer davantage sur les travaux effectués par les cabinets de conseils. Or, ces derniers ont démontré lors des différentes commissions d’enquête plusieurs biais dans leur approche. Tout d’abord, ils vont privilégier une solution qui rencontre la satisfaction du « client » pour continuer à percevoir les montants pour leurs travaux ce qui ne permets pas une approche critique des actions déjà effectuées même si elles sont néfastes pour le bien commun. Ensuite, leur mission consiste davantage à compiler les données et à effectuer des recommandations de politiques publiques qui sont davantage « bankables » plutôt que des réformes systémiques et profondes que notre pays a besoin. Enfin, il existe tout même un biais idéologique qui repose sur le personnel qui compose ces cabinets de conseils dans la mesure où ils sont sélectionnés parmi certaines écoles avec une certaine pensée.
Le troisième élément est la déliquescence de l’appareil d’État qui peut être soulignée par plusieurs points. La première interrogation est-ce que l’État a son sein les meilleurs éléments de chaque génération dans la mesure où la fonction publique attire de moins en moins. Ainsi, le Gouvernement se repose sur des éléments qui n’ont pas forcément les meilleures solutions à proposer. La seconde interrogation repose sur les carrières de la fonction publique. Il y a davantage de chance que les cadres de la fonction publique s’inscrivent dans un moule pour faciliter leur chance de progresser dans leur carrière que de s’illustrer en prenant des risques et en proposant des solutions innovantes.
Une démocratie parlementaire plus vivace, remplissant sa fonction de contrôle, permettrait-elle d’éviter ces situations ? Nos gouvernements peuvent-ils tenir longtemps dans ce mépris des faits ?
William Thay : Si on peut reprocher beaucoup de choses que l’on importe des États-Unis, je trouve que les commissions d’enquêtes qui sont effectués permettent de soulever des questions en matière de responsabilité de tels ou tels acteurs dans les différents échecs de certaines de leurs politiques. Cela repose notamment que si vous avez effectué des mauvaises actions, la personne en question perd sa légitimité dans ses actions à venir ce qui peuvent les inciter à réfléchir à deux fois dans la réalisation de telle ou telle politique publique. Ainsi, dans le régime constitutionnel qui est le nôtre, il est vraisemblable que le Sénat doit jouer un rôle plus important en matière de contrôle des politiques publiques d’autant qu’ils ont acquis une certaine légitimité en la matière depuis la fameuse commission Benalla. Nous devons cependant prendre un point de nuance, il est souhaitable que les décideurs qui ont effectué une mauvaise action, puissent être sanctionné pour autant il ne faut pas arriver à des dérives qui conduiraient les décideurs publics à « gérer leur risque » comme certains le font en matière pénale. Cela conduirait à une uniformisation des politiques publiques sans encourager le risque et les solutions plus disruptives.
Seulement, cela ne fonctionne que si on met un terme à la culture d’irresponsabilité qui règne dans l’appareil de l’État. Nous assistons à un paradoxe très important dans notre régime politique. La Constitution de la Vème République confère une primauté au pouvoir exécutif afin de lui donner le pouvoir de gouverner. Cette primauté est presque sans équivalent dans les démocraties libérales. Seulement, cette constitution était adaptée lorsque vous aviez une personnalité comme le Général de Gaulle à la tête de l’État qui avait un grand sens des responsabilités, notamment en démissionnant de ses fonctions lorsqu’il était battu à un référendum. Désormais, vous avez toujours un pouvoir très fort de l’exécutif sans contre-pouvoir très important, mais les responsables politiques n’ont pas autant le sens des responsabilités. La démocratie représentative repose sur le fait que des électeurs confèrent un mandat à des représentants. Si ces derniers ne sont plus en accord avec ce mandat, ils doivent en tirer les conclusions nécessaires. Vous ne trouvez ainsi presque aucune remise en cause de la part de ces responsables.
Cela est d’abord dommageable sur le plan des politiques publiques, puisque vous ne pouvez pas analyser correctement un échec pour changer efficacement les dysfonctionnements. Cela nuit ensuite à la démocratie, dans la mesure où cette logique casse celle de la démocratie représentative. En effet, la démocratie représentative doit conduire à l’élection de représentants du peuple pour gouverner le plus grand nombre, à leur conservation s’ils réussissent dans leurs missions ou à leur éviction s’il échoue. Cette logique doit également ruisseler dans tout l’appareil administratif pour conduire à une logique de performance. Seulement, nous assistons davantage à un report des responsabilités du haut sur le bas. Le Gouvernement se défausse soit sur quelqu’un d’extérieur soit sur les exécutants en dessous-d’eux dans la hiérarchie. Comment ne pas conduire à la réplique d’une telle logique de l’administration qui ferait de même ? Un directeur d’administration centrale pourrait ensuite reporter la faute quelqu’un d’autre, etc. Nous assistons à l’émergence d’une culture d’irresponsabilité par l’incapacité du personnel politique à se remettre en cause.
Cette situation ne pourra pas durer éternellement et comme souvent, ce sont les Français qui ont la main pour renverser la table. Ils ont ainsi démontré lors des dernières élections leur capacité à inscrire ce qu’il souhaitait. Ainsi, ils souhaitaient davantage de contre-pouvoir de la part du Parlement, et ils ont uniquement conféré une majorité relative au Président de la République. Ils souhaitaient une représentation plus conforme au vote du premier tour de l’élection présidentielle, et ils l’ont obtenu. Le risque est que la situation actuelle conduise une grande partie des Français à se tourner vers les extrêmes non pas qu’ils sont confiant sur leur capacité à répondre à leur problème mais davantage pour donner un coup de pied dans la classe politique. Emmanuel Macron avait été élu en 2017 en partie pour répondre à la défaillance de l’alternance gauche-droite, et actuellement, on ne peut pas dire qu’il a rempli sa mission.
William Thay, président du Millénaire, think-tank gaulliste spécialisé en politiques publiques.
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Crédit photo : Élisabeth Borne par Jacques Paquier sous licence CC BY-SA 2.0, via Flickr
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