William Thay pour Les Échos « Retraites: pourquoi les syndicats devraient négocier avec le Gouvernement ? »

L’intersyndicale devrait se réunir après la mobilisation du 1er mai pour se fixer un cap. Pour William Thay, du think-tank le Millénaire, les syndicats, forts de leur succès, devraient utiliser leur capital politique pour négocier avec le Gouvernement plutôt que de s’entêter sur l’opposition contre la réforme des retraites.

La mobilisation historique du 1er mai donne aux syndicats un capital politique alors qu’ils ont été plutôt hors-jeu depuis l’élection d’Emmanuel Macron en 2017. En revanche, ce nouveau statut ne leur permet pas d’obtenir le retrait de la réforme des retraites, mais des concessions, car aucun des deux camps n’a intérêt à laisser la situation perdurer.

Succès des mobilisations

Les différentes mobilisations contre la réforme des retraites ont été un succès tant sur le nombre de manifestants que dans le combat dans l’opinion publique. Les manifestations ont mobilisé, selon le ministère de l’Intérieur, entre 368 000 personnes (le 11 mars 2023) jusqu’à 1 270 000 personnes (le 31 janvier 2023), ce qui constitue un succès pour des syndicats qui semblaient en perte de vitesse. La dernière manifestation du 1er mai a rassemblé 762 000 personnes contre moins de 165 000 ces dernières années.

De plus, les syndicats ont gagné la bataille de l’opinion sur cette réforme, puisque les Français soutiennent toujours les manifestants. Tout d’abord, ils ont rassemblé une large majorité de Français contre la réforme des retraites. De plus, selon l’Ifop, 60 % des Français les soutiennent ou ont de la sympathie pour eux. Enfin, ce sont les syndicats qui incarnent le mieux l’opposition à cette réforme pour 51 % des Français contre 23 % qui placent le Rassemblement national et 18 % la Nupes.

Insuffisant pour faire retirer la réforme

Ces succès sont pourtant insuffisants pour contraindre Emmanuel Macron à retirer sa réforme. Tout d’abord, le nombre de manifestants est élevé, mais pour autant le pays n’est pas bloqué comme en 1995, ce qui n’oblige pas le Gouvernement à céder. Ensuite, Emmanuel Macron n’a pas élu pour les mêmes raisons que Jacques Chirac (retrait de 1995 et CPE). Ce dernier ayant été élu sur la fracture sociale.

De plus, les contextes politiques et économiques sont différents. Les issues politiques ne sont pas les mêmes qu’en 1968 ou en 1997, les syndicats ne peuvent pas porter une responsabilité dans l’éventualité d’un succès du Rassemblement national en cas de dissolution. Enfin, l’environnement économique et financier est différent de ces périodes. La dégradation de la note française, la volonté des banques centrales de faire remonter les taux d’intérêt pour lutter contre l’inflation, et donc l’augmentation de la charge de la dette, nous obligent à tourner la page du “quoiqu’il en coute”.

Un intérêt mutuel à négocier

Pour autant, les deux camps ont intérêt à se mettre à la table des négociations. D’un côté, le président de la République ne peut risquer l’immobilisme et peut être amené à accepter certaines revendications des syndicats. Toutefois, sa marge de manœuvre est limitée sur le plan budgétaire et politique : ne pas trop creuser le déficit public, et ne pas perdre son image réformatrice.

De l’autre côté, les syndicats n’ont pas forcément intérêt à refuser la négociation avec le Gouvernement. Ils risqueraient d’apparaitre uniquement comme des opposants plutôt que des acteurs du dialogue social. Ensuite, un enlisement du conflit risquerait d’engendrer une radicalisation des actions et des violences qui leur seront imputées. Enfin, ils doivent conserver un front syndical uni, or, des syndicats réformistes comme la CFDT ne peuvent raisonnablement jouer la politique de la chaise vide.

Les syndicats ont renforcé leur image et leur poids politique, et ils sont à un tournant. Ils peuvent de ce nouveau statut pour écrire une nouvelle page, démontrer qu’ils ont une utilité réelle dans l’élaboration des politiques et ainsi faire du syndicalisme du XXIe siècle.

William Thay, président du Millénaire, think-tank gaulliste spécialisé en politiques publiques. 

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Crédit photo : Laurent Berger et la CFDT à une manifestation contre la réforme des retraites, via Wikimedia sous licence CC BY-SA 4.0

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