Atlantico : Alors que les postes clés de l’Assemblée nationale sont actuellement en train d’être attribués, le RN semble vouloir y prendre sa part et trouver des accords pour cela. Si le RN se décide à être constructif et à jouer le jeu des institutions, comme il semble actuellement souhaiter le faire, quelle est la meilleure stratégie à adopter face à lui de la part d’Ensemble ou de LR : leur tendre la main pour les arrimer définitivement au camp républicain quitte à sembler se compromettre ou continuer à les exclure au risque de les radicaliser et de les transformer en seule alternative possible ?
William Thay : L’attribution au Rassemblement national de postes clés de l’Assemblée nationale est en train de parachever l’affaiblissement du Front républicain. Cet affaiblissement se constitue en deux volets : sur le plan électoral et sur le plan institutionnel. Sur le plan électoral lors du second tour des élections législatives car les résultats ont démontré que le Rassemblement national avait la capacité de remporter des seconds tours. Le parti de Marine Le Pen a ainsi remporté 49,1% de leur duel contre la majorité présidentielle et 52,3% face à la NUPES. En revanche, il est trop tôt pour parler de la fin du Front Républicain car il s’agissait d’élections législatives et non pas d’élections pour des exécutifs locaux ou nationaux. Si le Rassemblement national arrivait à briser ce plafond de verre pour des élections régionales ou présidentielle, alors on pourrait conclure à la mort du front républicain. Sur le plan institutionnel, l’attribution de postes clés va conduire à la crédibilisation du RN et à sa normalisation. Il sera ainsi de plus en plus compliqué de dire que ce parti est antirépublicain alors qu’il est admis dans de plus en plus d’institutions républicaines.
Face à cette montée du Rassemblement national, Ensemble et LR n’ont pas forcément la même stratégie. La montée du Rassemblement national est paradoxalement plus problématique pour la majorité présidentielle que pour LR. En effet, les élections d’Emmanuel Macron en 2017 et en 2022 se reposaient sur trois volets importants : barrage aux extrêmes, la capacité à dépasser les clivages avec le en même temps, et apporter des solutions nouvelles via la société civile et les experts. Petit à petit, Renaissance devient un parti comme les autres comme l’a démontré la composition du Gouvernement qui n’a pas différé d’une composition qu’aurait pu le faire l’alliance RPR-UDF, une gauche plurielle menée par le PS ou encore une victoire de l’UMP. Le Premier ministre est choisi dans le parti le plus fort de l’alliance et des ministères sont attribués aux autres partis alliés. Les solutions de Renaissance pour répondre au Malheur français n’ont pas permis d’améliorer significativement le destin de la France et des Français, et cela s’est traduit par une montée des extrêmes. Ce dernier point est alarmant pour le parti d’Emmanuel Macron, parce qu’il commence petit à petit à perdre sa qualité de meilleur rempart pour contrer les extrêmes. Ainsi sans redressement, on peut émettre l’hypothèse d’un déclin de cette offre politique sans la présence de son chef. Pour l’instant et à moins d’une refondation, ce parti est obligé de jouer sur la peur d’une arrivée au pouvoir de Marine Le Pen ou Jean-Luc Mélenchon pour conserver l’effet du vote utile et la pertinence de leur offre politique.
Pour Les Républicains, la stratégie est complexe puisque cela suppose de faire un choix. Soit de devenir un substitut de la République en marche en mieux pour recréer l’UMP soit d’être dans la rupture avec le macronisme. Dans la première hypothèse, il faudrait continuer la stratégie du Front républicain pour se positionner en 2027 comme le meilleur rempart à l’arrivée au pouvoir de Mélenchon ou de Le Pen. Les résultats électoraux ont démontré que les Républicains avaient la meilleure capacité de remporter les seconds tours que les autres partis. Dans la seconde hypothèse, il faudrait renverser le piège de François Mitterrand pour instaurer la France Insoumise de Jean-Luc Mélenchon comme la pire menace pour la France et pour la République. Cela est possible, puisque la NUPES est le parti qui a perdu le plus de second tour lors des élections législatives et a été ainsi victime d’un barrage. En rendant LFI comme infréquentable et le RN davantage fréquentable, LR pourrait alors s’inspirer de François Mitterrand pour reconquérir le pouvoir. L’autre solution serait plutôt de s’inspirer de Nicolas Sarkozy en 2007 pour chercher leurs électeurs sans pour autant s’allier ce qui suppose de parler de leur thème mais avec une meilleure probabilité de les appliquer. Cette solution possède plusieurs limites à l’heure actuelle : l’absence de figure charismatique comme Nicolas Sarkozy, ce dernier était au Gouvernement ce qui permettait de joindre les paroles aux actes pour convaincre les électeurs du FN, et l’affaiblissement du Front républicain qui donne une perspective de victoire aux électeurs du RN et à leurs cadres.
Qu’est-ce qui a été fait ailleurs dans les démocraties libérales lorsque cette configuration se présentait ? Quelles ont été les stratégies (au Royaume-Uni, en Italie, en Autriche ou ailleurs) ? avec quels résultats ?
En Autriche, Sebastian Kurz a mené une stratégie hybride à celle de Nicolas Sarkozy et de François Mitterrand. Celle de Nicolas Sarkozy en 2007, puisqu’il prend la tête de son parti pour le renouveler sur le fond et la forme. Sur le fond, en opérant un changement idéologique et insister sur les questions régaliennes et civilisationnelles contre l’influence de l’islam politique. Sur la forme, en changeant l’image du parti, en rajeunissant les cadres, etc. Enfin, il est obligé de suivre la stratégie de Mitterrand en s’alliant avec son parti extrême en raison des règles électorales en Autriche qui favorise les coalitions. Le cumul de ces deux stratégies a permis à la droite autrichienne de réduire l’influence de l’extrême-droite au fil des scrutins et de se réimposer comme la force dominante. Cette stratégie a supposé un changement de chef pour apporter plus de fraicheur à la droite autrichienne et également une prise en compte des aspirations des électeurs d’extrême-droite.
En Italie, la situation est plus délicate pour la droite italienne Forza Italia puisque leur stratégie d’alliance avec le parti à leur droite, la Lega, a conduit à un effacement progressif de la droite italienne. Le parti de Silvio Berlusconi a décidé de s’allier avec celui de Matteo Salvini, et c’est ce dernier qui est passé devant lors des élections législatives de 2018. En effet, la Lega a remporté plus de voix, plus de sièges que Forza Italia. Le mode de scrutin en Italie a ensuite conduit Matteo Salvini à bâtir une coalition avec le Mouvement 5 étoiles de Luigi Di Maio pour devenir ministre de l’Intérieur. Ainsi, en devançant la droite classique lors des élections législatives et en rentrant au Gouvernement, Matteo Salvini s’est imposé pour remplacer le parti de Silvio Berlusconi. Cela s’explique notamment par l’absence de renouvellement du fond et de la forme du parti historique de la droite en Italie. Matteo Salvini apportait plus de fraicheur et son discours notamment contre l’immigration était plus en phase avec l’évolution des préoccupations des électeurs de droite en Italie. De plus, une autre force politique a émergé encore plus à droite avec Frères d’Italie qui devance actuellement la Lega de Matteo Salvini dans les intentions de vote pour les prochaines élections législatives.
Au Royaume-Uni, Boris Johnson a appliqué la même stratégie que Nicolas Sarkozy. Le parti conservateur était en situation délicate à l’occasion des élections européennes de 2019. En effet, le parti alors dirigé par Theresa May avait enregistré 8,84% contre 30,74% pour le parti du Brexit emmené par Nigel Farage. C’est à ce moment que Boris Johnson devient Premier ministre pour remplacer Theresa May. Lors des élections législatives anticipées de 2019, le parti conservateur a terminé en tête à 43,63% tandis que le parti du Brexit n’a enregistré que 2,01%. Ce basculement du rapport de force s’explique par la personnalité de Boris Johnson mais surtout par sa ligne politique centrée sur « Get Brexit Done ». En affirmant qu’il réaliserait le Brexit et en étant crédible à ce sujet, il a rendu inutile le vote en faveur du parti de Nigel Farage. En effet, si des électeurs britanniques voulaient le Brexit, ils n’avaient qu’à voter en faveur de Boris Johnson qui a imposé un référendum pour ou contre le Brexit lors des élections législatives de 2019.
Lorsque des partis de gouvernement décident de se rapprocher, ou du moins de ne plus exclure le parti extrémiste du champ démocratique, que se produit-il ? Les partis se retrouvent-ils “contaminés” par l’extrême droite ? Ou est-ce que les partis d’extrême droite se respectabilisent sur le fond ?
Les trois exemples autrichiens, italiens et britanniques montrent que la droite qui a réussi à séduire les électeurs d’extrême-droite l’ont réalisé par un changement sur le fond et sur la forme. Le changement sur la forme devait montrer un renouvellement des cadres historiques afin d’apporter de la crédibilité au changement de discours pour éviter de subir « pourquoi vous feriez, ce que vous n’avez pas fait auparavant ». Ensuite, les partis de droite qui ont réussi, se sont réappropriés les thèmes portés par leur extrême-droite en apportant des solutions gouvernementales aux aspirations de ces électeurs. Enfin, les partis qui tentent de séduire les électeurs d’extrême-droite sans pour autant être crédible, conduisent à respectabiliser pour être remplacer. C’est ce qu’il s’est passé dans l’exemple italien.
Ainsi, le résultat est différent selon la position du parti de droite au moment où il décide de se lancer à la conquête des électeurs d’extrême-droite. Est-ce qu’ils sont assez forts sur le fond et sur la forme pour se lancer dans une telle entreprise ? Est-ce qu’ils sont jugés pour cet électorat, assez crédible pour apporter des solutions à leurs aspirations ? Si ce n’est pas le cas, alors ils contribuent à légitimer les thèses portées par les partis d’extrême-droite sans pour autant bénéficier de meilleurs résultats aux élections. La grande difficulté pour ce type d’opération, est de se rendre crédible et audible aux yeux d’un électeur d’extrême-droite qui ne possède pas une grande confiance dans le personnel politique.
Dans le cas de Sebastian Kurz, sa fraicheur lui a permis de dire qu’il n’était pas comme le personnel politique classique parce qu’il était nouveau dans le paysage politique sur le même modèle que Donald Trump. Dans le cas de Boris Johnson, c’est son combat pour le Brexit depuis le référendum qui lui a permis d’être crédible sur ce thème parce qu’il a été à l’avant-garde de ce combat, qu’il s’est opposé à l’ancien Premier ministre David Cameron sur ce sujet. Boris Johnson a ainsi gagné sa crédibilité sur ce thème au fil du temps. Malheureusement pour Silvio Berlusconi, il cumulait les handicaps. Il avait déjà été Président du Conseil (équivalent de Premier ministre), il n’incarnait pas forcément le renouvellement. Il a été empêtré dans les affaires judiciaires, ce qui n’améliorait pas son crédit politique pour parler à l’électorat de Matteo Salvini.
Que peuvent donc faire les partis français pour réduire le risque de l’extrême-droite au pouvoir malgré sa position à l’Assemblée ?
L’équation est de plus en plus complexe pour les partis français que dans les situations évoquées précédemment. Tout d’abord, les électeurs d’extrême-droite commencent à croire petit à petit à une victoire sous leur propre couleur alors que ce n’était pas forcément le cas au Royaume-Uni et en Autriche. Ainsi, très peu d’électeurs britanniques estimaient qu’il était possible que Nigel Farage puisse arriver à la fonction de Premier ministre de même que les électeurs autrichiens pour le FPO. En France, Marine Le Pen arrive progressivement à améliorer son score à l’élection présidentielle et 89 députés RN ont été élus au suffrage universel direct soit plus que lors de la proportionnelle de 1986. Cette fragilité du Front républicain encourage les électeurs du Rassemblement national à croire à une victoire de Marine Le Pen ou d’un autre représentant lors de la prochaine élection présidentielle. De plus, il n’y aura pas d’élections départementales ou régionales sous ce quinquennat mais uniquement des élections municipales. Dans l’hypothèse d’élections régionales avant la prochaine élection présidentielle, si le RN ne remportait pas de régions, est-ce que cela n’aurait pas décourager ses électeurs ? Est-ce que ce n’est pas ce scénario en 2021 lors des dernières élections régionales qui a permis une percée sondagière d’Éric Zemmour puisque les électeurs du RN cherchaient un candidat de substitution ?
Ensuite, il existe un défaut de crédibilité pour les partis français. Est-ce que les différentes personnalités politiques sont jugés crédibles pour répondre aux aspirations de l’électorat RN ? Pour séduire les électeurs de Marine Le Pen, les différentes personnalités politiques doivent démontrer qu’ils sont en meilleur capacité pour faire triompher leurs idées et répondre à leur préoccupation. Cela suppose ainsi d’être crédible sur les thèmes qui font le succès du Rassemblement national tout en proposant une meilleure solution d’accès au pouvoir. Dans la situation actuelle, les Républicains n’arrivent à répondre ni à l’autre question dans la mesure où ils sont affaiblis électoralement et n’arrivent pas à trouver de nouvelles idées depuis les épopées de Nicolas Sarkozy et de François Fillon. Cela suppose ainsi de renouveler le parti aussi bien sur la forme que sur le fond pour apporter de la crédibilité à la volonté de changement. Pour l’instant, les différentes personnalités qui peuvent reprendre à leur compte les thèmes du RN contribuent davantage à légitimer les thèmes qu’à aspirer des électeurs. Ainsi, les électeurs de Marine Le Pen voient davantage Eric Ciotti ou François Xavier-Bellamy comme un futur membre du RN ou de Reconquête qu’un futur président de la République. Cette situation peut évoluer si la présidence des Républicains venait à être exercer par une personnalité capable de parler à cet électorat comme Laurent Wauquiez ou Bruno Retailleau. Dans cette configuration, cette personnalité disposerait de plusieurs années pour opérer une révolution sur le fond et sur la forme pour se rendre crédible auprès des électeurs de Marine Le Pen. Il ne « resterait » ainsi plus qu’à démontrer que le président des Républicains serait la meilleure personnalité pour porter les idées au pouvoir.
Enfin, il reste une possibilité : attendre l’échec du Rassemblement national. Le parti mené par Marine Le Pen est désormais davantage scruté et exposé. Il pourrait alors effectuer différentes erreurs pour perdre sa crédibilité auprès de son électorat. En effet, Marine Le Pen peut être tentée de poursuivre sa stratégie de dédiabolisation mais la normalisation pourrait éloigner certains électeurs du Rassemblement national sous le thème « c’est un parti comme les autres ». Cela commence notamment par le choix d’effectuer une opposition frontale au président de la République ou une opposition respectable et constructive. La situation politique amène également la presse à davantage analyser les votes au sein du Parlement et le vote des députés RN va être scruté. Est-ce que les députés vont se notabiliser et trahir leurs électeurs sur certains textes précis ? Est-ce qu’il y aura des divergences de lignes au sein des cadres du Rassemblement national ? Ainsi, le plus dur commence pour le parti de Marine Le Pen.
William Thay, président du Millénaire, think-tank gaulliste spécialisé en politiques publiques.
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Crédit photo : Marine Le Pen par Пресс-служба Президента Российской Федерации Kremelin sous licence CC BY 4.0
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