Gouverner sans majorité absolue : l’exemple du gouvernement Rocard
En 1988, avec la dissolution qui a suivi la réélection de François Mitterrand, les socialistes obtiennent une majorité au palais Bourbon mais pas absolue. Ainsi, le groupe socialiste comptait 275 députés et il manquait 14 députés à François Mitterrand et Michel Rocard pour gouverner sans encombre. Pour gouverner sans majorité, le gouvernement Rocard va partir à la recherche d’une majorité spécifique pour chacun des textes présentés. La majorité de l’époque s’appuyait alors selon les textes sur les communistes (25 sièges) ou sur les centristes de l’UDF (90 sièges) et les députés non-inscrits (16 sièges).
Face à la difficulté de construire des coalitions majoritaires pour chaque texte, le gouvernement dispose d’un outil particulier : l’Article 49-3 de la constitution. Ce dernier lui permet d’engager sa responsabilité et de provoquer l’adoption automatique d’un texte si aucune motion de censure n’est déposée. Cet outil a été utilisé à 28 reprises par Rocard, ce qui lui a permis de gouverner même sans majorité absolue et sans coalition. A l’inverse, Emmanuel Macron pourrait difficilement gouverner seulement à coup de 49-3, puisque son usage a été limité depuis la réforme constitutionnelle de 2008. L’Article 49-3 ne peut être désormais utilisé qu’une seule fois par session parlementaire en plus des projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale.
Une stratégie d’alliance au cas par cas
Pour Emmanuel Macron et Élisabeth Borne, gouverner sans majorité sera plus difficile que pour François Mitterrand et Michel Rocard. Outre ses restrictions d’usage, même dans le cas d’un recours au 49-3, Emmanuel Macron devra obtenir une abstention d’au moins 25 députés de l’opposition pour que les motions de censure échouent. Alors que le groupe Ensemble est plus hétérogène que le PS de 1988, Emmanuel Macron pourrait par ailleurs être prisonnier des groupes qui composent sa majorité. Ainsi, en plus de devoir trouver de nouveaux soutiens à l’extérieur de son groupe, Emmanuel Macron doit surtout éviter la fracturation de sa majorité. Une mise en retrait du groupe Modem de François Bayrou, ou d’Horizon d’Édouard Philippe, sonnerait presque automatiquement la chute du gouvernement en place, conférant d’autant plus de poids à ces alliés dans les négociations.
En parallèle, Emmanuel Macron pourrait choisir de trianguler au cas par cas la gauche et la droite pour faire voter ses textes. Sur les thématiques économiques et régaliennes, il pourrait chercher à obtenir la neutralité, voire le soutien, d’une partie de la droite et, sur les sujets plus sociétaux et écologiques, réaliser la même opération mais avec des députés PS et des dissidents NUPES. Dépassant le clivage gauche-droite, cette stratégie correspond le plus à l’esprit originel du macronisme mais elle semble beaucoup plus incertaine que sous Rocard, pour un président à qui il ne manque pas 15 mais 50 sièges pour atteindre la majorité. Les débauchages au cas par cas seront certainement insuffisants d’un point de vue numérique.
Dans le cas présent, la principale faille de cette stratégie est qu’elle repose sur une forme d’entente et de bienveillance de chacun des camps. Les groupes parlementaires devraient être dans une démarche constructive et où ils n’auraient finalement que très peu de poids sur la politique menée par Emmanuel Macron. Ce positionnement constructif sera difficile à tenir pour les groupes pivot car il est embarrassant sur le plan électoral. Dans cette posture, ils ne bénéficient ni de l’avantage d’être dans l’opposition pour incarner la principale opposition au gouvernement, ni de celui d’obtenir des portefeuilles ministériels et de gouverner la France dans la majorité.
Le dilemme coalition ou dissolution
Si la stratégie de la constitution de majorités au cas par cas échoue car le gouvernement ne parvient pas à trouver les voix manquantes, Emmanuel Macron sera confronté à un dilemme : construire une nouvelle coalition ou dissoudre. Emmanuel Macron pourrait pour obtenir une majorité absolue construire un accord de gouvernement avec un parti politique lui assurant un coalition parlementaire majoritaire. En raison de la composition de l’Assemblée nationale, cette coalition pourrait se construire au choix avec LFI, le RN ou LR. En raison des différents idéologiques, une coalition ne semble possible qu’avec Les Républicains. Emmanuel Macron devrait alors donner suffisamment de gage pour obtenir le soutien ou l’abstention du groupe LR à l’Assemblée nationale, par exemple en nommant un premier ministre de cette famille politique.
Reste ensuite à Emmanuel Macron le pari de la dissolution. Il s’agit bien d’un pari puisque dans ce scénario Emmanuel Macron pourrait obtenir encore moins de sièges lors de la prochaine législature. La dissolution rebattrait les cartes, les Français pourraient pénaliser l’attitude de blocage de certains groupes ou au contraire amplifier la déroute du parti présidentiel en imposant une cohabitation à Emmanuel Macron.
Avec ces élections législatives, Emmanuel Macron n’est plus le maître des horloges et la France a basculé dans le parlementarisme. La fin de l’hyperprésidence risque d’être doublée d’une forte instabilité gouvernementale au gré des alliances au parlement. Sans majorité absolue à l’Assemblée nationale, la France pourrait connaître une crise institutionnelle durable forçant Emmanuel Macron à la dissolution.
Marion Pariset, Secrétaire Générale du Millénaire, thinktank gaulliste spécialisé en politique publique
Emeric Guisset, Secrétaire Général adjoint du Millénaire
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Crédit photo : Hémicycle par Assemblée nationale, Libre de droit
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