Retrouvez la tribune de William Thay dans Les Échos « Pour un nouveau modèle européen »
Nous affrontons une crise sanitaire à laquelle nous n’étions pas préparés. Ce douloureux épisode ne peut être vu comme une simple parenthèse, car il ne remet pas uniquement en cause notre gestion des crises sanitaires, mais aussi et surtout le modèle économique qui prévaut depuis les années 1980, reposant sur la mondialisation et le libre échange.
Alors que ce dernier demi-siècle a vu les crises mettre fin au modèle keynésien et au modèle néolibéral financiarisé, celle que nous traversons actuellement doit nous pousser à aller de l’avant pour construire un nouveau modèle pour l’Europe.
Un modèle à bout de souffle
L’histoire économique montre qu’il ne peut y avoir de changement de paradigme économique sans une crise majeure. Deux modèles économiques se sont ainsi succédés depuis 1945 : l’ère keynésienne qui se retrouva en incapacité de répondre aux chocs d’offres provoqués par les deux crises pétrolières de 1973 et 1979 ; et le modèle néolibéral (Hayek) et monétariste (Friedman). Cependant, la crise financière de 2008 a mis à mal le modèle actuel, conduisant à une révolte illustrée par le Brexit,la victoire de Donald Trump ou encore des « gilets jaunes » en France.
Une nouvelle fois, après la première révolution conservatrice menée par Reagan et Thatcher au début des années 1980, les Anglosaxons menés cette fois-ci par Donald Trump et Boris Johnson sont les premiers à jeter les bases d’un nouveau modèle reposant sur la protection des intérêts nationaux par le renforcement des atouts de leurs pays respectifs. Sans actions adéquates, la crise du coronavirus accélérera sûrement ce mouvement en agissant comme catalyseur de l’avènement de la Chine et du déclin de l’Europe. Cette crise a révélé de façon brutale l’affaiblissement progressif de l’Europe comme un acteur de rang mondial, et a souligné les capacités du système politique et économique chinois à faire face aux crises.
Pour contrer la sortie de l’Histoire du Vieux continent, avec une Union européenne inexistante, bloquée par ses divisions et son manque de leadership, il est nécessaire d’acter l’émergence d’un nouveau modèle. Pendant que, tiraillés entre les partisans du modèle monétariste des années 1980 et les partisans du retour de l’État providence, les pays européens rejouent un match économique d’un autre temps. A l’inverse, le conflit entre la Chine et les États-Unis marque le retour des États puissances, préoccupés par leurs intérêts nationaux dans la compétition pour le leadership mondial.
Un chemin alternatif pour l’Europe ?
L’Europe doit offrir une troisième voie alors qu’un nouveau cycle international s’ouvre avec l’affrontement entre la Chine et les États-Unis, qui referme la parenthèse ouverte après la fin de la Guerre froide. La reconquête européenne doit déboucher sur une conciliation entre la volonté française d’une Europe puissance, en phase avec l’émergence du nouvel ordre mondial et la vision allemande d’un espace économique visant à assurer la prospérité et le développement des peuples. La réconciliation de ces deux visions dans une Europe politique et économique permet d’être apte au combat sur la scène mondiale pour défendre les intérêts des États membres avec l’émergence de l’UE comme acteur stratégique.
Il s’agit ainsi de développer les atouts européens: faire de l’euro une arme monétaire pour offrir une alternative à la suprématie du dollar, faire du droit continental la référence dans les affaires, et promouvoir un modèle de vie fondé sur une économie prospère et durable pour faire émerger la dimension environnementale héritée des Accords de Paris. La prise en compte de cette dimension et la crise du Covid-19 nous obligent également à basculer notre modèle de consommation vers un modèle équilibré entre production et défense des intérêts des consommateurs. L’objectif est ainsi de profiter du marché commun pour encourager la spécialisation industrielle de chacun des pays européens dans leurs secteurs d’excellence, tout en conservant des entreprises stratégiques dans les industries d’importance capitale face aux crises d’aujourd’hui et de demain.
Face à la montée de tensions toujours plus fortes entre les États-Unis et la Chine, l’Europe peut constituer une troisième force pour faire émerger un autre modèle. En effet, nous avons accumulé trop de retards afin de pouvoir nous mesurer aux deux autres puissances dans la compétition pour le leadership mondial. Cependant, en devenant une sorte de «Suisse» dans ce long conflit qui pourrait durer plusieurs décennies, l’Union européenne adoptera enfin le projet politique de se constituer en acteur stratégique face aux deux géants tout en offrant un nouveau modèle de développement alternatif.
Crédit photo: Image par David Mark de Pixabay
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