Pierre Clairé et Sean Scull pour Valeurs Actuelles : « Le retrait de Joe Biden affaiblira les Démocrates »

TRIBUNE. Pierre Clairé, directeur adjoint des études du think-tank Le Millénaire et spécialiste des questions internationales et européennes, et Sean Scull, analyste international pour le think-tank Le Millénaire, analysent la campagne pour la prochaine élection présidentielle aux États-Unis.

L’héritage politique de Joe Biden sera marqué par son soudain retrait à 3 mois de l’élection présidentielle. Si ce retrait était inévitable au regard des voix au sein du parti democrate qui appelaient à sa démission et des désertions des donateurs, il affaiblira les democrates car Kamala Harris est une moins bonne candidate que Joe Biden pour battre Donald Trump.

Un retrait inévitable dans une mauvaise fenêtre de tir

Joe Biden ne disposait que d’une seule fenêtre de tir pour se retirer : entre fin juin (fin du vote des délégués et super délégués) et mi-août (date de la convention des démocrates). D’une part, il ne pouvait pas se retirer avant la fin juin, puisqu’il s’agissait de la période des primaires du parti démocrate où les délégués et super délégués devaient se prononcer sur un candidat parmi lesquels figurait le président sortant. Or, si Joe Biden avait démissionné avant le positionnement de chaque grand électeur démocrate, cela aurait créé une guerre ouverte chez les démocrates puisque chaque candidat aurait cherché à séduire le maximum de délégués et super délégués, ce qui aurait désuni le parti. D’autre part, il ne pouvait pas se retirer après la convention à moins de trois mois avant la présidentielle car cela n’aurait pas laissé suffisamment de temps à son successeur pour affronter un Donald Trump qui a tué le match dans son camp depuis le Super Tuesday en mars dernier.

Seulement, cette fenêtre de tir coïncide avec la tentative d’assassinat à l’encontre de Donald Trump. Or, cette dernière a renforcé l’image de Donald Trump à trois égards. D’abord, elle a amplifié la légitimité charismatique de l’ancien président en lui conférant une image de miraculé. Ensuite, Donald Trump a pu compter sur des soutiens venus de la classe politique américaine et internationale comme Ronald Reagan en 1981. Ces soutiens avaient recentré Ronald Reagan et lui avaient conféré l’une des plus larges victoires républicaines en 1984. Enfin, elle permet à Donald Trump de définitivement gagner la guerre d’image face à Joe Biden. En effet, l’image du survivant à un attentat contraste avec celle d’un Joe Biden trébuchant et en difficulté dans le débat présidentiel du 27 juin.

Une succession animée par la logique du « moins pire »

Les Democrates doivent se chercher un candidat avant la Democratic National Convention. Seulement, cela doit se faire avec une contrainte : celle de trouver un candidat susceptible d’élargir le bloc électoral démocrate puisqu’en retard dans les sondages au niveau national et dans les Etats-clefs. Or, ces derniers doivent composer avec une nouvelle génération de responsables politiques nationaux bien plus à gauche (Elisabeth Warren, Bernie Sanders, Alexandria Ocasio-Cortez, etc.) que ne l’étaient leurs prédécesseurs, notamment les couples Clinton et Obama. A ce titre, Kamala Harris apparait la moins mauvaise option. Elle dispose de trois atouts : elle est la vice-présidente de Joe Biden et peut défendre son bilan (1), elle est une femme de couleur pugnace qui peut sur-mobiliser l’électorat démocrate urbain face à Donald Trump (2) et elle est ancienne procureure ce qui lui conférera une certaine légitimité face à un Donald Trump en guerre avec la justice (3).

Avec Kamala Harris favorite, la question de la succession est devenue double : celle du candidat à la présidentielle et celle de la vice-présidence. Ainsi, les democrates doivent également s’accorder sur le ticket et donc le profil complémentaire à Kamala Harris. Le choix est moins évident avec un panel de prétendants issus de la nouvelle génération et pose un problème de tactique politique en ouvrant deux options. La première serait de choisir un vice-président issu de l’aile gauche considérant que Kamala Harris incarnerait la continuité de Joe Biden donc d’un président plus centriste. La seconde serait de choisir un vice-président complémentaire issu des Etats-clefs où Kamala Harris accuse un retard dans les sondages, par exemple le gouverneur de Pennsylvanie Josh Shapiro ou le sénateur d’Arizona Mark Kelly. Seulement, aucune option ne permet d’envisager avec certitude une victoire face à Donald Trump car d’un côté, choisir un vice-président de l’aile gauche serait redondant avec l’incarnation de Kamala Harris (californienne, urbaine, aisée) et les potentiels vice-présidents issus des Etats-clefs ne sont pas suffisamment connus pour sécuriser des Etats-clefs en dehors du leur.

Face à Donald Trump, Kamala Harris est une moins bonne candidate que Joe Biden

Kamala Harris sous-performe électoralement dans les Etats-clefs. L’élection américaine ne se joue pas sur le vote populaire mais sur l’élection de grands électeurs. Il y a trois Etats-clefs que les Democrates doivent impérativement conserver pour obtenir la majorité des grands électeurs. Ce sont le Wisconsin, la Pennsylvanie et le Michigan. Or, il s’agit d’Etats marqués où la « working class blanche » est prépondérante tant au niveau des suburbs (électorat plutôt aisé des banlieues) que des classes populaires et intermédiaires blanches dans les zones désindustrialisées. Il s’agit des électorats où Donald Trump superforme et où seul Joe Biden grâce à sa politique industrielle protectionniste (Inflation Reduction Act) réduisait l’écart ce qui permettait de conserver dans le giron démocrate ces Etats. Kamala Harris serait pour l’instant largement battue dans ces Etats-clefs face à Donald Trump.

De plus, elle devra entrer dans le match des bilans que cherchent à imposer les républicains. En effet, elle doit porter le bilan de Joe Biden alors que les Américains jugent moins bon que celui de Donald Trump, notamment sur les trois totems principaux : l’économie, la sécurité et l’immigration. En effet, sur le plan économique, un sondage Bloomberg/Morning Consult d’avril 2024 a révélé que 51% des répondants estimaient être financièrement mieux lotis sous Donald Trump contre 32% sous Joe Biden. Sur le plan sécuritaire et migratoire thèmes des républicains, les Américains préfèrent la gestion de la frontière avec le Mexique de Donald Trump que de Joe Biden puisque ce dernier doit composer avec une crise migratoire majeure en 2023 où près de 10 000 immigrés par jour cherchent à traverser la frontière mexicaine.

Le retrait de Joe Biden affaiblira les démocrates tant électoralement que politiquement. Son départ pourrait s’apparenter à ceux de ces prédécesseurs démocrates Harry Truman en 1952, et Lyndon B. Johnson en 1968 pour lesquels, les candidats qui avaient repris la course à la présidence, avaient perdu l’élection face aux républicains.

Pierre Clairé, Directeur adjoint des Etudes du think-tank Le Millénaire et spécialiste des questions internationales et européennes

Sean Scull, Analyste international pour le think-tank Le Millénaire

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Crédit photo : President Joe Biden and Vice President Kamala Harris hug at a a Black Americans for Biden event at Girard College in Philadelphia, Pennsylvania, May 29, 2024, Christopher Dilts/Biden for President, sous licence Attribution-Non Commercial 2.0 Generic, via Flickr.

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