Pierre Clairé et Sean Scull pour Causeur : « Emmanuel Macron et la paix made in Trump »

L’analyse géopolitique du Think Tank « Le Millénaire ».

Faiseur de paix au Proche-Orient, Donald Trump relègue Emmanuel Macron au rôle ingrat de VRP de sa « Pax Americana ». Analyse.

Emmanuel Macron était hier en Égypte pour « soutenir la mise en œuvre » d’un accord qu’il n’a ni conçu ni négocié. C’est bien le plan de Donald Trump — partiellement accepté par Israël et le Hamas — qui a désormais été entériné à Charm el-Cheikh. Or, en février, le président français dénonçait avec vigueur les premières esquisses de la « Riviera du Moyen-Orient » de Trump. Voici donc un nouveau retournement symbolique pour une diplomatie française adepte du « coup d’éclat », qui prétendait « mettre la pression » mais se retrouve à valider un ordre négocié ailleurs…

Emmanuel Macron adopte une nouvelle posture : celle du soutien à Trump

La France est arrivée à Charm el-Cheikh très affaiblie. Paris est enlisé dans une crise gouvernementale, avec un président au capital politique faible tant sur le plan intérieur qu’à l’international. Emmanuel Macron est désormais le président le plus impopulaire de la Ve République, égalant le record de François Hollande avec 14 % d’opinions favorables. 

Cela n’interdit pas la diplomatie présidentielle, mais cela donne à la politique étrangère des allures de refuge plutôt que de mandat. Pour exister politiquement sur le plan intérieur, Emmanuel Macron avait depuis l’été adopté une stratégie de « diplomatie populaire », se montrant sévère envers Israël, une posture devenue « à la mode » et « mainstream ».

Si cette inclination à se réfugier dans les affaires internationales n’est pas problématique en soi depuis la dissolution de 2024, les revirements le sont davantage. Le président ne porte plus une ligne française singulière et originale : il s’aligne désormais sur le plan de Trump.
Le cessez-le-feu et la première phase d’échanges d’otages et de prisonniers reposent sur le plan américain en vingt points dévoilé en septembre. Or, Emmanuel Macron avait, à contretemps, reconnu l’État de Palestine sans exiger la libération immédiate des otages ! Paris soutient désormais l’exécution d’un plan étranger plutôt que de proposer une alternative. Une souplesse qui ressemble fort à un renoncement — ou à une manière de masquer son impuissance.

Notons toutefois que Donald Trump a lui-même assoupli sa position. Son plan de paix pour Gaza laisse désormais « entrouverte » l’hypothèse d’un État palestinien et tempère ses anciens discours maximalistes sur le « déplacement » des populations. Fini, aussi, l’idée d’un GREAT trust : Trump dirigera plutôt un Conseil de paix chargé de superviser une autorité palestinienne technocratique et apolitique. Cette flexibilité a ouvert un espace d’adhésion israélien, arabe et européen qu’aucune initiative française isolée n’aurait pu créer.

Seul Trump peut réussir, pas Macron

Deux ans après le début du conflit, Israël a besoin de Donald Trump. L’État hébreu n’a pas atteint ses objectifs de destruction du Hamas ni obtenu le retour de ses otages. Il se retrouve isolé au sein de l’Occident, avec une Europe qui se fracture sur l’effondrement humanitaire à Gaza.


Le plan de Trump rompt cette impasse en proposant des étapes tangibles : cessez-le-feu, redéploiement israélien sous supervision, libérations d’otages et échanges de prisonniers, montée en puissance humanitaire, puis discussions sur la gouvernance. Difficile à enrayer, coûteux à violer, le plan offre à chaque camp des gains concrets à court terme — le plus précieux pour Israël demeurant la libération des otages.

Ce plan s’appuie sur un Donald Trump disposant des moyens de ses ambitions. Fort d’un savoir-faire diplomatique déjà visible durant son premier mandat — des Accords d’Abraham à la normalisation progressive avec les dirigeants régionaux, de l’Arabie saoudite à la Syrie —, le président américain dispose de puissants leviers : une diplomatie coercitive, un appareil militaire projetable et un poids économique sans équivalent.

Face à cela, Emmanuel Macron et les Européens restent inaudibles dans la région : dépourvus d’atouts comparables, ils se limitent à des effets d’annonce sur l’État palestinien. Pour tenter d’incarner une pseudo-crédibilité diplomatique, Macron s’arrime donc à un projet qu’il ne peut pas véritablement influencer.

Emmanuel Macron, VRP de la « Pax Americana » ?

Donald Trump a relégué Emmanuel Macron au rang de simple VRP de sa « Pax Americana ». Là où le président français plaide pour la paix par conviction morale, son homologue américain la recherche par intérêt stratégique.

À la différence du duo Biden-Blinken, à qui le retrait catastrophique d’Afghanistan colle à la peau, Washington passe du rôle de « facilitateur » à celui de « garant », dans la perspective d’une vaste alliance régionale contre le terrorisme islamiste incarné par l’Iran et ses proxys. Ce nouvel ordre régional, orchestré par les États-Unis, vise à imposer une « Pax Americana », c’est à dire une paix imposée par la force d’un empire comme la « Pax Romana » sous l’Empire romain.

Mais trois obstacles pourraient faire échouer ce projet. D’abord, le risque d’exécution : des factions à Gaza ou des extrémistes en Israël pourraient saboter le processus de paix. Ensuite, la question de la gouvernance à long terme de Gaza reste entière : tout rôle élargi de l’Autorité palestinienne, même réformée, serait contesté à la fois à Ramallah et à Jérusalem.
Enfin, le danger d’un remake des erreurs américaines du passé persiste : imposer une structure politique sans tenir compte des réalités locales, comme en Afghanistan ou en Irak.

La diplomatie se fait avec des leviers de puissance plus qu’avec des déclarations morales. La visite d’Emmanuel Macron en Égypte, en simple « ambassadeur de la paix trumpienne », le démontre. Ironie du sort : il n’est pas totalement inconcevable que le grand pacificateur Donald Trump décroche un jour le Graal ultime de ceux qui aiment faire la morale : le prix Nobel de la paix.

Pierre Clairé, Directeur adjoint des études du think-tank gaulliste et indépendant Le Millénaire, spécialiste des questions internationales et européennes

Sean Scull est analyste du Millénaire, spécialiste de la politique américaine et auteur de le Populisme, symptôme d’une crise de la démocratie, comment le néolibéralisme a triomphé en France et en Suède, aux éditions L’Harmattan.

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Crédit photo : President Donald J. Trump and French President Emmanuel Macron in a press conference, de  Executive Office of the President of the United States, via Wikimedia Commons, sous licence public domain.

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