Pierre Clairé et Matthieu Hocque pour Valeurs : « Guerre en Ukraine: Macron peut-il faire bouger Xi ? »

Face à un axe Pékin-Moscou de plus en plus incontournable, le président français tente de s’immiscer pour redevenir un acteur majeur dans les négociations de paix. Mais de nombreux pays n’adhèrent plus à la vision occidentale de l’ordre du monde, affirment Pierre Clairé et Matthieu Hocque, directeur adjoint des études et secrétaire général adjoint du Millénaire, think tank gaulliste et indépendant. 

Affaibli sur le plan national par les mobilisations contre la réforme des retraites, Emmanuel Macron est arrivé le 5 avril en Chine pour une périlleuse visite d’État de trois jours. Si les relations commerciales entre la France et l’empire du Milieu seront évoquées, c’est la résolution de la guerre en Ukraine qui concentrera les regards du monde entier.

Seulement, sur ce point, depuis l’échec des discussions avec Vladimir Poutine, Emmanuel Macron a perdu le faible capital diplomatique qui lui restait après ses échecs sur le Brexit et l’affaire des sous-marins Aukus. Il lui sera impossible dans ces circonstances de faire entendre la voix de la France face à un axe Pékin-Moscou qui s’est renforcé et une Chine qui s’est imposée comme médiateur principal du conflit.

Échec français dans ce dossier

Emmanuel Macron a tenté sans relâche de maintenir le contact avec Vladimir Poutine pour réussir à le pousser à négocier avec l’Ukraine. Il a ainsi continué à s’entretenir au téléphone avec le maître du Kremlin avant et après le début de l’opération spéciale en Ukraine, ce qui a déplu à certains au sein du camp occidental. Seulement, ces tentatives d’amener la Russie à la table des négociations ont été vaines. Cet échec a poussé les Ukrainiens à inventer le néologisme “macroner” pour illustrer le fait de parler énormément sans rien accomplir. Pire, un des seuls gestes obtenus des Russes l’aura été sous la médiation turque avec la reprise des exportations ukrainiennes de blé. Il s’agit d’un véritable camouflet pour le président de la République qui se rêvait en pacificateur.

Le président français n’est plus en mesure d’obtenir une paix en Ukraine. Les Russes ne supportent pas de voir leurs arguments rejetés continuellement par des Occidentaux qu’ils accusent de cobelligérance avec Volodymyr Zelensky. Poutine cherche donc des interlocuteurs non occidentaux pour trouver une solution à ce conflit. De nombreux pays n’adhèrent plus à la lecture occidentale du monde et sont intéressés par un rééquilibrage des relations internationales au profit du multilatéralisme. La France d’Emmanuel Macron est démonétisée pour jouer un rôle dans la résolution pacifique du conflit en Ukraine, au contraire d’autres pays comme la Turquie, le Brésil et surtout la Chine.

La Chine au contraire à l’oreille de Poutine

Depuis le début de la guerre, Pékin s’est montré silencieux sur la question ukrainienne, refusant de critiquer ouvertement le comportement de son allié russe. Pourtant, la Chine s’est montrée plus présente ces dernières semaines. D’une part, elle a proposé un plan de résolution en 12 points le 24 février 2023, date du début de la deuxième année du conflit. Les Chinois insistent sur leur volonté de trouver une issue pacifique à celui-ci, pour sauver l’économie et limiter les risques collatéraux. D’autre part, lors de la visite du président chinois à Moscou le 20 mars, la Chine a affiché un soutien plus prononcé à l’égard de la Russie afin de participer à la reconfiguration de l’architecture mondiale après la guerre en Ukraine.

La Chine gagne progressivement la bataille de l’opinion internationale au détriment de l’Occident. Si l’axe Moscou-Pékin a de quoi inquiéter l’Occident, les positions chinoises ont bien été accueillies par de nombreux pays. Cette volonté pacifique et le multilatéralisme défendu par Pékin qui critique les sanctions occidentales unilatérales trouvent un écho en Afrique, en Asie ou en Amérique du Sud, soit auprès d’environ 80 % de la population mondiale. La Chine est perçue comme le champion des “non-alignés” et le principal pourfendeur de l’ordre mondial prôné par l’Occident, ce qui ravit un grand nombre de chefs d’État, à commencer par Vladimir Poutine. Il faut se rappeler que la reconfiguration d’un nouvel ordre mondial a toujours été le cheval de bataille de Poutine, l’incitant par ailleurs à réécrire l’histoire et à envahir l’Ukraine pour ces motifs.

Bâtir une relation avec la Chine pour reprendre la main

La Chine est la clé pour trouver une issue pacifique à la guerre en Ukraine. Ainsi la visite d’Emmanuel Macron devrait être l’occasion de faire de la France un acteur majeur de cette négociation. Un succès permettrait à notre pays de redorer son blason à l’international, mais aussi de s’imposer un peu plus comme le porteur d’une “nouvelle voie”, distincte de celle tracée par Washington. Une France qui ne serait pas moralisatrice mais plutôt facilitatrice serait vue d’un bon œil par certains États ne voulant pas d’un nouveau monde bipolaire, englué dans une guerre froide 2.0.

Parvenir à se faire entendre de Xi Jinping et s’imposer dans le processus de paix serait aussi bénéfique pour “casser” l’amitié sino-russe. Elle aurait pour but d’empêcher un accord trop favorable à Moscou et surtout à Pékin. En effet, le monde n’attendra pas les Occidentaux si ceux-ci se montrent passifs sur la résolution pacifique de la guerre en Ukraine. Laisser les clés à la Chine ouvre un risque de nous retrouver avec un accord trop conciliant avec le Kremlin qui laisserait présager davantage de tensions aux frontières de l’Europe. Aussi, en laissant Xi Jinping prendre les rênes, il y a un risque de le voir établir une certaine jurisprudence qui pourrait lui servir dans son entreprise de ramener Taiwan sous giron chinois.

En définitive, se rendre en Chine pour empêcher que l’axe Pékin-Moscou ne devienne trop important est louable mais semble pour le moins complexe. Pour beaucoup, cette nouvelle tentative d’Emmanuel Macron semble vouée à l’échec et ressemble beaucoup à un baroud d’honneur pour un président qui a perdu tout son crédit, tant sur le plan national qu’international.

Pierre Clairé, directeur adjoint des études au Millénaire,

et Matthieu Hocque SGA du Millénaire,

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Crédit photo : Emmanuel Macron, via Flickr sous licence CC by 2.0

                       Xi Jinping, par Officia do Palácio do Planalto, sous licence CC BY 2.0, via Wikimedia Commons

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