Faire du Conseil Constitutionnel, une cour suprême ?

Une fois n’est pas coutume, tous les regards sont braqués sur le Conseil constitutionnel qui rend sa décision sur la réforme des retraites le 14 avril. Les Sages ont été saisis à la fois par l’exécutif ainsi que par des parlementaires de l’opposition. Seulement, cette mise en lumière des Sages intervient dans un contexte politique tendu où les Français redécouvrent leurs institutions. Alors qu’une majorité de Français sont contre la réforme des retraites, la décision du Conseil constitutionnel est perçue comme un des derniers leviers institutionnels pour obtenir le retrait du texte.

A cet égard, les choix politiques de l’exécutif pour poursuivre coûte que coûte la réforme l’ont conduit dans une impasse. L’utilisation de l’article 49-3, après le 47-1, a été assimilée à un passage en force vis-à-vis du peuple. Seulement, cette utilisation de l’article 49-3 s’inscrit en faux vis-à-vis de la philosophie de la Vème République. En effet, il a initialement été conçu comme un outil de rationalisation parlementaire pour soutenir le fait majoritaire (concordance politique du Gouvernement et de l’Assemblée nationale) et limiter le régime des partis, où une dizaine de frondeurs prennent en otage l’exécutif. Seulement, en période de majorité relative et avec une forte mobilisation contre le projet, l’utilisation de cet article ne peut que conduire à une crise politique, et cela pour deux raisons. D’une part, l’exécutif s’est coupé de la représentation nationale. Cela aura pour conséquence de mettre fin à la stratégie de « majorité de projets » et donc la fin des grandes réformes structurantes du quinquennat 2022-2027. D’autre part, le peuple s’est senti humilié par cette utilisation ce qui a redonné de l’épaisseur aux cortèges, accentuant la fracture démocratique entre les élites politiques et le peuple.

Cette crise sociale et politique a permis aux ennemis du régime de la Vème République de pouvoir attaquer la légitimité des institutions. A ce titre, une large partie de la Nupes s’est attaquée d’abord à la commission mixte paritaire (CMP) en faisant planer l’ombre de tractations politiques alors qu’il s’agit d’une instance parlementaire par excellence. De même, ils ont également commencé à s’attaquer au Conseil constitutionnel, notamment sa composition, si ce dernier ne rend pas la décision qui les arrange, à savoir une censure totale du texte.

Pour autant, la place du Conseil constitutionnel ainsi que des juges dans les institutions doit être interrogée. Faut-il transformer le Conseil constitutionnel en une Cour suprême ? On ne saurait envisager une réforme ambitieuse du Conseil Constitutionnel sans comprendre son rôle dans l’histoire de notre Ve République et l’évolution des mécanismes du contrôle des lois qui en découle. Envisager la transformation du Conseil Constitutionnel en une véritable Cour suprême « à l’américaine » nécessite au préalable une compréhension assez nette des différences entre les deux institutions.

Par conséquent, la transformation du Conseil Constitutionnel en une Cour Suprême implique une véritable révolution juridique et politique. Cela modifierait la perception française du juge du contrôle de constitutionnalité des lois, cela transformerait l’entièreté de la répartition des pouvoirs politiques en France et cela conduirait irrémédiablement a diminué le rôle du Parlement et du gouvernement, voire du Président de la République.

En vérité, en guise de conclusion, nous pouvons émettre une nouvelle hypothèse. La comparaison entre le Conseil Constitutionnel et la Cour suprême américaine s’avère non seulement inadéquate, mais également hors-sujets pour de multiples raisons. En effet, la Cour Suprême fut créée dans une logique de contrôle et d’unification de la loi constitutionnelle à travers les 51 États américain. Cette institution est pensée pour s’inscrire dans une organisation fédérale, ayant la compétence de garantir un principe pour l’ensemble des États, à l’instar de la jurisprudence « Roe Vs Wade ». La Cour Suprême des Etats-Unis ne se comprend qu’à une échelle continentale, à une échelle qui unifie le droit entre plusieurs États.

A l’inverse, le Conseil Constitutionnel est créé dans une logique de contrôle de la loi qui émane d’un seul organe législatif national, le Parlement. En fait, une comparaison pertinente serait plutôt entre la Cour Suprême des Etats-Unis et la Cour Européenne des droits de l’homme. Une piste à éclaircir serait les conséquences d’une transformation de cette cour européenne sur le modèle Etats-Uniens, posant dès lors la question des Etats-Unis d’Europe et relançant le projet d’Europe fédéral.

Par Nicolas Citti, analyste du Millénaire

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Credit Photo : Conseil Constitutionnel, sous licence CC 3.0 via Wikimedia Commons

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