Matthieu Hocque et Nicolas Citti pour la Revue Politique et Parlementaire : « Le conseil constitutionnel ne sortira pas l’exécutif de l’impasse politique »

Une fois n’est pas coutume, tous les regards sont tournés vers le Conseil constitutionnel qui rend sa décision sur la réforme des retraites le 14 avril. Les Sages ont été saisis à la fois par l’exécutif et l’opposition actant la fracture entre les deux pouvoirs depuis les dernières législatives, l’un comme l’autre cherchant à obtenir du juge constitutionnel une issue favorable.

Si l’opposition cherche à obtenir le retrait du texte en écho à l’intersyndicale et aux Français mobilisés contre la réforme, l’exécutif mise sur la constitutionnalité de son texte pour sortir de l’impasse. Seulement, le Conseil constitutionnel ne pourra pas sortir l’exécutif de sa crise politique.

Une décision prisonnière de la crise politique actuelle

 Les membres du Conseil constitutionnel peuvent déjà mettre fin au second quinquennat d’Emmanuel Macron par leur décision. Trois scénarios sont possibles. Dans le premier, favorable à l’exécutif, ils peuvent valider l’intégralité du projet de loi. Ce scénario est peu probable dans la mesure où plusieurs points du texte (CDI senior, Index senior, compte pénibilité) n’entrent pas dans le périmètre financier que couvre un projet de loi de financement de la sécurité sociale rectificatif. Pour ces raisons, la censure partielle du texte constitue le scénario le plus probable. Enfin, un troisième scénario catastrophique pour l’exécutif existe ; la censure totale du texte si le juge constitutionnel estime que l’article 47-1 n’est pas invocable car le critère de « l’urgence » de la réforme (une des conditions d’application de l’article) n’est pas qualifié.

D’une part, si les Sages confirmaient la légalité du texte, cela ferait jurisprudence. Chaque gouvernement pourrait faire passer par l’article 47-1 des réformes au-delà du périmètre budgétaire. Il s’agirait d’une atteinte aux pouvoirs du Parlement alors que les Français ont exprimé leur satisfaction vis-à-vis de l’Assemblée à majorité relative. D’autre part, le Conseil constitutionnel est prisonnier des choix politiques de l’exécutif dans la mesure où il doit trouver un équilibre entre son indépendance vis-à-vis du gouvernement et le fait de le ménager pour faire barrage aux extrêmes.

Une institution affaiblie

Le Conseil constitutionnel souffre d’un procès sur sa légitimité. La politisation des Sages soulève une interrogation quant aux choix de l’institution, à l’heure où la France, comme d’autres démocraties occidentales, souffre d’une crise de la représentation. Alors qu’une majorité de Français est contre la réforme des retraites, la crise sociale et politique constitue une opportunité pour la gauche radicale, à l’Assemblée comme dans la rue, de rejouer un match perdu d’avance sur les institutions.

La gauche radicale s’attaque aux institutions de la Ve République. Ces attaques sont plus régulières en raison de l’impasse dans laquelle se trouve le garant des institutions, à savoir le Président de la République. A ce titre, une partie des députés NUPES avait déjà remis en cause la légitimité de la Commission mixte paritaire (CMP) en soulevant à tort le jeu politique qui en découlerait. La gauche radicale souhaite profiter du fossé entre les élites politiques et le peuple.

Une colère contre le gouvernement, pas contre les institutions

Le gouvernement fait face à une crise politique, mais la colère n’est pas dirigée contre les institutions. Depuis l’utilisation de l’article 49-3, la colère sociale est davantage centrée sur le Président de la République et la Première ministre. Cela a été perçu comme une brutalisation du peuple et non du Parlement comme a été pensé le 49-3. De plus, ce ne sont pas les formations de gauche qui bénéficient de la crise sociale et politique. Dans le dernier sondage d’Ifop-Fiducial pour Le Figaro Magazine et Sud Radio, Marine Le Pen arriverait en tête au 1er tour de la présidentielle avec 31 % (+7,5 points par rapport à l’année dernière), lorsque Jean-Luc Mélenchon enregistrerait un score de 17 %, soit un décrochage de 20 % de son électorat. Ainsi, la croisade de la gauche contre le Conseil constitutionnel sera vaine et n’aboutira qu’à un nouvel échec politique.

Le Conseil constitutionnel ne sauvera pas le second quinquennat d’Emmanuel Macron. Il devrait adopter une position d’équilibre à l’égard du gouvernement et ne censurer que partiellement le texte pour éviter de lui être trop favorable sans pour autant donner raison à ceux qui souhaitent abolir la Ve République. Pourtant, la censure partielle du texte continuera de mettre la pression sur Emmanuel Macron pour retirer un texte dont le peuple ne veut pas. A ce titre, les syndicats ont déjà annoncé poursuivre la lutte jusqu’au bout de la ratification de la réforme.

Pour sortir durablement de la crise, il lui faudra chercher des solutions innovantes au risque sinon d’accentuer les fractures entre les Français tout au long de son second quinquennat.

 Matthieu HocqueSecrétaire général adjoint du Millénaire, think-tank gaulliste et indépendant

Nicolas Citti, Analyste au Millénaire

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Credit Photo : Conseil Constitutionnel, sous licence CC 3.0 via Wikimedia Commons

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