Face à un monde qui se réarme à grande vitesse et à une Europe fragilisée par des décennies de passivité et de naïveté, il est urgent d’agir. La France, puissance militaire majeure et moteur historique de l’Europe, doit prendre ses responsabilités et imposer un changement radical : une économie de guerre européenne, seule à même de restaurer notre souveraineté, notre sécurité, et notre prospérité économique.
Le déclin dangereux de la puissance militaire européenne
Le monde se réarme et l’Europe regarde ailleurs. En 2000, les pays du monde entier dépensent 1 400 milliards de dollars pour leurs armées, contre 2 460 en 2024. Sur la période, le budget alloué à la défense a été multiplié par 6 en Chine, par 2 en Turquie, et les Américains ont maintenu des dépenses élevées. Pendant ce temps, l’Europe a réduit ses dépenses militaires pour profiter des dividendes de la paix, bercés par l’illusion que la protection américaine serait éternelle. Les budgets défense, hors Pologne, Grèce, Lettonie et Estonie, atteignent péniblement 2% du PIB pour chaque État-membre. L’absence de l’Europe dans la course mondiale au réarmement met directement en péril sa souveraineté et sa sécurité.
Les Européens ont piétiné leur souveraineté militaire se rendant dépendant des technologies américaines. Ce choix a été fait par facilité pour avoir des systèmes immédiatement interopérables car conformes aux standards de l’OTAN. Mais aussi pour plaire aux Américains et s’attirer leurs bonnes faveurs en privilégiant l’achat d’équipements américains, comme l’avion de chasse F-35 de Lockheed Martin, plutôt que des solutions européennes telles que le Rafale de Dassault ou l’Eurofighter Typhoon, l’Europe a affaibli son industrie de défense. Résultat : fermetures d’usines, pertes d’emplois qualifiés et une dépendance technologique critique. L’Europe a sacrifié son autonomie stratégique par commodité, laissant sa défense dépendre de choix politiques externes, donnant paradoxalement tort à Donald Trump : l’Europe, qui brade aux Américains son industrie de défense, paye très cher le prix de sa sécurité tout en perdant sa liberté.
Pourquoi l’Europe a besoin d’une « économie de guerre »
L’Histoire démontre que la puissance militaire est un important facteur de stabilité au service de la diplomatie. Plaider pour une économie de guerre européenne ne signifie pas vouloir la guerre, mais adopter une approche réaliste pour garantir la paix. Ceci permettrait à l’Europe de mieux soutenir l’Ukraine. Quel que soit le deal que signeront Donald Trump et Vladimir Poutine, l’Europe pourrait ainsi prendre le relai en cas de départ des Américains. Car les efforts européens ont été freinés par des stocks insuffisants de munitions et une production lente, obligeant Kiev à dépendre fortement de l’aide américaine. Dans l’hypothèse d’undeal imposé à l’Ukraine dont la sécurité dépendrait ensuite de l’Europe, basculer en économie de guerre serait la seule option crédible pour éviter que Vladimir Poutine ne viole cet accord comme il a pu le faire avec ceux de Minsk le 24 février 2022.
Au-delà des avantages géopolitiques, adopter une économie de guerre relancerait une économie européenne en stagnation. Rappelons que la zone euro est le ventre mou de l’économie mondiale avec 0,9% de croissance en 2024, contre 2,8% pour les Etats-Unis, 4,1% pour la Russie et 5% pour la Chine. Investir dans l’industrie de défense permettra de participer à la réindustrialisation de l’Europe dont la production manufacturière ne contribue plus qu’à 23,3% de son PIB, contre 30,5% dans le monde. Si réindustrialiser est un processus long et coûteux, il apporte une très forte valeur ajoutée car notre base industrielle et technologique de défense (BITD) est une industrie de pointe. Nous maîtrisons certains domaines militaires comme la production de canons CAESAr avec les munitions associées, mais devons faire plus dans les domaines à plus haute valeur ajoutée, comme l’intelligence artificielle, les satellites, les missiles ou les drones dont l’utilisation duale civile-militaire est un atout décisif pour l’export et dont les retombées seront excellentes pour l’économie civile française.
La France doit inspirer les pays européens
Malgré ses défauts, la France est sans doute le moins mauvais des élèves du village européen. Dotée de la force militaire la plus opérationnelle du continent, d’une capacité nucléaire autonome et d’une industrie de défense solide portée par des entreprises de renommée, la France dispose d’atouts certains. Elle est un des très rares pays qui dispose d’une armée capable « d’entrer en premier » dans un conflit, à la différence des Britanniques qui ont perdu des compétences clés, persuadés qu’ils ne feraient plus jamais la guerre seuls.
Cependant, être le « meilleur élève » d’une classe médiocre ne suffit pas. La France doit s’imposer en leader en agissant concrètement pour corriger ses défauts et montrer la voie. L’économie de guerre répond à cet impératif. Pour relancer l’industrie de défense en Europe et opérer un passage en économie de guerre, il est nécessaire d’investir à minima 4% du PIB pour la défense pour commander un maximum du matériel français et recruter des militaires. Comme elle a inventé le modèle colbertiste manufacturier au XVIIème siècle, la France doit inventer un nouveau modèle économique : celui d’une forme d’économie de guerre. Il est nécessaire d’agir sur trois leviers pour cela : le travail, en se dédiant tout entier à l’effort de guerre (1) ; les normes, en les allégeant pour permettre la production et l’innovation (2) ; et la fiscalité, afin d’encourager et de faciliter l’investissement (3). Enfin, l’Union européenne doit soutenir activement cette évolution et appuyer la France, avec un « Buy European Act » incitant les pays européens à privilégier nos fournisseurs.
Le XXIème siècle sera marqué par un monde en tension permanente. Les États qui se distingueront seront ceux capables de basculer le plus rapidement en économie de guerre. La France a les atouts pour en faire partie, à condition de tourner la page de l’immobilisme anti-industrie.
Pierre Clairé, directeur adjoint des Etudes du Millénaire, spécialiste des questions internationales et européennes, co-auteur du rapport « Pour une économie de guerre à la française »
Denis Bouvier, analyste au Millénaire, expert des questions de défense, co-auteur du rapport « Pour une économie de guerre à la française »Pour soutenir nos analyses ou nous rejoindre pour rendre sa grandeur à la France
Crédit Photo : French soldiers, assigned to Task Force Wagram, fire French Caesars in support of Operation Roundup, in Al Quim, Iraq, May 16, 2018, de Defense Visual Information Distribution Service, via Picryl, sous Licence Creative Commons PDM 1.0.
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