Passer le Kärcher dans les ghettos, transformer les paroles en actes
Il y a 20 ans, jour pour jour, Nicolas Sarkozy promettait de « nettoyer au Kärcher » la cité des 4 000 à La Courneuve. Cette formule a marqué un tournant dans la parole publique sur la question des territoires perdus de la République pour reprendre l’expression d’Alain Bensoussan. Seulement, 20 ans plus tard, rien n’a changé. Ou plutôt, tout a empiré. Les ghettos se sont durcis, les réseaux criminels se sont consolidés, les violences se sont banalisées. Et pourtant, le Kärcher n’a jamais été sorti du garage.
Du Kärcher à la pommade : 20 ans de renoncement
Le terme « Kärcher » est devenu le symbole de l’impuissance publique alors qu’il proclamait paradoxalement l’inverse. Répété sans cesse et sans suite, même par des figures de droite comme Valérie Pécresse, il ne fait plus peur à personne. Pas même à ceux qu’il visait. En effet, tous les indicateurs d’insécurité et de criminalité sont dans le rouge. Un exemple : le taux d’agressions graves par année pour 100 000 habitants, meilleur indicateur que le taux d’homicides pour 100 000 habitants car plus représentatif de la violence, a augmenté de 160%, passant de 241 actes de violences pour 100 000 habitants en 2005, à 628 pour 100 000 habitants en 2023. Le « Kärcher » est devenu une métaphore inopérante, révélatrice de l’impuissance d’un pouvoir politique incapable d’assumer ce qu’il proclame.
Et pour cause, en lieu et place du Kärcher, on a versé de la pommade. Celle-ci repose sur deux logiques aussi néfastes l’une que l’autre qui ont dominé l’action publique. D’une part, la logique de l’apaisement, qui recule devant chaque flambée de violence pour « ne pas faire de vague », et qui excuse systématiquement le délinquant par la précarité, le racisme, la victimisation et les supposées violences policières. D’autre part, il s’agit d’une logique d’infantilisation politique, selon laquelle les fauteurs de troubles ne sont jamais responsables mais toujours « discriminés », « stéréotypés » et maintenant « racisés ». En d’autres termes : le Kärcher est resté une menace rhétorique. La pommade est devenue une stratégie.
Une combinaison de verrous qui empêche toute reconquête
Cinq verrous majeurs ont neutralisé l’action de l’État et désarmé la République.
Le droit pénal (verrou n°1), dans sa philosophie actuelle, est inadapté aux évolutions des quartiers. Centré sur l’individualisation des peines et la réinsertion, il est incapable de répondre à la violence de masse, à la délinquance de bande ou à la criminalité organisée. Il en résulte un décrochage entre la norme juridique et l’attente sociale de sécurité et de justice qui se symbolise par un écart de plus en plus important constaté entre la peine encourue, la peine prononcée par le juge et enfin la peine réellement effectuée par le délinquant.
Les trois autres verrous ont créé une situation d’impuissance spécifique aux quartiers. Le narcotrafic (verrou n°2) a corrompu le tissu local. Dans de nombreuses cités, le trafic de stupéfiants constitue une économie parallèle, estimée entre 3 à 6 milliards d’euros annuels selon l’OFDT. Ce système, générant des violences endémiques constitue une forme d’intégration locale, là où l’école, l’entreprise ou la puissance publique ont échoué. De surcroît, la décentralisation (verrou n°3), mal structurée, a complexifié l’action publique jusqu’à l’inertie tout en donnant des pouvoirs à des élus locaux parfois tentés d’acheter la paix sociale. Or, au-delà de la rénovation urbaine ou des millions déversés sur le social, la politique de la ville est un immense guichet aux associations (verrou n°4). Résultat, personne n’a intérêt à passer le Kärcher : ni les narcotrafiquants, ni certains élus, ni certaines associations.
Enfin et non des moindres, la pression médiatique (verrou n°5) et la peur politique paralysent l’action publique. Toute parole ferme est taxée de « stigmatisante », toute décision répressive dénoncée comme « discriminatoire ». Cette situation explique pourquoi lorsque le Président Macron doit affronter les Gilets Jaunes, il parle de « Gaulois réfractaires », mais qu’il appelle immédiatement à l’apaisement face aux émeutes urbaines de l’été 2023.
Comment passer (enfin) le Kärcher ?
Face à la gravité de la situation, il est urgent de sortir du symbolique pour passer à l’action. Le Kärcher ne doit plus être un mot, mais une méthode. Cette méthode repose sur trois piliers fondamentaux visant à libérer l’action publique des verrous qui la paralysent.
Premièrement, il faut mettre en place une série de mesures permettant de dessiner les contours d’un régime juridique républicain d’exception compte tenu de la situation. Ainsi, il faut supprimer l’article 723-15 du Code de procédure pénale, qui impose ces aménagements pour les peines inférieures à un an, et instaurer des peines planchers obligatoires avec un minimum de 3 ans de prison pour les violences contre les forces de l’ordre, les trafics de stupéfiants ou les émeutes. Dans les zones à reconquérir, aucune remise de peine ne devrait être possible pour des délits commis en bande. Toute récidive dans les cinq ans devrait automatiquement entraîner un doublement de la peine minimale. À ces mesures s’ajoute l’urgence de moderniser l’appareil judiciaire : élargissement des comparutions immédiates aux mineurs, réduction des délais à moins de 72 heures pour les faits graves commis en contexte de troubles collectifs, et création d’un statut pénal spécifique pour les territoires les plus sensibles. Et pour restaurer la confiance, un rapport annuel sur l’application effective des peines devra être présenté et débattu au Parlement, afin que les Français sachent si la justice passe réellement.
Deuxièmement, l’échec patent de la politique de la ville impose un changement de doctrine immédiat : fini la distribution de subventions sans évaluation ni contrôle pour acheter la paix sociale ! Il faut donc geler toutes les subventions associatives dont l’efficacité n’est pas démontrée, mettre fin au saupoudrage clientéliste de fonds publics, et interdire strictement le financement d’associations à risque, notamment celles qui entretiennent des logiques communautaristes ou se montrent ambigües sur les principes de la République. Cela passe par une renationalisation de la politique de la ville.
Enfin, il faut offrir un nouvel horizon à la reconquête. Elle ne sera possible que si les citoyens ont confiance dans l’action publique. C’est pourquoi, il faut déclarer une véritable « War on drugs » à la française, avec un plan d’action national pour démanteler les réseaux et prévenir toute forme d’infiltration dans les institutions. Surtout, il faut protéger ceux qui font organiseront concrètement la reconquête, à savoir les policiers, les préfets, les professeurs, les magistrats et les maires. Trop souvent isolés, exposés à la pression médiatique ou à la peur des représailles, ils doivent savoir que l’État est de leur côté, sans ambiguïté, par l’octroi d’un statut de protection renforcée.
La reconquête ne pourra se faire sans prendre des risques. La France ne manque ni de lois, ni d’argent, ni d’hommes. Elle manque de courage. « Passer enfin le Kärcher » comporte des risques et des coûts mais produira des bénéfices bien plus grands : le retour de la paix civile pour tous et la réconciliation de toutes les Frances car aujourd’hui une France révoltée, celle des Gilets Jaunes, n’a le droit à rien en comparaison des quartiers à qui l’on donne tout.
Maxime Kindroz, Analyste au Millénaire, co-auteur de la note « Comment passer le Kärcher ? »
Matthieu Hocque, Directeur adjoint des Etudes du Millénaire, spécialiste en politiques publiques, co-auteur de la note « Comment passer le Kärcher ?
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Crédit photo : Nicolas Sarkozy under et valgmøte i 2007., de Guillaume Paumier, sous licence CC BY SA 3.0
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