Depuis plusieurs années, la France doit affronter des pénuries récurrentes de médicaments (paracétamol, anti-infectieux, anticancéreux, médicaments du système nerveux, etc.). Il aura fallu attendre une crise sanitaire et une triple épidémie lors de l’hiver 2023 (Covid-19, grippe et bronchiolite) pour révéler les pertes de souveraineté dans le secteur stratégique des médicaments.
Seulement, il ne suffit pas décréter une relocalisation de la production des médicaments pour qu’elle s’opère efficacement. Devenue dépendante de l’Asie et bridée par un modèle de financement qui ne permet pas l’innovation, la France doit changer de modèle pour gagner la guerre des médicaments.
Une révolution médicamenteuse au XXIème siècle
Les médicaments sont indissociables des progrès de la médecine du XXIème siècle. Ils sont tout autant à l’origine de l’augmentation de l’espérance de vie dans le monde occidental que ne le sont d’autres progrès médicaux tels que les greffes d’organes ou encore la microchirurgie réparatrice. En 40 ans, les Français ont gagné plus de 10 ans d’espérance de vie à la naissance. Ainsi, les Français ont pu s’habituer à prendre des comprimés durant toute leur vie pour soigner les maladies bénignes comme accompagner le traitement des maladies lourdes.
Maîtriser la révolution médicamenteuse du XXIème siècle donne aux Etats et aux acteurs privés un avantage comparatif dans la course aux progrès de la santé. La prise en charge médicamenteuse des patients a été transformée par l’accélération des progrès scientifiques en génétique ou encore en chimie. La connaissance des mécanismes intimes à l’origine du développement des pathologies et de leur expression clinique a favorisé la médecine personnalisée et les médicaments biologiques. Ces progrès nourrissent l’appétit des superpuissances et des acteurs privés qui cherchent à développer le futur médicament révolutionnaire, à l’heure où une Big Pharma américaine commercialise un médicament (le Zolgensma) à près de 2 millions d’euros la dose par l’acquisition d’une start-up exploitant les brevets développés par la recherche française.
Le modèle français ne permet pas de relocaliser
La France est en marge de la révolution médicamenteuse du XXIème siècle. Les médicaments nécessitent une recherche scientifique toujours plus spécialisée et coûteuse. Cette tendance s’est accélérée avec les industries pharmaceutiques qui concentrent leurs laboratoires et sous-traitent leur R&D en spéculant sur des start-up à fort potentiel. En miroir, la France dispose d’un modèle de financement obsolète pour deux raisons. D’une part, le système de fixation et de négociation de « prix-volume » par le Comité Economique des Produits de Santé (CEPS) impose aux laboratoires de reverser une partie de leurs gains annuels si les objectifs de limitation des dépenses ne sont pas atteints. D’autre part, l’ONDAM contraint les professionnels de santé à ne pas utiliser de médicaments innovants afin de contrôler les prix et de maintenir aux Français le prix des médicaments le plus bas d’Europe.
Sans relocalisation de la production, la France ne disposera plus de médicaments, innovants ou non. Certains laboratoires décident déjà de ne pas commercialiser un médicament innovant en France en raison de notre régulation. Seulement, la France ne peut pas compenser ce manque par une production intérieure en raison de sa désindustrialisation. Notre tissu industriel pharmaceutique comptait près de 110 000 emplois en 2008 contre 99 000 aujourd’hui. De plus, les choix de l’Union européenne nous ont également fragilisé à cause de la libre sous-traitance. Des étapes du cycle de production d’un médicament comme le conditionnement ont été délocalisées. Désormais, 40% des médicaments commercialisés en Europe ont une étape de production dans un pays tiers, principalement en Chine et en Inde.
Pour gagner la guerre des médicaments, il faut relocaliser la production
Il ne suffit pas décréter une relocalisation des médicaments pour qu’elle s’opère efficacement. Pour gagner la guerre des médicaments, la France doit bâtir un modèle souverain reposant sur un financement pérenne. A ce titre, le législateur a voté en décembre dernier un nouveau mécanisme de financement dérogatoire pour les MTI autour de quatre principes pertinents : un partage de risque entre le payeur et le fournisseur, un paiement à la performance du médicament « en vraie vie », une prise en compte de l’efficacité réelle du traitement et enfin un cadre sécurisant pour les laboratoires. Il serait judicieux d’étendre ce mécanisme à tous les médicaments. Cela sécuriserait les investissements des industries pharmaceutiques tout en rendant attractif le marché français pour le reste du monde. L’Etat s’y retrouverait car paierait un médicament en fonction de ses performances ce qui éviterait des achats inutiles.
Pour relocaliser leur production, la France doit bâtir une stratégie industrielle reposant sur trois leviers. Tout d’abord, l’Etat doit encourager l’investissement dans les voies de recherche les plus prometteuses en massifiant les « priorités nationales de recherche » dont le traitement des demandes de labellisation serait accéléré. Ensuite, l’Etat doit bâtir un cadre qui encourage le progrès en s’alignant sur la fiscalité de nos concurrents. Enfin, la France doit conserver nos brillants chercheurs français et attirer ceux du monde entier. Revaloriser leur niveau de vie et leurs conditions de travail donnera une chance à notre pays d’héberger le Louis Pasteur du XXIème siècle, qu’il soit français ou étranger.
Les Etats-Unis se sont déjà lancés dans la bataille des médicaments en soutenant leur industrie pharmaceutique grâce à la Loi Inflation Reduction Act (IRA). La France doit aussi se lancer dans la bataille. Les Etats qui investissent massivement dessus auront un avantage géopolitique certain : se prémunir des ruptures d’approvisionnement et se préparer à affronter les prochaines crises sanitaires.
Par Bertrand POURROY, Analyste du Millénaire et Matthieu Hocque, SGA du Millénaire
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Crédit Photo : Médicaments, par Myriam Zilles via Unsplash sous Licence Unsplash
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