La Tunisie peut-elle s’effondrer ? Ce qui est certain, c’est que Josep Borell, haut représentantaux Affaires étrangères et vice-président de la Commission européenne, n’écarte absolumentpas l’hypothèse. En effet, il apparaît que les baromètres économique, social, international etpolitique sont à l’orage, présageant un possible raz-de-marée migratoire en Europe, et plusparticulièrement en Italie.
Un pays proche de la faillite
Troisième pays le plus touristique d’Afrique (derrière l’Égypte et le Maroc), la Tunisie a souventdes airs de modernité : pays stable depuis la révolution de Jasmin de 2011, il affichait jusqu’à2018 un taux de croissance tout à fait respectable, entre 2,5 et 4,2% du PIB.
Cependant voilà : depuis trois ans et l’accession de Kaïs Saïed au pouvoir, la situation s’estdétériorée. La crise du Covid et l’inflation galopante (10,4% en moyenne, 15% sur l’alimentaire)ont entraîné une baisse du PIB : -0,6% sur trois ans. Des temps difficiles, mais éloignés de lafaillite a priori. Le problème, c’est que l’État, qui subventionne massivement les citoyensdurement touchés par la crise, fait face à un déficit public d’environ 7% et une dette extérieurede 93% du PIB. Alors que le salaire moyen ne s’élève qu’à 274 euros par mois et que la plupart des fonctionnaires, qui représentent 25% des travailleurs, n’ont pas touché de paie au cours de l’année passée, une menace plane sur ce pays en voie de développements. De même, le paysfait les frais de sa politique rentière basée sur la trinité tourisme-services financiers-grandedistribution. Incapables de se renouveler, ces secteurs sont devenus de moins en moinscompétitifs. De même, alors que la population tunisienne est celle d’un pays émergent encroissance, la stagnation du PIB se répercute sur « les transports publics et lesinfrastructures » qui « ne sont pas entretenus et sont dégradés » selon une note du think-tankLe Millénaire. La croissance des dernières années n’était finalement qu’un « trompe-l’oeil basésur la rente » selon Matthieu Hocque, qui y collabore.
Autant de signaux rouges, qui pourraient être partiellement comblés par une aideinternationale qui ne vient pas. Pourquoi ? À cause de l’immigration subsaharienne.
Du Grand Remplacement au Grand Appauvrissement
Les propos du président tunisien Kaïs Saïed, qui a accusé en février 2023 les migrants noirsde vouloir « modifier la composition ethnique du pays » et d’être coupables de « violences etde crimes », n’étaient passés inaperçus ni en Tunisie, ni dans le monde. Ayant évoqué lamenace du Grand Remplacement qui planerait sur son pays, il s’est ainsi mis à dos toute lacommunauté internationale. « Un prêt du FMI de 1.9 milliard de dollars devait être accordé aupays pour l’aider à faire face à la crise économique et les problèmes dus au Covid ce quiaurait permis de payer les fonctionnaires. Mais devant l’instabilité et les problèmes d’état dedroit, ce prêt fut gelé. » nous indique Pierre Clairé, du Millénaire.
Mais le chef de l’État a refusé de reculer, engageant un processus de rémigration expresse, etd’arrestation de tous les clandestins subsahariens, attisant la colère des pays européens parcette occasion. Il n’en fallait pas plus à Kaïs Saïed pour évoquer un « complot » contrel’identité « arabo-musulmane » du pays, visant à « l’africaniser ». S’il s’est ainsi attiré lasympathie d’Eric Zemmour, il se pourrait bien qu’en le félicitant, ce dernier ait misé sur lemauvais cheval. En effet, face aux menaces extérieures et intérieures, le pouvoir tunisien abasculé dans une forme d’autoritarisme.
La conséquence immédiate de son isolement ? L’intensification des relations avec les paysautocratiques comme la Syrie, la Russie et la Chine. Récemment, le pays a d’ailleurs demandéà rejoindre les institutions des BRICS, système géopolitique concurrent de l’Occident.Pourtant, c’est bien contre l’islamisme que Saïed souhaite lutter.
Une tenaille entre autoritarisme et islamisme
Depuis la Révolution de Jasmin et la chute de Ben Ali, la structure politique du pays apassablement changé. En effet, à partir de 2011, un courant islamiste frappe le paysbrutalement, même chez une partie des élites. Le projet d’une république islamique étant loind’être tabou dans la « perle du Maghreb », « le parti islamiste Ennadha a émergé en tirant profitdes problèmes internes et externes de la Tunisie » nous explique Le Millénaire. Ici, le think-tank n’hésite pas à affirmer que la situation tunisienne « confirme la thèse de Huntington (le Clash des Civilisations) », démontrant ainsi que « le modèle occidental n’attire plus ».
Depuis deux ans, Kaïs Saïed a, grâce à une loi d’exception, les pleins pouvoirs grâce à un coupde force constitutionnel afin de répondre à la menace de l’islamisme politique. Mais lesexemples de démocratie à bout de souffle ne s’arrêtent pas là : les dernières électionslégislatives, vidées de leur sens, n’ont ramené que 11% des votants dans les urnes. Si leprésident est parvenu à conjurer la menace islamiste, ce fut au prix de l’autoritarisme.
Alors, face aux pressions, le président a commencé à emprisonner ses opposants. Le 17 avril,c’est le président du parti islamiste du pays, Rached Ghannouchi, qui a été arrêté. Ce dernier anotamment été incarcéré pour ses propos sur la « guerre civile » qui menaçait le pays. Sonparti, le premier du pays, a d’ailleurs été fermé. La crise démocratique est à son paroxysme. Le désespoir du peuple est massif : dans son immense majorité, il considère que la situationdu pays empire.
Une impasse politique menant à l’émigration
La conséquence directe de ces fléaux est l’explosion des flux d’immigration vers Europe.Depuis le début de l’année, ce sont 14 000 migrants qui ont débarqué sur les côtes italiennes,contre un peu plus de 5 300 sur la même période l’année dernière. Il est d’ailleurs à présagerque ces chiffres très à la hausse poursuivront leur tendance, et ce, malgré le durcissement dela politique migratoire italienne.
En effet, le chômage touche actuellement « 15% de la population et 37% des jeunesTunisiens » comme le relève Matthieu Hocque, du Millénaire. De même, un quart des actifs dupays n’ont pas été payés à cause de la crise du fait de leur statut de fonctionnaires. La Tunisie
subit depuis longtemps une fuite des cerveaux qui pousse les plus diplômés à aller chercherun avenir en Europe.
Il faut enfin ajouter aux phénomènes sociaux et politiques une dimension sécuritaire. Voisin de l’Algérie et de la Libye, pays devenus des « plaques tournantes du terrorisme », la Tunisie craint toujours le retour d’attentats islamistes de grande envergure, comme ceux qui avaient eu lieu en 2015. Face à une absence d’issue politique, économique et sécuritaire, la harga ,migration clandestine, devient une option de plus en plus envisageable.
Par Valeurs Actuelles
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