« Il y a des OQTF que personne ne peut exécuter » reconnaissait fin mai Eric Dupont-Moretti, le ministre de la Justice, dans un documentaire sur la récupération politique du meurtre de Lola. L’affirmation dévoile l’impuissance du gouvernement face à ce phénomène ; elle a néanmoins le mérite d’être honnête. Il faut dire qu’il est compliqué de nier ce que les chiffres prouvent. Entre 2011 et 2019, le nombre de ces obligations de quitter le territoire français a été multiplié par deux (de 60 000 à plus de 122 000), tandis que le taux d’exécution de ces mesures s’effondrait. Entre 2011 et 2021, il n’atteint pas les 15 % et approche désormais les 5 %. Une situation que déplore le think-tank gaulliste Le Millénaire : « La France est la 6ème puissance économique mondiale et doit être capable de mobiliser un arsenal de mesures administratives, économiques et diplomatiques pour reprendre le contrôle et éviter la tiers-mondisation de notre civilisation », explique Virgile Tertian, co-auteur d’une note intitulée Comment assurer l’exécution des OQTF pour reprendre le contrôle de nos frontières.
S’il est compliqué de faire appliquer une OQTF alors même qu’elle a été prononcée, c’est d’abord en raison du mille-feuille de règles qui entoure cette « mesure administrative au régime juridique trop complexe », selon le think-tank. Pour rappel, il existe deux catégories d’OQTF. La première concerne majoritairement les entrées irrégulières en France, les titres de séjour refusés ou non renouvelés ainsi que les demandes d’asile rejetées. Dans ce cas, les ressortissants étrangers disposent de 30 jours pour quitter le territoire. La seconde, sans délai, s’applique en cas de menace pour l’ordre public, fraude au titre de séjour ou bien risque de fuite. C’était le cas à l’été 2022 de l’imam Iquioussen. Qu’il s’agisse de l’une ou de l’autre catégorie, il existe neuf exceptions à l’applicabilité d’une OQTF. Parmi elles, le fait d’être mineur, être marié avec un Français depuis plus de 3 ans ou encore nécessiter des soins que le pays de renvoi ne serait pas capable de prodiguer.
Ces exceptions font partie des verrous qui bloquent l’exécution des OQTF, système qualifié de « kafkaïen » par Le Millénaire, au vu des nombreuses complications qui s’y ajoutent. Autre exemple : lorsque la personne frappée par une OQTF effectue un recours — toujours suspensif — les juges ont trois mois pour se prononcer. Un délai qui augmente d’autant les risques de vices de forme. 15 à 20 % des OQTF seraient annulées pour cette raison. Les centres de rétention administrative, qui ont pour objectif d’enfermer un étranger ayant fait l’objet d’une mesure d’éloignement, pourraient être un bon moyen d’empêcher la fuite de l’individu dans l’attente de son renvoi. Mais là encore, le manque de places dans ce type de centres ne les rend pas suffisamment efficaces. D’autant plus lorsque l’on connaît le coût de ces structures. Selon les chiffres de la Cour des comptes, bien que 40 % des personnes retenues ont effectivement été éloignées en 2018, les frais moyens de leur rétention s’élevaient à 6 234 euros.
Lorsqu’ils ne sont pas administratifs, les verrous sont diplomatiques. Le principal réside dans l’obtention d’un laisser-passer consulaire qui consiste à obtenir l’accord de l’État étranger pour reprendre ses ressortissants. Une coopération souvent laborieuse puisque la France est dépendante du bon vouloir des États qui. Sans oublier l’existence d’accords bilatéraux avec les pays du Maghreb et d’Afrique subsaharienne, ils facilitent l’entrée des ressortissants de ces pays sur le sol français. C’est le cas de l’accord franco-algérien de 1968, très décrié aujourd’hui — Édouard Philippe appelait la semaine dernière, dans les colonnes de L’Express, à le remettre en cause —, qui octroie aux Algériens des conditions d’entrée sur le sol français très favorables.
« Les OQTF, c’est le symbole par excellence de la dépossession des moyens d’actions pour les politiques », constate Le Millénaire. De fait, la promesse d’Emmanuel Macron, qui s’engageait en 2019 dans les colonnes de Valeurs actuelles à faire appliquer 100 % de ces obligations avant la fin de son mandat, relève plus que jamais du vœu pieu.
Le think tank voit pourtant des solutions à l’incapacité des pouvoirs publics. Dans sa note, il présente une vingtaine de mesures qui permettrait aux autorités de reprendre la main sur cette question. Au programme : considérer à nouveau le séjour irrégulier comme un délit (ce qui permettrait aux policiers d’interpeller les individus en situation irrégulière), expulser de façon systématique les déboutés d’un titre de séjour, supprimer les subventions publiques aux associations pro-migrants, placer en rétention administrative de tout clandestin en situation irrégulière ou encore instaurer un rapport de force diplomatique afin que les pays d’origines reprennent leurs ressortissants expulsés.
Reste que ces propositions, pour le moins ambitieuses, nécessitent une volonté politique sans faille. Laquelle fait, aujourd’hui, trop souvent défaut : à Mayotte, l’expulsion des ressortissants comoriens a été entravée pendant plusieurs jours fin avril, le gouvernement de l’archipel refusant d’accueillir les navires français. Difficile, dans ces conditions, d’imaginer faire plier l’Algérie…
Par Valeurs actuelles
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