Entretien William Thay pour Atlantico « Retraites: ceux qui ont gagné et ceux qui ont (beaucoup) perdu

La journée de mobilisation du 6 juin, une des plus faibles depuis le début du mouvement, 900 000 manifestants en France selon la CGT, 281 000 selon le ministère de l’Intérieur.

Atlantico : La journée de mobilisation du 6 juin, une des plus faibles depuis le début du mouvement, 900 000 manifestants en France selon la CGT, 281 000 selon le ministère de l’Intérieur. Quel bilan tirer de ce qui pourrait être la dernière journée de manifestation (d’après les mots de Laurent Berger) ?

William Thay : On observe un essoufflement de la mobilisation contre la réforme des retraites. Cet essoufflement apparait aussi bien sur cette dernière journée de mobilisation puisqu’il s’agit de la journée qui a réuni le moins de personnes que l’on prenne les chiffres du ministère de l’Intérieur ou de la CGT depuis le début des manifestations en janvier. Cela se remarque également sur les sondages d’opinion portant sur le soutien des Français à la mobilisation (58% des Français soutiennent la mobilisation selon Elabe soit -5 points depuis le 17 avril 2023), le souhait de poursuite de la mobilisation (55% selon Harris Interactive soit -5 points depuis le 14 avril 2023). Dans la même idée, les sondages mesurant le taux de popularité ou de soutien à l’action du duo exécutif montre un regain en faveur du président de la République et de la Première ministre.On remarque ainsi une baisse des différentes mobilisations depuis l’adoption de la réforme des retraites au Parlement, qui démontre un certain fatalisme des manifestants à pouvoir s’opposer davantage au projet gouvernemental. Ainsi, 82% des Français selon Harris Interactive, estiment que la réforme des retraites rentrera en vigueur. De même, 76% des opposants à la réforme sont du même avis. Or, la mobilisation dure depuis le mois de janvier, dans un contexte économique et social difficile marqué par une forte inflation. Est-ce que les grévistes peuvent se permettre de continuer à faire grève en se privant de pouvoirs d’achats alors que de moins en moins de Français et d’opposants pensent que le Gouvernement peut retirer son projet ?

En conséquence, le Gouvernement ne paie pas ses tentatives d’éviter un débat parlementaire autour de la proposition d’abrogation de la réforme des retraites par le groupe LIOT. À la différence des journées qui ont suivi l’adoption de la réforme par le biais du 49.3, ce qui aurait pu être assimilé comme un déni de démocratie par les opposants à la réforme, n’a pas provoqué une hausse de la mobilisation ni une radicalisation du mouvement. Cela pourrait signifier une lassitude des Français et des manifestants, permettant au Gouvernement d’emporter une victoire à la Pyrrhus. De l’autre côté, les syndicats sont face à un dilemme : maintenir une mobilisation contre la réforme des retraites comme le souhaite leur base radicalisée ou alors changer de méthode pour conserver l’unité de l’intersyndicale et ne pas créer une fracture entre les syndicats ?

Les différents syndicats et les partis s’opposant à la réforme des retraites ressortent-ils individuellement gagnants ou perdants de cette séquence? Qu’ont-ils gagné et perdu ? A l’heure de rendre les copies, qu’en est-il pour : les syndicats (notamment CGT CFDT), la NUPES, et en son sein : LFI, le PS, EELV et le PC, et le RN ?

William Thay : Les syndicats sont les gagnants de cette séquence politique. Ils ont redoré une image ternie, ce qui a démontré dans toutes les enquêtes d’opinion aussi bien dans leur capacité à s’unir malgré des divergences. En effet, les syndicats étaient solidaires et concurrents, dans la mesure où chacun pouvait jouer sa partition mais si l’un le faisait trop alors c’était l’image de tous les syndicats qui allaient en pâtir. À ce titre, deux syndicats ont particulièrement renforcé leur image, la CGT renforce sa position de syndicat contestataire et la CFDT celle de syndicat réformiste. Cependant, nous pouvons poser une limite puisque si les syndicats ont pu démontrer leur utilité comme opposant à un projet gouvernemental, ils n’apparaissent pas pour autant des acteurs crédibles du dialogue social.

Sur le plan politique, la NUPES apparait comme perdante et le RN gagnant. Le Rassemblement national s’est renforcé politiquement à l’issue de cette séquence. Marine Le Pen a amélioré son image et ses intentions de votes dans l’ensemble des enquêtes d’opinion. Cela s’explique par le double échec de la NUPES et du Gouvernement. La première n’a pas été en capacité de répondre à l’angoisse économique et sociale de la fin du mois de la part des catégories populaires et intermédiaires touchées par l’inflation. Ainsi, par le spectacle affligeant démontré à l’Assemblée nationale, la NUPES s’est montrée incapable de porter les revendications économiques et sociales notamment sur les inquiétudes sous-jacentes portées par le relèvement de l’âge de départ à la retraite (quid du maintien dans l’emploi et de la formation professionnelle, du chômage des seniors, des petites retraites, etc.). De son côté, le Gouvernement a été incapable de conserver sa fonction de parti de l’ordre, acquis au moment du mouvement des Gilets jaunes. Ainsi, la majorité présidentielle n’a pas su maitriser les débats à l’Assemblée nationale et le Gouvernement n’a pas répondu à la demande d’ordre engendrée par les journées de mobilisation et ses (rares) excès. Ainsi, le Rassemblement national et notamment Marine le Pen, capitalisent sur la double demande sociale et d’ordre.

De son côté, comment s’en sort la macronie ? Renaissance et les différentes composantes d’Ensemble (Modem, Agir, Horizon) sortent-ils affaiblis ou renforcés ? Dans quelle mesure ?

William Thay : La majorité présidentielle remporte une victoire à la Pyrrhus aussi bien sur le plan politique que sur celui de la gouvernance. Sur les politiques publiques, la réforme des retraites a permis d’économiser plusieurs milliards d’euros pour tenter de maintenir à flot notre régime de répartition. Seulement, à la différence de la réforme systémique proposée par Emmanuel Macron en 2020, cette réforme ne corrige pas les inégalités de fait induites par ce système de répartition, ne permets pas d’en assurer sa pérennité financière à très long terme en y ajoutant pas des spécificités comme une dose de capitalisation ou la création d’un fonds souverain. De plus, la notation de la dette française a été dégradée par l’agence Fitch qui relève une instabilité politique et sociale. Ainsi, l’argent, économisé par la réforme des retraites, pourrait servir à payer la hausse des taux d’intérêt à venir. Le Gouvernement voulait réformer les retraites pour conserver leur image réformatrice capable d’être crédible vis-à-vis des marchés financiers, et si la réforme des retraites y a répondu partiellement, le cout est très important.

Sur le plan politique, il est encore un peu tôt pour donner un verdict définitif sur la macronie dans son ensemble. On observe que le duo exécutif a perdu du soutien dans l’opinion comme le révèle l’ensemble des instituts de sondages avec un Emmanuel Macron proche de son niveau d’impopularité du temps des Gilets jaunes. De même, les intentions de vote en faveur de la majorité présidentielle sont en chute que ce soit dans les enquêtes portant sur la prochaine élection présidentielle ou sur des élections législatives anticipées en cas de dissolution. Sur cette hypothèse, la coalition Renaissance, Horizons et Modem obtiendrait moins de sièges qu’ils n’en n’ont actuellement, ce qui rendrait la situation intenable politiquement. Dans l’hypothèse de la prochaine élection présidentielle, l’ensemble des personnalités testées (Bruno Le Maire, Gérald Darmanin, Gabriel Attal ou François Bayrou) n’obtiendrait que des résultats faibles, ne les permettant pas d’accéder au second tour. En revanche, Edouard Philippe dont les tensions avec Emmanuel Macron sont connues, serait le seul en capacité de l’emporter face à Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon. C’est-à-dire que c’est la personnalité de la coalition la plus éloignée à l’actuel Chef de l’État qui aurait le meilleur score, ce qui révèle l’état dans lequel se retrouve Ensemble, seulement un an après la réélection d’Emmanuel Macron.

Quid de LR dans cette séquence et pour la suite ?

William Thay : Pour les Républicains, on pouvait penser que la séquence serait négative avec leur soutien à la réforme des retraites ainsi que la division de leur rang. Pourtant, ils ne semblent pas sanctionnés dans les enquêtes d’opinion que ce soit dans l’hypothèse d’élections législatives anticipées en cas de dissolution ou lors des prochaines élections européennes. Ainsi, cela démontre que leur position a été comprise à minima par leur base électorale. En revanche, l’absence de clarté de position que ce soit d’un côté ou de l’autre, les empêche d’obtenir des gains électoraux puisqu’il ne réussisse pour l’instant qu’à se stabiliser. Un soutien unanime sur la réforme des retraites aurait pu permettre de séduire de nouveau l’électorat de droite qui s’est portée sur un Emmanuel Macron, réformateur mais incapable de maintenir l’ordre dans les rues. Une opposition unanime, les aurait ancrées dans une rivalité avec Marine Le Pen pour les électorats populaires et les catégories intermédiaires (employés, etc.).

Ce que l’on peut remarquer pour l’instant, c’est que l’opposition au président de la République bénéficie davantage à Marine Le Pen. Tandis que le soutien au Gouvernement sur la réforme des retraites n’a pas permis aux Républicains d’améliorer leur score. Pour autant, cette seconde hypothèse ne doit pas être exclue à plus long terme. En effet, les sondages portant sur la prochaine élection présidentielle, démontrent qu’excepté Edouard Philippe, aucun prétendant à la succession d’Emmanuel Macron dans la majorité présidentielle n’arrive à séduire le socle électoral du chef de l’État. Ainsi, au fur et à mesure que l’on avancera vers la fin du quinquennat, cet électorat sera orphelin et cherchera un nouveau champion pour porter ses idées. Or, les difficultés croissantes du Gouvernement qui ne dispose que d’une majorité relative, peuvent convaincre ces électeurs de tenter une nouvelle formule pour le prochain quinquennat.

Alors que devrait bientôt s’engager une nouvelle “séquence” médiatique et politique, quels sont les rapports de force ?

William Thay : La tripartition de la vie politique semble conforter par la mobilisation contre la réforme des retraites. La NUPES a maintenu son unité qui doit résister à l’épreuve des élections européennes. Elle ne réussit pas à améliorer ses intentions de vote par rapport à la dernière échéance, mais reste une force importante qui peut légitimement terminer en tête d’un premier. Au sein de cette coalition, la France insoumise maintient sa domination et le Parti Communiste de Fabien Roussel semble tirer son épingle du jeu en se distinguant de Mélenchon. En fonction des prochains événements, pourrait se poser l’éventualité de l’émergence d’une force de gauche anti-NUPES comme nous avons pu voir des brides lors des élections législatives avec des dissidents de gauche contre les candidats NUPES.Au sein du bloc central, la majorité présidentielle semble en chute libre, et on ne peut pas savoir s’ils ont la capacité de rebondir en initiant une nouvelle « séquence ». Trois hypothèses sont possibles : une baisse longue et lente du taux d’adhésion qui conduira la macronie à subir le même sort que les socialistes avec François Hollande lors du quinquennat 2012-2017 ; un maintien au niveau actuel compris entre 25 et 33% d’opinions favorables ; un rebond comme l’a déjà effectué Emmanuel Macron soit en reprenant la main soit à la faveur d’un événement extérieur comme d’une crise. Les Républicains sont pour l’instant installés dans ce bloc central, et espèrent que Emmanuel Macron termine dans l’une des deux premières hypothèses. La clarification idéologique et politique pourrait toutefois venir au moment des prochaines élections européennes et plus certainement lors de la désignation de leur champion en vue de la prochaine élection présidentielle.Enfin, le dernier bloc est dominé par le Rassemblement national qui ne voit que la faible concurrence du parti d’Eric Zemmour, Reconquête. Le parti de Marine Le Pen a ancré son positionnement et fait désormais figure de parti attrape tout qui capte les différentes colères. En revanche, il existe deux limites : leur capacité à briser le plafond de verre lors d’une élection à deux tours ; le doute sur leur compétence gouvernementale. Du côté de Reconquête, leur absence du jeu parlementaire, les oblige à jouer leur va-tout lors des élections européennes pour profiter de cette tribune pour tenter de faire flancher le Rassemblement national. En cas d’échec, il est probable que cela signe la fin du parti d’Eric Zemmour.

En conclusion, la prochaine séquence doit normalement déboucher sur une prise d’initiative de la part d’Emmanuel Macron pour enrayer la baisse et éventuellement tenter de reprendre la main. Dans cette séquence, les Républicains conservent leur rôle essentiel de pivot capable de faire et défaire les majorités parlementaires. Ils vont ainsi conforter cette position institutionnelle avec une victoire lors des prochaines élections sénatoriales. Pour autant, chaque parti va essayer d’instaurer une dynamique afin d’être dans la meilleure position en vue de la prochaine grande échéance électorale : les élections européennes 2024 qui ne doivent pas être analysés comme une prédiction de l’élection présidentielle mais comme le véritable état du rapport de force électoral actuel.

Par William Thay, politologue et président du Millénaire, think-tank gaulliste et indépendant

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Credit Photo : Manifestation contre la réforme des retraites via Wikimedia Commons sous licence CC BY 2.0

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