La France face à la fuite de ses cerveaux
La France a perdu de son attractivité pour ses jeunes talents. Au premier abord, le solde migratoire français peut sembler positif puisqu’il est passée de 56 800 en 2008 à 161 000 en 2023 selon Statista. Seulement, les Français quittent de plus en plus l’Hexagone. Notre pays connait une vague d’émigration forte, avec une augmentation des départs annuels de 160 000 à 270 000 entre 2006 et 2018. Depuis 2014, la France a atteint un point de non-retour puisque le solde migratoire annuel des personnes nées en France est proche de -160 000. Une situation dramatique car ces départs concernent principalement des jeunes actifs diplômés de l’enseignement supérieur qui préfèrent s’installer dans d’autre pays de l’Union européenne ou au Royaume-Uni. En miroir, notre pays n’attire majoritairement que des personnes faiblement qualifiées en provenance du Maghreb et de l’Afrique subsaharienne.
Certes, la France perd ses talents mais son taux d’émigration figure parmi les moins élevés de l’OCDE. Si notre pays offre des opportunités professionnelles intéressantes, la corrélation faite par Indeed entre le PIB/habitant et le taux d’attractivité illustre le décrochage français. Sans avoir réussi à s’adapter à la mondialisation et la compétition économique, la France a favorisé la fuite de ses cerveaux vers des pays plus attractifs et n’a pas permis aux entreprises tricolores de recruter des talents étrangers en masse. Par ailleurs, la France est retard dans plusieurs domaines tels que la science. La France héberge 10% des scientifiques de l’UE alors qu’elle représente 13% de sa population totale. A titre de comparaison, l’Allemagne abrite 19% des scientifiques pour 16% de la population totale.
Garder nos meilleurs talents
Nous ne faisons pas assez d’efforts face à notre perte d’influence dans le monde scientifique. Il s’agit d’un frein à la conservation de nos talents alors que la France est une civilisation technologique et le berceau de la méthode scientifique. En 2018, la France était le 7ème pays en termes de publications scientifiques avec 60 000 publications de moins que son voisin allemand (4ème). La recherche publique française pâtie fortement d’une incapacité à passer du stade de recherche pure ou théorique à la recherche appliquée. Selon l’INSEE, en 2020, la France dépense 2,3% de son PIB en R&D, contre 3,13% pour l’Allemagne et 3,49% pour la Suède. Il sera fondamental de porter l’effort budgétaire en matière de R&D à hauteur de 3% du PIB à horizon 2030 et de 4% à horizon 2040.
Un pays qui aspire à jouer un rôle mondial se doit d’être à la pointe des avancées technologiques et de soutenir des projets innovants. L’Etat doit redevenir l’acteur du temps long qui doit guider les Français vers un idéal technologique. Il lui incombe de définir des grands projets, des grandes thématiques industrielles et scientifiques, et de délivrer les financements en conséquence. Réinstaurer une politique de grands projets scientifiques, permettra de fédérer la communauté des chercheurs et la nation, et ainsi inciter nos talents à rester sur le territoire français. Avec des talents nationaux qui restent chez nous alors que le monde nous les envie, nous avons une chance d’exister dans la course au progrès, une des clés de la compétition mondiale. Soutenus par l’État, nos scientifiques et nos ingénieurs doivent permettre à la France de ne pas manquer les prochaines grandes mutations technologiques telles que le réseau Hyperloop européen, l’aviation supersonique, ou encore la fusion nucléaire.
Faire revenir nos talents
Si la France souhaite faire revenir ses talents français expatriés, il sera nécessaire de leur offrir des incitations fiscales telles que des réductions d’impôts ou des crédits d’impôt pour encourager leur retour mais aussi des allègements fiscaux pour les revenus perçus à l’étranger. Cependant, il est important de veiller à ce que ces incitations fiscales ne créent pas de distorsions économiques et soient équilibrées afin qu’elles ne bénéficient pas uniquement aux talents expatriés les plus riches, mais qu’elles profitent également aux talents de niveau intermédiaire et aux jeunes diplômés. Par ailleurs, il est important de mettre en place des mesures pour aider les talents expatriés à réintégrer le marché du travail français et à s’adapter aux réalités économiques du pays.
Au-delà des personnes physiques, la France se doit d’inciter la relocalisation des entreprises créées à l’étranger par ses cerveaux. Cela passera par la création d’un environnement réglementaire incitatif, en simplifiant les procédures administratives et en réduisant les coûts associés à la création et à la gestion d’une entreprise. Les coûts de création et de gestion d’une entreprise devront être suffisamment bas pour encourager les entrepreneurs à se relocaliser, mais également suffisamment élevés pour garantir que les entreprises rapatriées sont viables et durables à long terme. Ces mesures devront s’inscrire dans la durée car trop souvent la France s’illustre par un environnement fiscal et règlementaire volatil amplifiant le climat fiscal français anxiogène.
Par Clément Perrin, directeur des Etudes du Millénaire et Udo Le Quéau analyste au Millénaire
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