Valeurs actuelles. Peut-on parler d’une fracture interne au sein du nouveau groupe LR entre Laurent Wauquiez, partisan de l’indépendance totale, et Xavier Bertrand, partisan d’une coalition avec le camp présidentiel ?
William Thay. Laurent Wauquiez veut un groupe homogène et cohérent qui porte la même ligne politique d’indépendance dictée par lui-même et par Bruno Retailleau au Sénat. C’est à peu près la ligne qu’ils ont défendue lorsqu’ils ont fait le bureau politique contesté pour exclure Éric Ciotti. L’objectif est de faire une sorte de super ni-ni : ni le Rassemblement national, ni Macron, ni La France Insoumise. Face à cette politique, il y a des députés élus sous l’étiquette LR mais qui ont passé des deals secrets avec Macron au niveau local afin de ne pas avoir de candidats Renaissance en vue éventuellement de participer à une coalition présidentielle. Ces deals ne visent pas forcément à rejoindre Renaissance mais plutôt à soutenir la minorité présidentielle et surtout à voter le budget. Donc, il n’y a pas de fracture mais des compromis.
Les Républicains, année zéro
Cependant, il est évident qu’il y a un jeu plus subtil mené par Xavier Bertrand et Aurélien Pradié puisqu’on ne sait pas s’ils sont encore LR ou pas. Eux sont contre Macron mais sont obligés de trouver une ligne de démarcation pour se détacher de Wauquiez et exister. De plus, eux se qualifient comme présidentiables en vue de 2027 donc ils vont essayer de lui barrer la route. Ensuite, il y a un autre groupe avec Nicolas Forissier, Jean-Louis Thiériot, peut-être Virginie Duby-Muller qui, eux, souhaitent un accord avec Macron depuis le début car ils pensent qu’il y a la possibilité d’obtenir quelque chose. Pour résumer, sur tous les députés LR et divers droites, il y en a plus des deux tiers qui sont avec Wauquiez, c’est-à-dire 40. Au sein des 20 restants, certains veulent vraiment une ligne avec Macron et d’autres essaient de constituer leur petite écuries pour eux-mêmes.
Pour reconstruire son parti et créer une nouvelle dynamique à droite, Laurent Wauquiez peut-il se permettre d’avancer seul et de négliger les propositions de coalition ?
Il y a des points positifs et des points négatifs. Le point négatif est que le socle ainsi que le nombre d’électeurs des républicains s’est réduit de manière drastique entre 2017 et aujourd’hui. Lorsque Nicolas Sarkozy était candidat en 2017, il faisait 33%, puis 20% avec Fillon en 2017 et ensuite ce pourcentage s’est abaissé progressivement jusqu’aux 4% de Valérie Pécresse. Le point positif est qu’il y avait des pans entiers d’électeurs auxquels les Républicains ne parlaient plus car ils se concentrent sur des catégories spécifiques dont les retraités. Donc il y a une réelle opportunité à saisir à travers ce nouveau parti pour élargir l’électorat et retrouver un espace politique perdu. Les Républicains étaient pris en étaux depuis l’avènement de Macron qui leur avait piqué leur programme économique ainsi que Marine Le Pen et Zemmour qui leur avait volé leur programme sociétal et sécuritaire.
Maintenant, un espace a pu se libérer notamment chez Macron pour deux raisons. Premièrement, une partie des électeurs de centre-droit, notamment âgés, ont peur que Macron fasse des rapprochements avec les LFI. Deuxièmement, Renaissance n’a plus de crédibilité économique en raison des mauvaises performances de Bruno Le Maire. En 7 ans, Macron a fait 33 % de la dette soit la moitié de ce qu’ont fait 40 ans de présidents de la Ve République. Du côté du Rassemblement national, Marine Le Pen a un socle dur à 15-18 % des Français. Le reste constitue l’agglomérat de gens qui ont été convertis par la personne de Bardella et d’autres qui votent pour le RN car ils sont anti-Macron. Ces derniers pensent-ils que le Rassemblement national a encore des chances de gouverner après cette défaite ? Ou ne se disent-ils pas que le plafond de verre existe toujours ? Le petit espace pour Wauquiez est donc de récupérer une partie de l’électorat macroniste et une partie de l’électorat bardelliste.
Quelle serait l’ambition de Laurent Wauquiez : repartir de zéro ou simplement recentrer le parti sur des positions plus claires et plus affirmées ?
J’ai l’impression qu’il mise non pas sur une reconstruction mais plutôt sur une refondation complète. Il y a plusieurs élements dans l’historique de la droite depuis le début de la Vème République qui peuvent confirmer cette intuition. Quand De Gaulle devient président, il a son parti qui est l’UDR (Union des Démocrates pour la République). Quand Chirac gagne, il a le RPR (Rassemblement Pour la République). Quand Sarkozy prend le pouvoir, il a l’UMP (Union pour un Mouvement Populaire). Chaque président a sa propre écurie et transforme le parti en formation personnelle. Deuxièmement, quand De Gaulle prend le pouvoir, il fait la révolution gaulliste. Il change tout pour imposer sa propre doctrine. Chirac gagne en 1995, il réforme tout pour prendre la ligne Séguin-Pasqua. Quand Sarkozy gagne, il fait une refondation complète. Chacun fait non seulement un parti à sa main, mais en plus crée sa propre doctrine : le Sarkozysme, le Chiraquisme, le Gaullisme. Si Wauquiez veut avoir une chance, il faut qu’il prenne exemple. S’il veut incarner un changement, il faut marquer une rupture dans la manière de voir la politique et dans le programme qui est appliqué. S’il n’y a pas de rupture, cela ne marchera pas car les électeurs continueront à voter pour Bardella.
Laurent Wauquiez fait son grand retour après une absence médiatique ces dernières semaines. Comment expliquer cet éloignement ?
Premièrement, je pense qu’il voulait porter le combat lorsque les Français auraient tournés la page du macronisme. Macron venant d’être élu en 2022, il était compliqué de proposer une alternative. Aujourd’hui, il réapparaît au moment où le macronisme n’a jamais été aussi faible. Il y a un lien direct entre la fin du macronisme et la volonté d’incarner l’après. Deuxièmement, il y avait Ciotti qui, avant son départ, était bien encré à la présidence du parti. Puis, Wauquiez avait des problèmes d’images aussi avec l’EM Lyon, avec sa démission du parti en 2019. Il est donc en train de se refaire une virginité. C’est un classique à droite de se retirer pour revenir : Sarkozy l’a fait après la trahison pour Balladur, Juppé après la condamnation en 2002.
Est-il l’homme de la situation pour les Républicains ?
Quand Ciotti s’allie avec Le Pen, il y a deux politiques qui prennent la parole : Annie Genevard et Laurent Wauquiez. Tout le bureau politique met ainsi Wauquiez, qui s’est d’ailleurs fait élire très facilement président du groupe, sur le devant de la scène. Personne n’a voulu se présenter contre lui, ‘il s’est imposé de manière très forte.
Les grandes figures du parti vont-elles le laisser faire ?
Il y a trois éléments intéressants. Premièrement, ceux qui n’ont pas d’ambition présidentielle le laissent faire. C’est le cas d’Olivier Marleix, de Gérard Larcher, de Bruno Retailleau. Deuxièmement, les autres prétendants, la magistrature suprême, n’ont pas d’aura. Xavier Bertrand, lors de la primaire LR en 2022, a quand même perdu face à Michel Barnier, c’est dire son faible élan populaire. David Lisnard est, lui, plus en retrait qu’il y a quelques années. Troisièmement, l’affirmation de son autorité dépendra de sa capacité dans les deux prochaines années à être meilleur dans les sondages. S’il reste à 5%, les gens auront toujours des doutes. Par contre, s’il commence à créer une dynamique, à avoir une offre politique claire et qu’il monte à 15 ou 20%, il va susciter de l’adhésion.
Dans quels aspects de la vie politique le camp républicain doit-il se recentrer et s’affirmer pour convaincre l’électorat de droite ?
Je pense qu’il y a la question du mode de vie à la française qui est menacé par le communautarisme, par la loi des gangs, la loi des caïds… C’est-à-dire qu’aujourd’hui, je ne sais pas si vous rentrez à 23 heures de manière aussi sereine qu’il y a 15-20 ans. Donc sur la sécurité mais même globalement sur l’art de vie. Aujourd’hui, on vous embête pour manger un steak, on vous embête pour tout. Est-ce qu’aujourd’hui être français n’est pas menacé ? Les Républicains doivent réaffirmer en priorité ce volet civilisationnel.
Au final, cette dissolution de l’Assemblée nationale n’était-elle pas un mal nécessaire pour les Républicains afin d’insuffler du sang neuf et reprendre de la lumière sur la scène politique ?
La dissolution est un accélérateur de particules qui précipite toutes les grandes mutations qu’on a vues à l’œuvre depuis 2022. Il y a un macronisme qui est en fin de course et qui est en train de se déliter. Actuellement, on voit un duel entre Attal et Darmanin, entre l’aile gauche et l’aile droite. Le “en même temps” n’est plus durable. De l’autre côté, la gauche est sous domination de La France Insoumise (LFI) depuis 2017. Mélenchon domine le jeu et s’affirme. A droite, c’est encore plus flou car on aurait pu penser que le Rassemblement national allait vampiriser toute la droite – droite nationale, droite conservatrice, droite souverainiste – mais après ces législatives, c’est moins sûr. Il y a une nouvelle bataille du leadership à droite. On ne sait plus quelle droite domine en France.
D’ici à 2027, les Républicains auront-ils le temps de se reconstruire ?
Les Républicains ont un socle entre 10 et 14% donc une bonne base électorale pour se bâtir. Donc ils ont un début de “taille critique” qui leur permet de construire quelque chose. Tout dépendra de l’espace politique qu’ils réussiront à élargir entre le macronisme et le RN. Tout dépendra de leur capacité à pouvoir étendre le socle électoral. La grande différence par rapport à 2019 où les politiques à la tête du parti n’avaient pas d’ambition présidentielle, est que Wauquiez a une parole forte, et a plus de résonance sur la scène politique. Il y a de l’espoir.
William Thay, Président du think-tank indépendant Le Millénaire
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Crédit photo : Venue de Laurent Wauquiez (président du parti Les Républicains), à la salle des fêtes de Belfort, le 1er février 2019, Thomas Bresson, sous licence Attribution 4.0 International, via Wikimedia.
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