À la suite des résultats des élections législatives, Emmanuel Macron voit son pouvoir affaibli, étant confronté à un parlement sans majorité absolue et à une probable « cohabitation » avec un Premier ministre issu d’un parti rival. Comment cette situation est-elle vue et comprise par nos voisins et partenaires européens ?
Nos voisins et partenaires ont été relativement soulagés dimanche soir en découvrant les résultats du second tour des élections législatives. En effet, beaucoup craignaient une victoire du Rassemblement National, comme le suggéraient les résultats du premier tour des élections législatives. Or, une telle victoire aurait signifié une réelle « orbanisation » de la France. Elle aurait ouvert le chapitre d’une coalition conflictuelle sur le modèle de celle entre 1986-1988 entre François Mitterrand et Jacques Chirac, mais dans une version XXL puisque la ligne diplomatique et de politique étrangère est totalement opposée entre Jordan Bardella et Emmanuel Macron. Dans ces conditions, il aurait été impossible pour nos partenaires européens de déterminer la position française vis à vis de l’Union européenne et des institutions entre la lecture élyséenne et celle de Matignon, ce qui aurait transformé la France en partenaire non fiable.
Pour autant, nos voisins ne sont pas comblés et rassurés par la situation. Certes le pire a été évité, mais ils voient d’un très mauvais œil l’instabilité politique en France, devenue ingouvernable. La France est déjà régulièrement qualifiée par nos voisins de pays “ingouvernable” et “paralysé” car systématiquement en proie à une crise sociale (grèves, manifestations, etc.). Or, la situation politique actuelle relève d’une crise institutionnelle, alors que nos institutions étaient réputées en Europe pour être suffisamment fortes (même si celles-ci pouvaient à certains égards s’éloigner des régimes parlementaires traditionnels en Europe au regard des pouvoirs dont dispose notre chef de l’Etat dès qu’il dispose d’une majorité absolue). Ainsi, l’instabilité politique française ouvre de nombreuses craintes pour les conséquences qu’elle pourrait avoir en Europe.
La crainte est la plus forte en Allemagne car notre instabilité politique menace le moteur franco-allemand. Cet axe historique, derrière de nombreuses initiatives européennes, pourrait chanceler en cas de cohabitation. Les Allemands ont peur que les problèmes internes en France puissent retarder ou mettre à mal certains projets européens importants, par exemple concernant les réformes économiques, l’application du Pacte Asile Immigrations ou encore des initiatives de politique extérieure. L’Italie ou l’Espagne se montrent aussi prudents, mais sont aussi plein d’empathie car ils connaissent ces moments d’instabilité politique. Plus globalement, tout le monde retient son souffle alors que la France a déjà été épinglée par la Commission européenne pour déficit excessif, et l’instabilité pourrait accentuer cette situation difficile qui menace la survie de la zone euro. Surtout, nos voisins sont conscients qu’en cas d’arrivée au pouvoir du Nouveau Front Populaire ou du Rassemblement national, il n’y aura pas de mesures prises pour rétablir l’équilibre budgétaire. La France pourrait suivre le modèle grec d’Alexis Tsipras en janvier 2015 à savoir engager un bras de fer perdu d’avance avec les institutions européennes. Ce dernier avait été élu contre l’application des politiques d’austérité demandée par la zone euro en contrepartie du maintien de la Grèce au sein de la zone et qui avait dû démissionner quelques mois plus tard après un bras de fer qui a conduit la BCE à mettre le pays sous tutelle. Seulement, la France n’a pas le même poids dans la zone euro que la Grèce…
Quels alliés reste-t-il à Emmanuel Macron en Europe ? Quels sont les gouvernements qui, à l’inverse, comptent miser sur l’affaiblissement de Macron, qui était l’une des locomotives de l’UE ?
En 2017, après son élection, Emmanuel Macron créait énormément d’enthousiasme en Europe, il apportait un vent de fraîcheur et portait une vision européenne originale et forte, là où son prédécesseur avait été élu sur la promesse de “renégocier les traités européens”. À cette époque, il était soutenu par de nombreux dirigeants et parlementaires à travers l’Europe, car il comptait prendre le leadership de cette Europe, alors qu’Angela Merkel n’avait jamais créé l’enthousiasme et que la figure de Viktor Orban inquiétait. Pourtant, sept ans après, la lune de miel est terminée, comme l’a montré l’accueil mitigé du second discours de la Sorbonne. Quelque chose s’est brisé, alors qu’il a échoué à porter et faire avancer l’Europe dans de nombreux domaines (Europe de la défense, souveraineté européenne, etc.) et qu’il n’a pas réussi à contrer la montée des extrêmes comme promis, en France comme en Europe.
Aujourd’hui les alliés d’Emmanuel Macron en Europe se comptent sur les doigts de la main car son influence est en déclin dans l’ensemble des institutions de la triumvirat. Prmeièrement, au niveau du Conseil européen, Emmanuel Macron est fragilisé par l’effondrement de son capital politique national avec la succession des crises (Gilets jaunes, réforme des retraites, etc.) et les claques électorales subies (législatives 2022, européennes 2024 et législatives 2024) à la différence de Giorgia Meloni ou encore de Olaf Scholtz. De plus, au niveau de la Commission européenne, il est fragilisé par le fait qu’il n’est plus écouté sur les nominations aux “tops jobs” alors qu’il avait pu imposer la nomination d’Ursula von der Leyen en 2019. Enfin, au niveau du Parlement européen, son influence s’est considérablement réduite depuis qu’il porte avec l’Espagne la principale responsabilité de la perte de vitesse du parti Renew qui a perdu de nombreux députés. Ainsi, ce dernier est vu comme un pestiféré avec qui il ne faut pas s’afficher. Preuve en est, l’échec de sa énième tentative d’exister en Europe avec la création du club des « Nouveaux Européens » en mars dernier, qui fut accueillie avec scepticisme et boudé par beaucoup. On y retrouve des députés slovènes, danois, polonais et roumains. Les derniers membres du conseil qui supportent Macron sont l’Estonienne Kaja Kallas, le premier ministre slovène Robert Golob ou le premier ministre polonais Donald Tusk. Ces derniers apprécient l’activisme d’Emmanuel Macron face à Poutine et son soutien à l’Ukraine.
Il est trop tôt pour savoir qui va chercher à profiter de cet affaiblissement de Macron, mais certaines tendances se dessinent. Ses relations avec le chancelier allemand Olaf Scholz étaient exécrables avant l’élection européenne et les élections législatives. Nul doute que l’Allemand va en profiter pour décrédibiliser le Français à Bruxelles. Cette opposition a été visible sur l’Ukraine par exemple, mais Olaf Scholz pourrait aussi vaciller avec les élections en Allemagne de l’Est à l’automne et les élections fédérales en 2025 qui devraient voir l’avènement de l’extrême-droite. Sinon, les Conservateurs ne devraient pas être mécontents de ne pas avoir à négocier énormément avec notre président de la République dès 2025, au vu des divergences entretenues. Giorgia Meloni, présidente du conseil italien, ne doit pas être mécontente de la perte de vitesse d’un de ses rivaux à Bruxelles et certains voient une plus grande influence de l’italienne se dessiner dans le futur. De plus, elle a aussi profité de la défaite du RN, qui montre que sa ligne “national-conservatrice” est plus forte que la ligne “national-populaire” de Marine Le Pen pour les droites radicales en Europe
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Quels sont les enjeux européens qui seront directement impactés par la situation politique française ?
Les enjeux européens sont majeurs et il s’agit de la principale raison de la profonde inquiétude à Bruxelles, d’abord sur les questions économiques. La France doit mener des réformes pour revenir à l’équilibre budgétaire, mais une cohabitation avec la gauche mettrait tout cela en péril car le NFP ne prévoit pas d’économie dans son programme. Avec la plus grande dette en valeur et 5,5% du PIB de déficit budgétaire en 2023, la France n’est dépassée que par l’Italie, la Roumanie et la Hongrie en Europe, mais avec la deuxième économie de la zone, il y a fort à parier que si la France venait à tomber, c’est la zone euro entière qui serait en difficulté.
Dans tous les cas, nous nous dirigeons vers une lutte entre la France et la Commission, alors que des pénalités d’un milliard d’euros tous les 6 mois sont possibles. Une cohabitation avec la gauche inquiète car cela pourrait signifier un déficit encore plus grand, alors que le retour en dessous des 3% de déficit budgétaire, prévu pour 2027, ne semble déjà pas facilement réalisable. De plus, en cas de mesures d’austérité imposées par Bruxelles, le tout pourrait profiter au Rassemblement National et donc à l’extrême-droite européenne en général, ce qui inquiète.
Mais l’économie n’est pas le seul sujet d’inquiétude en Europe, et la situation politique en France amène certains à se poser de nombreuses questions. Si aucun gouvernement n’est trouvé, alors on se demande si la France pourra jouer un rôle moteur à Bruxelles comme elle a pu le faire par le passé. Sont concernées des mesures phares, comme le Green Deal ou le Pacte Asile Immigration, et alors que le Parlement doit voter pour la reconduction d’Ursula Von der Leyen le 18 juillet, ou que la poussée récente de l’extrême-droite inquiète, une France en retrait dans ces moments charnières pour l’UE rend perplexe. En cas de cohabitation avec la gauche, des secousses pourraient se faire sentir jusqu’à Bruxelles. En effet, même si la politique extérieure est censée être la chasse gardée du président français, la politique européenne est vue comme une continuation de la politique intérieure, ce qui signifie que le gouvernement de gauche pourra faire entendre sa voix. Les nouveaux ministres siègeraient au Conseil de l’Union européenne et auraient ainsi des pouvoirs législatif et budgétaire. Or, les dirigeants du Nouveau Front Populaire qui ont tous signé un accord avec Jean-Luc Mélenchon sur les grandes lignes programmatiques de la France Insoumise, seraient en contradiction permanente avec la vision de l’Elysée.
Shahin Vallée, ancien conseiller de Macron et aujourd’hui membre du Conseil allemand des affaires étrangères, a déclaré qu’à l’automne, la France « aura le choix entre une crise intérieure ou une crise européenne ». Au regard du contexte actuel, cette situation est-elle inéluctable ?
On peut aussi se rappeler de cette phrase prononcée par Metternich en 1848, « Quand Paris éternue, l’Europe s’enrhume ». Même après 175 ans, elle semble ne jamais avoir été autant d’actualité, sachant que l’instabilité française aura à coup sûr des répercussions à court comme à long terme. Je serai plus fataliste que Vallée sur ce point, je pense que nous aurons les deux crises, mais l’interrogation réside dans l’ampleur de celles-ci.
Nous connaissons une crise politique sans précédent depuis 1958 en France, ce qui n’augure rien de bon à quelques jours de l’ouverture des Jeux Olympiques. Aucune issue ne semble possible avec un pays ingouvernable. En effet, le président de la République ne dispose que de mauvaises options : soit, la constitution d’un Gouvernement d’Union nationale en excluant les extrêmes (LFI et RN), ce qui lui a déjà été refusé par les socialistes et les Républicains (option 1), soit la constitution d’un gouvernement technique chargé d’expédier les affaires courantes, mais qui ne pourra pas prendre de mesures pour réformer le pays, voire ne pourra pas voter de budget (option 2), soit démissionner pour provoquer une élection présidentielle avec un président qui pourrait profiter de l’élan de sa réélection pour nouer une alliance plus solide à l’Assemblée nationale (option 3). Seulement, nous semblons nous diriger vers une crise perpétuelle avec un Président qui ne pourra être qu’un spectateur impuissant de celle-ci et ne pourra dissoudre une nouvelle fois qu’en septembre 2025.
Sur le plan européen, des secousses se feront bien évidemment ressentir, tout l’intérêt sera de voir si nous pourrons éviter le pire. Une crise de la zone euro, semblable à ce qui fut vécu lors de la crise des dettes souveraines, n’est pas à exclure au vu de l’état catastrophique des finances publiques laissées par le Mozart des finances, mais l’intensité de celle-ci serait bien plus forte. Une crise institutionnelle, avec des blocages à Bruxelles, me semble bien engagée également, alors que nous ne connaissons pas encore la composition de la nouvelle Commission.
Pierre Clairé, directeur adjoint des études
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Crédit photo : On May 6, 2024, Ursula von der Leyen, President of the European Commission, travelled to Paris, France, where she met with Emmanuel Macron, President of the French Republic, and Xi Jinping, President of the People’s Republic of China. Christophe Licoppe / European Union, 2024 / EC – Audiovisual Service, sous licence Attribution 4.0 International, via Wikimedia.
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