Entretien de William Thay pour Atlantico : « Cette double menace que fait peser la Nupes sur la démocratie française »

Thomas Portes a été exclu de l’Assemblée nationale pendant 15 jours pour avoir posé avec un ballon à l’effigie de la tête d’Olivier Dussopt. C’est la dernière frasque en date d’un membre de la NUPES, groupe qui semble avoir fait du pourrissement du débat démocratique une de ses marques de fabrique.

Atlantico : Thomas Portes a été exclu de l’Assemblée nationale pendant 15 jours pour avoir posé avec un ballon à l’effigie de la tête d’Olivier Dussopt, dernière frasque en date d’un membre de la NUPES. A quel point les actions et discours de la NUPES témoignent-ils d’une logique insurrectionnelle réelle au sein du parti ?

William Thay : La NUPES par l’intermédiaire de son chef Jean-Luc Mélenchon adopte à la fois une posture insurrectionnelle et également révolutionnaire. Cette posture révolutionnaire fait référence à la Révolution française de 1789 dans laquelle les membres de la NUPES et en particulier de la France Insoumise puise de nombreuses références. Si faire référence à la Révolution française ne pose pas de problèmes particuliers dans la mesure où c’est l’événement déclencheur qui a permis à la France de passer progressivement d’une monarchie à la République, le souci est que la France Insoumise s’inspire en particulier d’une période sombre : la Terreur. Ainsi, plusieurs cadres de ce parti n’hésitent pas à réhabiliter des personnalités comme Robespierre. D’où la polémique avec le député Thomas Portes, et celles sur les têtes coupées. Ce point est problématique parce qu’il va à l’encontre d’un des fondamentaux de la démocratie libérale : celle de pacifier le débat politique à travers la démocratie représentative et l’État de droit.

Ensuite, la NUPES adopte une logique insurrectionnelle pour marquer sa volonté de rupture avec le paradigme actuel. Il ne s’agit pas tant de s’opposer à Emmanuel Macron mais surtout de vouloir renverser le système de la République notamment celui de la Vème et de l’économie de marché. En quelque sorte, Jean-Luc Mélenchon s’inscrit dans les pas des leaders de certains régimes autoritaires qui ne souhaitent pas que la prophétie de Francis Fukuyama se réalise. Dans la Fin de l’Histoire et des derniers hommes, ce dernier indiquait qu’il pensait que la démocratie libérale et l’économie de marché allait s’imposer dans le monde entier pour plusieurs raisons. Seulement, on assiste depuis plusieurs années et en particulier depuis la crise de 2008 à une crise de ces deux modèles. Cela aboutit à l’émergence de modèles alternatifs comme le modèle autoritaire chinois par exemple d’un côté et de l’autre à l’avènement de ce qu’on appelle le populisme dans les démocraties occidentales. Ainsi, pour prendre un exemple frappant, le comportement des cadres de la France insoumise à l’égard des journalistes n’est pas différent de celui d’un Donald Trump par exemple. Cette volonté insurrectionnelle et de rupture complète peut être retranscrite principalement dans les « démocraties » d’Amérique latine qui inspire les cadres de la France insoumise. Il s’agit ainsi de trouver un nouveau modèle et cadre pour imposer leur changement de société sur les plans économiques, politiques et sociétaux.

Quelle est la finalité visée par LFI avec ces discours extrêmes ? Quels peuvent être leurs conséquences réelles ?

William Thay : Pour eux, il s’agit de véritables inspirations à la fois pour prendre le pouvoir et également imposer un changement de modèle. 

Sur le plan de la conquête du pouvoir, la France Insoumise cherche à identifier les marqueurs du « système » actuel pour se mettre en opposition face à eux pour incarner la rupture afin de profiter de la crise de la démocratie. Ainsi, ils vont attaquer les riches dans un pays marqué par la passion pour l’égalité afin de jouer sur le clivage des inégalités. De même, ils vont s’attaquer aux journalistes ou à minima se mettre en posture d’opposition face à eux. Vous allez avoir ainsi de la part de la France insoumise la volonté d’identifier les acteurs qui peuvent être apparentés à ce qui incarne notre modèle actuel pour les attaquer de front. Cela d’autant plus que la confiance des Français à l’égard des certaines professions et certaines institutions n’ont jamais été aussi faibles dans la crise de la démocratie que nous traversons. Avant le front syndical uni, il y avait de même la volonté de la part de Jean-Luc Mélenchon de concurrencer les syndicats dans leur monopole de la grève et de la manifestation.

De même, il y a peut-être la tentation de la part de la France insoumise d’avoir une stratégie électorale derrière cette logique insurrectionnelle. Ainsi, on peut soulever plusieurs questions et points. Est-ce que Jean-Luc Mélenchon ne vise pas implicitement à instaurer un match entre Marine Le Pen et lui dans la mesure où ce serait le seul duel qu’il pourrait remporter dans le cadre d’un second d’une élection présidentielle ? Ainsi, est-ce qu’il ne faudrait pas imposer une « zadification du débat public » pour décourager du débat public et donc du vote les électeurs dits raisonnables soit ceux qui votent pour les partis de Gouvernement ? Donc favoriser la participation des électeurs sortis de jeux démocratiques ceux que Brice Teinturier appelle les « plus rien à faire, plus rien à foutre », et décourager celle des électeurs votant principalement pour les partis de Gouvernement. De plus, cette stratégie permet à la fois de répondre à la radicalisation de l’électorat auquel nous faisons référence notamment de celui de droite mais qui touche également celui de gauche. Ainsi, sa stratégie permet à la France Insoumise d’avoir le leadership sur les forces de gauches en possédant le plus grand magot électoral. Enfin, sur le plan démocratique, ce discours va continuer d’affaiblir les corps intermédiaires et les institutions qui participent au jeu politique soit davantage affaiblir le cadre démocratique actuel. Mais de toute façon, la France insoumise considère qu’il s’agit d’acteurs qui ne leur sont pas favorables.

En allant vers toujours plus de radicalité, et se rendant, d’une certaine manière, de facto inéligible en agissant de la sorte, dans un paysage politique déjà bloqué, la Nupes ne renforce-t-elle pas l’impossibilité de l’alternance à gauche et, par-là, le risque de violence que cela engendre ?

William Thay : Il est possible voire vraisemblable que la NUPES et en particulier la France insoumise occupe la même fonction que le Front national des années 80 mais à cette fois-ci à gauche. Cela va emporter plusieurs conséquences : sur la gauche et sur l’impossibilité d’alternance. 

Alors que la gauche subissait une véritable crise politiquement depuis le quinquennat de François Hollande, et même idéologiquement avec l’affaiblissement de la social-démocratie, sa reconstruction va être encore plus difficile avec la mainmise de la France Insoumise sur la Nupes. Ainsi, il apparait peu vraisemblable à moins d’une grande crise et encore qu’elle bénéficierait davantage au Rassemblement national, que la NUPES puisse être majoritaire électoralement et donc politiquement dans le pays. En effet, depuis les dernières élections législatives, on remarque que le front républicain touche de moins en moins le parti de Marine Le Pen mais qu’il existe de plus en plus des barrages de même type contre les candidats de la NUPES. Nous avons ainsi observé que la tactique électorale de Jean-Luc Mélenchon était efficace pour le premier tour mais beaucoup moins pour le second. De plus, afin de sauver des sièges et des partis moribonds, le Parti Communiste, le Parti socialiste et Europe Écologie les Verts se sont placés comme des partis supplétifs de la France Insoumise sans qu’il existe de véritables stratégies pour contester le monopole de Jean-Luc Mélenchon sur la gauche. En clair, ils sont dans la même impasse que dans les années 60 avant que François Mitterrand du PS ne décide de contester la force principale de l’époque, le Parti Communiste. Or, il ne semble y avoir ni stratégie ni personnalité pour réaliser la même opération au sein de la gauche. 

Cela emporte une conséquence en matière démocratique. En effet, est-ce que l’essence même de ce régime et ce qui le distingue des régimes autoritaires, n’est pas forcément la constitution ou les principes juridique, mais la possibilité d’alternance entre des forces politiques avec ainsi la possibilité d’un pouvoir sortant battu démocratiquement ? Nous assistons en France à une impasse, avec d’un côté, un pouvoir de plus en plus minoritaire en matière d’assise politique comme en témoigne la majorité relative obtenue lors des dernières élections législatives et de l’autre côté, une extrême droite menée par le Rassemblement national et une extrême gauche menée par la France Insoumise dont une majorité de Français ne souhaite pas qu’ils arrivent au pouvoir. Cela conduit à une impasse démocratique et donc à un risque de violence, puisqu’il n’existe pas de débouché démocratique par l’absence de véritable possibilité d’alternance à la contestation du pouvoir en place.

William Thay, président du Millénaire, think-tank gaulliste spécialisé en politiques publiques. 

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Crédit Photo : NUPES, par Hugo Rota via Wikimedia sous licence CC BY-SA 4.0

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