Atlantico : Au cœur de la stratégie de Boris Johnson, on trouve la philosophie du « Take Back Control » inventée par son ancien conseiller Dominic Cummings. Est-ce la pierre angulaire de la nouvelle politique conservatrice ? En quoi consiste-t-elle exactement ? Boris Johnson agit-il pour que le Royaume-Uni reprenne le contrôle de son destin ?
William Thay : La philosophie « Take Back Control » est théorisée par Dominic Cummings dans le cadre de la campagne référendaire sur le Brexit. Dans le cadre d’études qualitatives, il comprend qu’il existe une revendication citoyenne sur l’incapacité du pouvoir politique à contrôler le cours des événements. Cela procède d’un changement d’ère entamé par la première révolution conservatrice menée par Ronald Reagan et Margaret Thatcher qui ferme le cycle keynésien mis à mal par les deux chocs pétroliers (1973 et 1979). Les deux dirigeants anglo-saxons ont ouvert une nouvelle ère néolibérale sous l’impulsion des thèses de Milton Friedmann et Friedrich von Hayek. Ils ont ainsi encouragé le libre-échange par l’intermédiaire de l’élaboration d’accords de libre-échange, la fin des droits de douanes et l’abaissement des frontières. Cela a facilité la mondialisation telle que nous la connaissons actuellement. L’équilibre mondial reposait alors sur le transfert de l’appareil productif des pays industrialisés vers les pays émergents pour bénéficier de produits à bas cout permettant de préserver le pouvoir d’achat des classes moyennes. Cela a été mis à mal avec le déclassement des classes moyennes à partir de la crise financière de 2008 qui a engendré des contestations dans l’ensemble des anciens pays industrialisés comme en France avec les Gilets jaunes par exemple. La mondialisation a ainsi conduit à une perte de pouvoir du politique qui a plus de plus en plus de mal à trouver des remèdes efficaces face aux défis contemporains comme la question économique, la question régalienne ou encore la gestion des flux migratoires.
Les peuples des pays occidentaux souhaitent ainsi retrouver le contrôle en se tournant vers des personnalités politiques qui possèdent un certain volontarisme et qui pensent en dehors d’un cadre qui n’est plus pertinent pour répondre aux enjeux contemporains. Il s’agit ainsi de confier le pouvoir à une personnalité capable de déverrouiller l’action publique. Le personnel politique, une fois élu, doit faire face à un ensemble de verrous comme l’état profond (bureaucratie en France par exemple), le droit européen qui limite le champ de compétence d’un État membre de l’UE, les corporations comme les syndicats qui défendent des intérêts particuliers contre l’intérêt général ou encore l’establishment politique et médiatique. Pour reprendre le contrôle, il est nécessaire d’utiliser tous les moyens à sa disposition pour contourner les verrous à l’action publique. Lorsque Boris Johnson est arrivé au 10th Downing Street, il faisait face à un double blocage à la réalisation du Brexit : son Parlement et l’Union européenne. Pour le premier cas, il a utilisé la dissolution parlementaire en convoquant des nouvelles élections pour faire appel au peuple contre les élus dans une logique très gaullienne pour disposer d’une majorité populaire. Pour le second cas, il a brandi l’arme du « No Deal » pour conduire les institutions européennes à renégocier l’accord de sortie du Royaume-Uni de l’UE. Ainsi pour reprendre le contrôle, il est nécessaire de penser hors du cadre, en utilisant tous les moyens légaux à disposition pour réaliser son projet politique sans avoir peur de se faire taxer de nationaliste ou de populiste. Cette reprise en main doit se faire contre à l’encontre de la dépossession du pouvoir politique par la tyrannie des minorités, des castes et un establishment qui défendent leurs propres intérêts au détriment du reste.
L’action de Boris Johnson au Royaume-Uni est une traduction concrète du souhait de reprendre le contrôle pour les britanniques. Ces derniers ne disposent pas de la même conception que nous sur la souveraineté, et considèrent que leur Parlement et leur régime politique qui n’a pas varié depuis la Glorieuse Révolution de 1688 ne doivent pas être menacés et contraints par une entité supranationale. La reprise de contrôle par Boris Johnson passe d’abord par la pleine maitrise de la souveraineté avec la réalisation du Brexit afin de disposer d’une maitrise absolue de ses frontières ou encore de sa politique commerciale. Le Brexit est ainsi une démonstration réelle de la reprise de contrôle par Boris Johnson, mais cela ne veut pas forcément dire que les autres États membres doivent faire de même. D’une part, ils n’ont pas la même relation avec le concept de souveraineté. D’autre part, ils font face à des blocages qui peuvent être différent. L’enjeu de reprise de contrôle est d’identifier les verrous à l’action politique pour les contourner et les déverrouiller pour pleinement maitriser son destin.
Le Royaume-Uni semble vouloir se transformer pour agir sur toute la surface du globe sous la bannière d’un « Global Britain ». Comment Boris Johnson fait-il pour préparer cette stratégie ? Quel est son objectif à long terme ?
William Thay : Boris Johnson possède une deuxième philosophie « Global Britain » qui est une traduction politique de sa volonté de remettre le Royaume-Uni à une place importante dans le concert des nations. Il doit le faire alors que le monde est de plus en plus conflictuel après la parenthèse de l’après Guerre froide, et on assiste à des affrontements entre des États démocratiques, des États autoritaires, des groupes criminels et des multinationales. De plus, nous assistons à un changement majeur sur le plan international. Nous assistons à des mutations mondiales, renforcées par la crise sanitaire, avec notamment la montée en puissance de la Chine et le déplacement du centre de gravité du monde vers l’Asie. Cette mutation est synonyme d’une compétition plus intense entre les différents types de système politique entre les États démocratiques et les États autoritaires. En effet, dans le cadre de succession de crise, le modèle démocratique est menacé puisqu’il possède une moins forte capacité d’action rapide comme l’a souligné la différence de gestion de la crise sanitaire entre les pays européens et asiatiques. Il s’agit ainsi d’une guerre des modèles politiques où les institutions internationales seront l’objet d’affrontement pour les pays qui chercheront à élargir leur quête d’influence. Dans cette compétition mondiale, comme lors des guerres de l’Opium, l’innovation technologique sera une des clés de succès pour un camp ou un autre. Toutefois, si les cycles d’innovation technologique étaient relativement long, ils sont désormais de plus en plus court, puisque nous assistons à des innovations technologiques de plus en plus rapides comme le démontre la rapidité de recherche sur le vaccin.
La stratégie « Global Britain » est à la fois un projet de défense et de conquête. Il s’agit aussi bien de défendre le modèle de la démocratie libérale et l’indépendance du Royaume-Uni que se projeter vers une quête d’influence et de rayonnement. Pour cela, Boris Johnson souhaite transformer le Royaume-Uni pour rendre son pays plus compétitif et lui donner un avantage comparatif sur les plans technologique et scientifique. Il s’appuie sur deux objectifs : augmenter les investissements en recherche et développement et faire du Royaume-Uni une cyber puissance. Sur le premier point, il souhaite atteindre le plus rapidement possible les ruptures technologiques en augmentant à 2,4% du PIB ses investissements en R&D et rendre son pays encore plus attractif pour les meilleurs talents. Sur le second point, le Premier ministre britannique considère que la souveraineté numérique est essentielle pour garantir la protection des données, la sécurité britannique et son indépendance. Il s’agit ainsi de construire un système digital prospère et résilient, qui promeut un cyberspace libre, ouvert, pacifique, sécurisé et capable de dissuader les offensives adverses.
Le développement économique et technologique est le premier volet de la stratégie « Global Britain » et il est accompagné d’une stratégie d’influence sur le globe. Boris Johnson vise la construction d’un nouvel ordre mondial pour défendre les intérêts britanniques sur tout le globe. S’il choisit son allié historique dans le conflit entre la Chine et les États-Unis, il ne souhaite pas tomber dans l’opposition de deux blocs. La stratégie « Global Britain » souhaite trouver une échappatoire au schéma de confrontation entre les deux superpuissances, en s’appuyant sur la coalition des puissances moyennes pour peser sur l’équilibre mondial. Pour cela, il redéfinit ainsi sa politique commerciale pour la tourner davantage vers l’Asie afin de faire du Royaume-Uni, le pays européen le plus présent et intégré à la région Indopacifique, notamment en travaillant avec des organisations comme le Five Power Defence Arrangements (FPDA) ou l’ASEAN. Ce positionnement s’inscrit en opposition à la Chine, en privilégiant des accords avec des puissances moyennes du Pacifique et de l’Asie pour développer dans la zone un contrepoids aux aspirations chinoises. De plus, le Premier ministre britannique utilise le Commonwealth pour positionner le Royaume-Uni comme une nation influente sur les affaires mondiales entre la Chine et les États-Unis. La stratégie « Global Britain » ressemble ainsi à bien des égards au positionnement du général De Gaulle pendant la Guerre froide.
En France, la droite française se prépare-t-elle à une nouvelle révolution conservatrice ? Doit-elle regarder du côté de la stratégie de Boris Johnson pour répondre aux fractures du pays ?
William Thay : Actuellement la droite française cherche davantage une incarnation pour la prochaine élection présidentielle et à conforter ses positions lors des échéances locales qu’à appréhender les mutations globales pour nourrir son projet politique. À moins d’un an d’une échéance majeure, la droite française ne dispose ni d’une incarnation politique incontestable ni d’un projet de rupture avec le macronisme. Cette difficulté pourrait être répondue en partie, en analysant le succès de Boris Johnson qui lui permettrait de comprendre les mutations électorales que subissent l’ensemble des partis de droite des pays occidentaux. En effet, les mutations globales en cours produisent des effets notables sur les choix électoraux puisque nous assistons à une droitisation de l’électorat d’une part, et également à de nouvelles variables du vote d’autre part. Les élections présidentielle américaine et législatives britanniques ont démontré un basculement des classes populaires et moyennes vers la droite. Nous avons comparé les scores obtenus par David Cameron en 2015 et Boris Johnson en 2019. Nous voyons que l’actuel Premier ministre britannique réalise de moins bons résultats auprès des CSP+ et des très hauts revenus qui ont basculé au centre voir au centre gauche. Par contre, on assiste à un transfert important des catégories populaires et moyenne vers la droite. Ainsi, la droite britannique n’attirait en 2015 que 29% des électeurs britanniques dont le foyer gagnait moins de 20000£ par an, mais 45% en 2019. Cette mutation électorale doit être appréciée par la droite si elle veut maximiser ses chances de victoire lors de la prochaine élection présidentielle.
La stratégie de Boris Johnson est également intéressante pour siphonner un parti. En effet, il faisait face à un vote important en faveur du parti du Brexit mené par Nigel Farage qui était arrivé en tête des élections européennes de 2019 avec 30% des suffrages (8% pour le parti conservateur). Cela n’a pas empêché Boris Johnson d’enregistrer la meilleure performance pour son parti depuis 1987, six mois plus tard aux élections législatives de décembre 2019. Le Premier ministre britannique a ainsi porté la revendication principale de ce parti qui était la réalisation du Brexit à travers son slogan « Get Brexit Done ». Il a ainsi repris la thématique principale d’un parti contestataire pour la transformer en promesse concrète d’un parti de Gouvernement. Cette stratégie peut être très bien menée en France à l’heure où Marine Le Pen va chercher à se normaliser pour éviter un front républicain trop important et ainsi ne plus porter aussi fortement certaines thématiques jugées « sensibles ». Il faudrait que les Républicains proposent un programme crédible pour reprendre le contrôle de notre politique migratoire. Le débat lors de la prochaine élection présidentielle va permettre de confronter les programmes et juger la pertinence et l’applicabilité de chacun alors que Marine Le Pen n’a toujours pas retrouvé de crédibilité gouvernementale après son échec lors du débat de l’entre deux tours en 2017. Pour retrouver le pouvoir, la droite doit montrer qu’elle est capable d’agir dans l’intérêt des Français quitte à se faire taxer de populiste ou de nationaliste.
La droite doit également s’inspirer de Boris Johnson à travers ses deux philosophies « Take Back Control » et « Global Britain » pour proposer une nouvelle destinée au pays. Il ne sert à rien de gagner une élection s’il n’y a pas de projet collectif de redressement. Reprendre le contrôle doit permettre de déverrouiller l’action publique face aux intérêts minoritaires pour soutenir l’intérêt général. Cela passe notamment par l’usage plus récurrent du référendum et une volonté politique forte face à l’establishment politique et médiatique, les corporations et l’état profond. Il est également nécessaire de proposer un projet collectif de conservation et de projection. Dans ce cadre, nous proposons notamment de faire de la France, une nation d’industriels et de savants pour dessiner un nouvel horizon français, et préserver l’art de vie à la française face à des menaces diverses qui fragilisent la cohésion nationale (indigénistes, ayatollahs verts, cancel culture, tyrannie des minorités, etc.).
À l’heure où la droite est fragilisée des deux côtés par Emmanuel Macron et Marine Le Pen, il s’agit pour elle de reprendre la maitrise de son destin. Soit elle s’adapte aux mutations en cours en s’inspirant de Boris Johnson, soit elle mourra.
Par William Thay, Président du Millénaire
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Crédit photo : Andrew Parsons / No10 Downing Street sous licence CC BY-NC-ND 2.0
Adam Guz sous licence libre
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