Le programme économique de Kamala Harris, récemment dévoilé lors de sa campagne, vise à conquérir une grande partie des électeurs américains mais certaines de ses propositions sont moins bien accueillies par les entreprises et les économistes.
– Kamala Harris a présenté en une semaine une série de propositions économiques. Augmentation du taux d’imposition des sociétés de 21 à 28 %, interdiction fédérale des prix abusifs dans le secteur alimentaire … Quels sont les principaux points de son programme économique ?
Alors que la vice-présidente Kamala Harris n’est devenue la candidate des Démocrates que récemment, elle a fait campagne à force de slogans forts et d’attaques contre son rival républicain, sans véritablement entrer dans le vif du sujet. Mais vendredi dernier elle a enfin présenté un programme économique visant à séduire les électeurs de la classe moyenne et ouvrière, en abordant des questions clés telles que l’accessibilité au logement, la responsabilité des entreprises et la réforme fiscale.
Les propositions les plus notables incluent :
Augmentation du taux d’Imposition des Sociétés : Harris a proposé d’augmenter le taux d’imposition des sociétés de 21 % à 28 %, annulant ainsi une grande partie des réductions d’impôts mises en place sous l’administration Trump. Cette augmentation vise à générer des revenus pour financer son programme économique plus large, y compris des investissements dans les infrastructures, l’éducation et la santé. Cette mesure rentre dans le narratif choisi par Kamala Harris en vue de l’élection de novembre. Alors que Trump est dépeint comme le candidat des riches et des grandes corporations, elle veut être la candidate des Américains moyens, qui ont parfois du mal à boucler leurs fins de mois. Ainsi, à la différence du candidat républicain, elle veut faire payer les entreprises pour en faire profiter les Américains.
Interdiction fédérale de la spéculation sur les prix : Harris veut introduire une interdiction fédérale de la spéculation sur les prix dans des secteurs essentiels tels que l’alimentation, le logement et la santé. Cette proposition cible les entreprises qui exploitent les conditions du marché pour augmenter excessivement les prix, ce qui, selon Harris, affecte de manière disproportionnée les familles à faible et moyen revenu. Harris est consciente que le domaine de la santé est très important pour les électeurs, alors que les prix des médicaments sont bien plus élevés qu’ailleurs et que se soigner est très onéreux outre-Atlantique. Elle sait que le sujet de la santé est problématique pour Trump, qui ne peut plus s’opposer à Obamacare comme avant sachant que ce programme est très apprécié des Américains.
Initiatives en matière de logement : Harris a souligné la nécessité de s’attaquer à la crise de l’accessibilité au logement en construisant 3 millions de nouvelles maisons et en offrant une aide à l’acompte de 25 000 dollars pour les primo-accédants. De plus, elle a proposé de limiter la capacité des grands investisseurs à acheter des maisons à des fins locatives, ce qui, selon elle, fait grimper les prix et rend l’accession à la propriété plus difficile. Joe Biden avait défendu en 2020 l’annulation de la dette étudiante, véritable fléaux pour les Américains qui doivent s’endetter sur des décennies devant l’augmentation des frais de scolarité. Harris quant à elle a choisi le logement comme thème central de son programme économique, sachant que l’accès à la propriété est rendu impossible par l’augmentation des prix, et alors que nous sommes face à une génération de locataires…
Crédits d’impôt et coût de la vie : S’inspirant des politiques de Joe Biden, Harris a proposé d’augmenter le crédit d’impôt pour enfants à 3 600 dollars par enfant, avec une augmentation supplémentaire à 6 000 dollars pour les nouveau-nés. Elle vise également à élargir le crédit d’impôt pour revenus du travail et à imposer un plafond sur les coûts des médicaments sur ordonnance pour alléger le fardeau financier des familles.
Répression des Grandes Entreprises : Harris a promis d’imposer des réglementations plus strictes aux grandes entreprises, en particulier celles impliquées dans la hausse des loyers et des prix des denrées alimentaires. Elle a également appelé à l’élimination des échappatoires fiscales qui permettent aux Américains les plus riches et aux grandes entreprises d’éviter de payer leur juste part d’impôts.
Ces propositions s’inscrivent dans un discours plus large visant à réduire les inégalités économiques et à garantir que l’économie américaine fonctionne pour tous, et non seulement pour les plus riches. L’équipe de Harris a fait le choix de se positionner ainsi pour tenter de plaire aux électeurs des États Clés (ou Swing States) et continuer sur sa lancée, c’est-à-dire être vue comme la candidate du peuple face à un Trump déconnecté. En d’autres termes, elle veut en finir avec son image de Californienne qui ne parle pas aux Américains. Le choix de son colistier, Tim Walz, va dans ce sens car il représente l’Américain moyen, le personnage normal, en opposition avec Trump et Vance.
– Si ces propositions sont proches des préoccupations exprimées par les électeurs américains, elles sont moins bien accueillies par les entreprises et certains économistes. Pourraient-elles être néfastes pour l’économie américaine ?
Bien que les propositions de Harris répondent aux préoccupations de nombreux électeurs américains, notamment en ce qui concerne l’accessibilité à la consommation ou à la propriété, et l’équité économique, elles ont fait l’objet de critiques importantes de la part des entreprises et de certains économistes qui avertissent des conséquences négatives potentielles.
L’augmentation du taux d’imposition des sociétés pose problème pour certains, à juste titre. Les critiques soutiennent que l’augmentation du taux d’imposition des sociétés à 28 % pourrait décourager les investissements, entraînant une croissance économique plus lente et potentiellement des prix plus élevés pour les consommateurs. Les entreprises pourraient répercuter cette augmentation de la charge fiscale sur les consommateurs ou réduire leur main-d’œuvre pour maintenir leur rentabilité. De plus, des impôts plus élevés sur les sociétés pourraient rendre les États-Unis moins compétitifs à l’échelle mondiale, incitant certaines entreprises à déplacer leurs opérations à l’étranger. En définitive, cette mesure que l’on retrouve souvent dans la bouche des plus progressistes, pourrait se retourner contre Harris et mettre à mal le pouvoir d’achat ou l’emploi.
L’interdiction de la spéculation sur les prix fait également débat et alors qu’elle semble de bon sens, pourrait aussi être à double tranchant. Bien qu’elle soit populaire auprès des électeurs, les économistes avertissent qu’une telle politique pourrait entraîner des conséquences imprévues, telles que des pénuries. Les contrôles des prix, selon eux, déforment souvent les marchés en décourageant la production ou en créant des marchés noirs. Certains ont qualifié la politique d’économiquement insoutenable, arguant qu’elle pourrait faire plus de mal que de bien en interférant avec les mécanismes du marché.
Les initiatives de Harris en matière de logement ont été saluées pour leur réponse à la question cruciale de l’offre, mais il existe des préoccupations que l’aide à l’acompte de 25 000 dollars puisse involontairement faire grimper davantage les prix des maisons en augmentant la demande sans résoudre suffisamment les contraintes du côté de l’offre.
En général, bien que les propositions formulées par Harris puissent trouver un écho favorable auprès des électeurs préoccupés par la hausse des coûts et les inégalités économiques, il existe un scepticisme quant à leur viabilité économique. Les critiques soutiennent que ces propositions pourraient entraîner une intervention accrue du gouvernement qui pourrait étouffer l’innovation et la croissance économique. Dans un pays comme les États-Unis, attaché au capitalisme et à la liberté économique, cette étiquette interventionniste pourrait faire beaucoup de mal à Harris. De plus, Donald Trump ne va pas se gêner pour accuser Harris d’être une gauchiste qui va contre les valeurs américaines. Alors que l’ancien Président avait du mal à trouver un angle d’attaque contre Harris (après avoir affronté Crooked Hillary ou Sleepy Joe), cette dernière pourrait lui avoir offert un nouvel angle, le tout sur un plateau d’argent. Ce genre d’argument pourrait faire mouche aux États-Unis, alors que la population a été élevée dans l’anticommunisme et qu’avec la montée de la menace chinoise de telles accusations pourraient trouver un écho certain…
– Malgré tout, ce programme économique pourrait-il trouver un certain écho auprès de la population américaine ? Pourquoi Harris et les autres gauches s’y sont converties ?
Malgré les critiques sur les coûts ou le manque de cohérence et le fait que ce programme n’ait pas été fait pour plaire aux économistes, le programme de Harris est susceptible de résonner avec une partie importante du public américain, en particulier au sein de la base démocrate et parmi les indépendants préoccupés par l’accessibilité et l’équité économique. Il pourrait être aussi l’occasion pour les Démocrates de renouer avec les électeurs jeunes, un électorat normalement acquis à la cause démocrate, mais qui s’est détourné du parti à l’âne, déçu par les promesses non tenues par Biden, notamment concernant les prêts étudiants. L’accent mis sur les questions de classe moyenne et ouvrière positionne Harris comme une championne de « l’Américain moyen », une stratégie visant à contrer l’attrait populiste de Donald Trump et de J.D. Vance. Ce positionnement pourrait entre autres porter ses fruits dans les Swing States et dans les États de la Rust Belt, durement touchés par la mondialisation et qui souffrent d’une baisse du pouvoir d’achat. Sont dans ce cas: la Pennsylvanie, le Wisconsin, le Michigan, la Caroline du Nord ou la Géorgie, où les classes populaires sont importantes et âprement courtisées en vue de l’élection présidentielle. Les derniers sondages donnent une course serrée dans ces derniers États et il semble évident que la victoire se jouera à quelques milliers de voix. Ainsi, cet argumentaire, marqué d’un léger accent démagogique, pourrait permettre de remporter la mise. Le pari pourrait se retrouver gagnant pour Harris si elle parvient à offrir des réponses aux principales préoccupations de ces classes moyennes, qui se sentent laissées pour compte.
Harris et d’autres politiciens de gauche ont choisi d’embrasser ces politiques parce qu’elles s’alignent sur l’agenda progressiste plus large de réduction des inégalités et d’assurer que les riches et les grandes entreprises paient leur juste part d’impôts. L’accent mis sur la répression de l’avidité des entreprises et le soutien aux familles de la classe moyenne est une réponse directe à la frustration publique croissante face aux disparités économiques. Ce choix, va dans le sens des évolutions au sein de la société américaine.
De plus, ces politiques servent à différencier Harris de Trump, dont les propositions économiques ont souvent été qualifiées de favorables aux riches et aux grandes entreprises. En se concentrant sur l’accessibilité et l’équité, Harris cherche à mobiliser les électeurs qui se sentent laissés pour compte par le système économique actuel. Surtout, elle espère faire mouche auprès des indécis et déçus de la politique, en vue de faire la différence dans les États-Clés. Mais pour tirer pleinement profit de tout cela, elle doit chercher à ne pas aller dans le détail et s’intéresser au fond des politiques, étant donné qu’elle pourrait être attaquée sur leur attrait limité. Harris cherchera donc avec ce programme à se placer comme défenseur des classes populaires et des laissés pour compte, mais devrait vite chercher à se réfugier sur des thèmes qu’elle maîtrise davantage comme les inégalités ou l’IVG.
– Face aux promesses de ré-industrialisation à grand renfort de protectionnisme formulées par Donald Trump, quelle est la pire démagogie, la plus découplée du réel économique au regard des illusions politiques et sociales qu’elle fait naître ?
Dans le contexte des promesses protectionnistes de Donald Trump, les propositions économiques de Harris reflètent une approche plus traditionnelle, pilotée par le gouvernement, pour répondre aux défis économiques. En d’autres termes, un étatisme assumé, un classique chez les démocrates pour répondre aux crises. La rhétorique de Trump, souvent centrée sur la réindustrialisation et le protectionnisme, a été critiquée comme étant trop simpliste et déconnectée des réalités économiques. Son accent sur les tarifs douaniers et l’immigration comme solutions aux problèmes économiques a été qualifié par de nombreux experts de préjudiciable à long terme. Sur ce point, ses 4 ans à la présidence ont déjà laissé un goût amer, alors que certaines mesures ont été des échecs. Entre autres, sa guerre commerciale avec la Chine a laissé des traces, et ses tentatives pour aller dans le sens de la réindustrialisation se sont frottées à la réalité. On se souvient de l’implantation de Foxconn dans le Wisconsin, où Trump avait utilisé une pelle en or pour marquer l’événement, mais qui n’a pas abouti. Par ailleurs, Biden a pu avoir des réussites sur ce sujet de la reindustrialisation, et il n’a pas hésité de moquer Trump et sa politique. Dans ce sens, Harris pourrait chercher à se placer en héritière de Biden et en opposition avec Trump, insistant sur la réussite de l’administration actuelle dans ce sens, sans avoir eu besoin de se montrer clivant et véhément.
En revanche, bien que les propositions de Harris soient plus détaillées et basées sur des problèmes définis, elles rencontrent leurs propres défis, notamment en termes de mise en œuvre et de conséquences économiques potentielles. Les deux approches répondent à leur base politique respective, mais elles risquent également d’aliéner les électeurs modérés qui sont sceptiques à l’égard d’une intervention gouvernementale excessive ou de politiques économiques isolationnistes.
Pierre Clairé, Directeur adjoint des Etudes du think-tank gaulliste et indépendant Le Millénaire, spécialiste des questions européennes et internationales
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Credit Photo : U.S. Senator Kamala Harris speaking with attendees at the 2019 National Forum on Wages and Working People hosted by the Center for the American Progress Action Fund and the SEIU at the Enclave in Las Vegas, Nevada., Gage Skidmore, sous Licence Attribution-ShareAlike 2.0 Genericvia Wikimedia Commons
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