Entretien de Pierre Clairé pour Atlantico « Couronnement de Charles III : dans les profondeurs de l’âme britannique »

Redaction Atlantico: Alors que le couronnement de Charles III se prépare ce samedi, plusieurs sondages sont sortis sur le rapport des britanniques à la monarchie et à leur monarque. Que nous apprennent-ils ?

Pierre Clairé : Charles III a été attendu au tournant dès le début de son règne. Pour maintenir l’adhésion des Britanniques à la monarchie, il devait relever trois enjeux clés : incarner le Royaume-Uni au XXIème siècle pour un homme issu du XXème siècle (1), prouver un niveau de compétence similaire à sa mère (2) et modifier son image écornée depuis ses relations avec la princesse Diana et ses différentes sorties médiatiques (3). Plusieurs mois après le début de son règne, les sondages nous apprennent 2 choses. 

Tout d’abord, Charles III est populaire chez les Britanniques avec une popularité dépassant les 50% (près de 55% en moyenne), malgré une popularité plus faible que sa défunte mère. Par ailleurs, au moment du décès de la Reine en septembre 2022, le pire était promis à la monarchie britannique. En effet, le Prince Charles avait toujours été mal aimé, de par ses écarts. Seulement, si nous mettons en parallèle ces sondages avec ceux réalisés alors qu’il était encore Prince de Galles, nous voyons que le nouveau roi a réussi à gagner le cœur des Britanniques et à mettre derrière lui les scandales. À la même époque l’année dernière il ne dépassait pas les 50% d’opinions favorables, alors que sa mère en comptait près de 80%. Devant cette impopularité, les républicains britanniques ont lancé une campagne l’année dernière pour faire d’Elizabeth II la dernière reine de la monarchie, en vain. Samedi, seulement 1 000 manifestants se rassembleront à Londres au même moment que le couronnement, ce qui s’apparente à un véritable échec politique. Charles III a réussi à incarner la tradition et la continuité de la monarchie britannique au XXIème siècle. De plus, il faut noter que Charles a fait un long chemin depuis les années 1990 quand il était détesté. D’une part, l’épisode avec la princesse Diana, qui avait conquis le cœur des Britanniques, est derrière lui. D’autre part, ses thèmes de cœur comme l’environnement sont désormais en vogue, ce n’était pas le cas il y a 30 ans lorsqu’il était jugé en décalage avec la réalité. Enfin et c’est l’essentiel, les Britanniques le reconnaissent désormais digne de la fonction de monarque.

De plus, ces sondages montrent que les Britanniques restent encore attachés à la monarchie. Pourtant, cela n’était pas évident l’année dernière après les révélations sur le Prince Andrew ou les problèmes causés par Harry et Meghan. En effet, près de 60% des Britanniques sont encore attachés à la monarchie. Encore une fois, la maison Windsor résiste contre vents et tempêtes, malgré le décès d’Elizabeth II. Charles III a réussi un subtil équilibre entre incarner l’héritage d’Elizabeth et apporter un vent de fraîcheur et de modernité sur la maison Windsor. Il est en train de réussir la transition de la monarchie vers un “service public”, ce qui plaît au Royaume-Uni. La monarchie se veut de plus en plus en plus transparente (preuve en est l’ouverture des registres pour voir les liens entre la famille royale et l’esclavage) et veut servir le peuple et le comprendre. Une preuve de cela est une des premières décisions du Roi, qui a voulu que plusieurs millions de livres de profits émanant d’une réforme de parc éoliens soient alloués au bien public. Le Roi a aussi voulu que les cérémonies de son couronnement coûtent moins, pour montrer qu’il est conscient que les temps sont durs. Il a par exemple invité 4 fois moins de personnes que lors du couronnement de sa mère. Tout cela répond aux envies de modernisation de l’institution par les Britanniques. 

Redaction Atlantico : A quoi devons nous ce déclin de la monarchie et de Charles III dans la vision des Britanniques ?

Pierre Clairé : Comme beaucoup on pu le faire remarquer, Charles III reste moins populaire que sa mère aux yeux des Britanniques. Cela s’explique par son passé sulfureux mais aussi par ses déclarations et actions alors qu’il était Prince de Galles. Tout d’abord, il faut rappeler que Charles a longtemps été le mal-aimé de la maison Windsor car il s’est rendu coupable d’un grand nombre d’écarts qui n’était pas compatible avec la fonction d’héritier et donc de roi. Ce passé sulfureux a contribué à façonner une  image qui continue à lui coller à la peau. On peut parler de son divorce avec Diana Spencer, ce qui était impensable pour un héritier au trône générant la pire crise qu’a traversé la monarchie britannique depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, allant jusqu’à ce que la Reine qualifia l’année 1992 “d’Annus Horribilis”. Sa relation avec Camilla Parker-Bowles, divorcée, n’a pas plu et a pu rappeler les heures les plus noires de la famille Windsor et des amours d’Edward VIII. Malgré ses efforts et son activisme caritatif, Charles III n’est jamais parvenu à se défaire de cette image. C’est pour cela que de nombreux observateurs craignaient le pire lors de son accession au trône, il n’en fut rien. Son expérience comme Prince de Galles a aussi desservi Charles car il a pu prendre plus de libertés politiques. Il s’agit d’une image impensable dans un système où le Roi règne sans gouverner. 

Malgré des remords exprimés lors d’une interview accordée à la BBC il y a 5 ans, le mal a été fait. Charles III a été l’héritier qui a occupé ce rôle le plus longtemps de l’histoire britannique. Il ne pouvait pas ignorer cet état de fait. Ses avis sur l’environnement, l’urbanisme ou même désapprouver le gouvernement Johnson qui envoyait les migrants au Rwanda étaient incompatibles avec la fonction de Roi et surtout en décalage avec la retenue de sa mère. En revanche, tout cela pourrait se montrer bénéfique sur le long terme car il a peut-être permis de dépolitiser les questions environnementales alors que dans d’autres pays, ces questions sont prises en otage par les écologistes. Charles III devra cravacher pour regagner l’amour de son peuple, mais cela ne semble pas impossible.

La perte de vitesse de la monarchie dans les sondages d’opinion n’est pas imputable au seul Charles III qui ne règne que depuis 8 mois. Cette tendance était visible avant le décès de sa mère, qui a assisté impuissante à la montée d’un sentiment anti-monarchiste dans le Royaume. On peut expliquer cela par les déboires de ses fils encore plus détestés que lui. D’une part, le Prince Andrew (7% d’opinions favorables) est un proche du financier Jeffrey Epstein accusé de crimes sexuels. D’autre part, le Prince Harry (22% d’opinions favorables) a aussi entaché la monarchie avec sa biographie « Spare » qui a fait grand bruit mais aussi en s’éloignant de la maison royale avec sa femme Meghan Markle (le Mexit). Depuis il s’est épanché dans les médias Outre-Atlantique et nous n’avons appris sa présence au couronnement qu’il y a quelques mois. Les deux ne joueront d’ailleurs aucun rôle lors du couronnement, comme pour montrer que Charles III souhaite maintenir la distance pour ne pas affaiblir la monarchie. 

La monarchie britannique semble en déclin, mais Charles III a déjà dépassé ce qui était attendu de sa part. Elle a déjà su se relever de bas abyssaux dans les années 1990, alors que les observateurs affirmaient déjà son déclin lors du jubilé de la Reine en 2002. Il faudra attendre avant de statuer sur la bonne santé de la monarchie car il se murmure parmi les proches du roi que le monarque aurait préparé un plan en 10 ans pour restaurer l’image de la couronne et ainsi pouvoir transmettre le trône à William sans que l’on ait à craindre pour la survie de la monarchie. 

Redaction Atlantico: Les motifs de crise et de défiance envers la monarchie britannique peuvent-ils faire écho à ceux que nous connaissons en France ?

Pierre Clairé : Les motifs de défiance à l’égard de la monarchie britannique sont bien différents que pour le président Emmanuel Macron. Par son retrait du débat démocratique, la monarchie britannique a longtemps été épargnée. En moyenne, 6 britanniques sur 10 étaient favorables à la monarchie selon un récent sondage, ce qui peut sembler très éloigné des réalités que nous connaissons en France avec un Emmanuel Macron qui est clairement mal-aimé. Il a même atteint 22% d’opinions favorables le mois dernier. Même lors de son « annus horibili” en 1992, jamais la monarchie britannique n’a traversé un tel désamour. 

D’abord, il y a une différence de popularité entre Elizabeth II et Charles III. A son décès, près de 90% des Britanniques n’avaient connu qu’Elizabeth II comme souveraine. Selon un sondage de YouGov de 2018, près d’un tiers des Britanniques déclaraient l’avoir vu ou aperçu de son vivant, preuve de sa proximité avec ses sujets. Charles III pâtit d’une popularité moindre (54%), notamment de par son histoire avec Diana et sa personnalité. Ainsi, la défiance actuelle envers la monarchie peut s’expliquer par le changement de souverain mais aussi par une conjoncture qui n’est pas favorable à des preuves d’amour. En 1953, les Britanniques s’étaient automatiquement pris d’affection pour la jeune reine de 27 ans qui n’avait pas été préparée à accéder au trône si jeune. Les Britanniques avaient remporté la guerre et en 1953, les années précédentes avaient été très dures ce qui explique que les Britanniques se soient pris au jeu et aient célébré cette monarchie qui les unissait et surtout représentait un échappatoire. En 2023, la logique est bien différente et les Britanniques sont plus préoccupés par l’inflation galopante que par ce changement de monarque. Ils ne peuvent se permettre de dépenser des fortunes pour des bibelots à l’effigie de Charles et trouvent que ces effusions sont en décalage avec leur réalité, ce qui explique le désamour ou l’indifférence que Charles et la Monarchie inspirent. Pour autant rien n’est perdu et le soutien populaire peut être regagné et il peut vraisemblablement occuper le vide laissé par sa mère. 

En France, les motifs de défiance à l’égard des présidents de la République sont liés à leur gestion politique. Pour autant, la fonction présidentielle demeure préservée de la défiance. Les faibles cotes de popularité de François Hollande (13%), de Jacques Chirac (18%) ou encore d’Emmanuel Macron (22%) n’ont pas suffit à nourrir une crise de la défiance sur la fonction présidentielle puisque selon un sondage IFOP d’octobre 2022, 75% des Français jugent essentiel le rôle du Président de la Vème République. 

De plus, au Royaume-Uni, aucune classe sociale n’est structurellement défavorable à la monarchie. Les classes populaires et les classes moyennes ne sont pas plus défiantes à l’égard de la monarchie que les classes supérieures. C’est même plutôt le contraire. L’électorat conservateur populaire depuis la mutation électorale opérée par Boris Jonhson est à 80% favorable à la monarchie. Ce sont plutot les jeunes travaillistes urbains qui expriment plus de réserves à l’égard de la monarchie (44%). 

A contrario, la France du travail est davantage défavorable à Emmanuel Macron, encore plus depuis la réforme des retraites. En 2017, Emmanuel Macron a été élu par une coalition électorale large reposant principalement sur les actifs. Il capte plus de 20% des suffrages dans toutes les tranches d’âge à partir de 25 ans, notamment un tiers des cadres, un quart des professions intermédiaires, des indépendants et des salariés du privé comme du public. En 2022, il ne maintient son score que chez les cadres et progresse surtout au niveau des retraités chez qui il obtient 40% des suffrages. Ainsi, les motifs de défiance sont davantage conjoncturels au Royaume-Uni qu’en France. 

Redaction Atlantico : Quelles leçons du Royaume-Uni et de son rapport à  la monarchie pourrait-on tirer pour s’attaquer à nos propres maux politiques ?

Pierre Clairé : La monarchie britannique a traversé près de 1 000 ans d’Histoire et de bouleversements, mais est restée en place malgré les remous. A ce titre, elle sera toujours une source d’enseignements pour la France bien que notre régime diffère. En effet le Royaume-Uni dispose d’une monarchie parlementaire, avec un Roi qui reste en retrait de la vie politique. En France, l’adoption du régime semi-présidentiel en 1958, qualifiée de monarchie présidentielle, permet à un chef d’Etat d’intervenir dans le débat public et d’influencer les chambres. Malgré ces divergences de régime, nous restons deux démocraties occidentales libérales qui sont traversées, à la fois par une fracture démocratique, un sentiment de déclin économique et international et une quête identitaire.

La séparation du chef de l’Etat avec la politique est clairement un point important qui distingue les deux systèmes. En France, le Président joue un rôle fort sur l’Assemblée nationale, encore plus depuis l’adoption du quinquennat et l’inversion du calendrier électoral. Au Royaume-Uni, le monarque britannique ne se mêle pas de politique et se place au-dessus de la mêlée. Charles III l’a rappelé lors de sa première allocution de souverain. Même si le Roi nomme le Premier ministre, il le sélectionne au sein du parti vainqueur. S’il fait appliquer les lois votées, il n’y a jamais eu de cas de loi invalidée par le Roi dans un passé récent. Cela rend le Royaume-Uni plus apaisé, avec un chef d’État qui joue son rôle unificateur et symbolique. La France pourrait en tirer des leçons, surtout que l’omniprésence d’Emmanuel Macron qui se mêle de tout déplaît à une grande partie de la population. 

L’humilité est une qualité fondamentale pour maintenir un lien de confiance avec le peuple. Le règne d’Elizabeth II nous le prouve. D’autres cibles que la monarchie cristallisent la contestation des Britanniques, telles que l’establishment politique ou encore les super-riches. Le mouvement “Don’t pay UK” né de la crise énergétique qui étouffe les classes populaires et moyennes s’est davantage porté contre les super-riches. Les efforts opérés par Elizabeth II depuis 1992 pour réduire le nombre de bénéficiaires à la “subvention royale” ou encore payer des impôts, font que la famille royale est de moins en moins associée aux super-riches. Les chefs d’Etat français pourraient ainsi concilier la dignité de leur fonction et l’humilité vis-à-vis du peuple pour rompre avec le sentiment de déconnexion avec les Français.

Le monarque britannique dispose d’un certain soft power qui permet au Royaume-Uni de rayonner dans le monde. Un rapport de 2017 produit par Brand Finance a montré que cette année la famille royale avait rapporté 150 millions de livres en commerce. Si nous additionnons toutes les rentrées, ce sont 1,8 milliards de livres qui sont rentrées dans les caisses cette année grâce à la famille royale. C’est sans compter l’image positive que le monarque et la famille royale apportent au Royaume n’étant pas politisés. Le récent voyage de Charles III en Allemagne n’a fait que confirmer cette tendance, alors que les discours du roi dans la langue de Goethe ont séduit au plus haut point alors que les relations entre l’Union Européenne et le Royaume-Uni ne sont pas au beau fixe depuis le Brexit. Cette image rassembleuse et paisible manque au Président français à l’international.

Enfin, la stabilité de la monarchie reste une référence pour maintenir un pays apaisé. Le Royaume-Uni est marqué par des inégalités qui explosent entre les riches et les pauvres et entre les ruraux et les urbains. Le pays a durement subi la crise sanitaire enregistrant près de 180 000 décès. Cet épisode a révélé des failles de son système de santé plus fortes qu’en France. Le pays vit une véritable crise des services publics alors qu’il doit conduire depuis novembre 2022 une politique de rigueur budgétaire. En dépit de cela, la monarchie britannique offre non seulement une stabilité, mais également une identité particulière à faire prévaloir vis-à -vis du monde, comme en témoignent les 4,7 milliards de personnes qui ont suivi les funérailles de la Reine d’Elizabeth II. Renouer avec la fierté de notre civilisation française unique, sur le modèle du Royaume-Uni, doit nous permettre de faire nation et éviter d’accentuer ce que Jérome Fourquet qualifie “d’archipel français”.

En définitive, nos deux régimes ont de nombreux points communs, ce qui peut s’expliquer par nos histoires en lien serré, mais nous avons également de grandes différences. Les Français devraient interroger leur rapport à la monarchie, non pas pour changer nos institutions, mais pour s’inspirer d’une certaine pratique du pouvoir qui correspond à l’esprit de la Vème République et ainsi s’attaquer à nos propres maux.

Par Pierre Clairé, spécialiste des questions internationales et directeur adjoint des Études du Millénaire, think-tank gaulliste et indépendant

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Credit Photo : Charles III par KSAG Photography via Flickr sous licence CC BY-NC-SA 2.0

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